Tunisie: inquiétudes et vifs débats autour de l'intégrisme islamiste
L'attaque récente par des salafistes d'un cinéma de Tunis a catalysé les craintes dans les milieux culturels et associatifs tunisiens qui s'inquiètent d'une montée de la pression islamiste et multiplient les appels à la vigilance. Dimanche dernier, une cinquantaine de militants brandissant le drapeau du parti salafiste Tahrir (non légalisé) envahissent le cinéma Afric'art pour tenter d'empêcher la projection du film de Nadia el Fani "Ni Allah, ni maître" (rebaptisé depuis d'un titre plus neutre, "Laïcité Inch Allah!").Deux jours après, des avocats sont agressés devant le palais de justice où doivent comparaître les manifestants salafistes arrêtés à l'Afric'Art. Ces événements ont relancé avec force le débat sur l'islamisme en Tunisie: vrai danger ou faux prétexte pour occulter les véritables problèmes ? Ennahda --le grand parti islamiste durement réprimé sous ben Ali et légalisé après la révolution-- joue-t-il double jeu ou doit-il être considéré comme un partenaire démocratique à part entière ?
Le parti est en tout cas généralement considéré comme l'un des favoris des élections du 23 octobre prochain pour choisir une assemblée constituante. Artistes, syndicalistes et intellectuels de gauche ont multiplié cette semaine les réunions et manifestations pour mettre en garde contre "l'intégrisme et l'extrémisme", fustiger "l'inertie" des autorités et l'"ambiguïté" d'Ennadha vis à vis des actions salafistes. Le parti islamiste a condamné l'attaque du cinéma, mais selon eux il tient "un double langage".
"On ne laissera pas passer la violence dans ce pays profondément tolérant. On ne s'est pas débarrassé de la dictature d'un type pour passer sous la dictature d'une idéologie", martèle Habib Belhedi, membre de la direction du cinéma Afric'Art.
"Les gens, même les plus ouverts, nous reprochent de tomber dans la provocation en projetant un film sur la laïcité. Mais où on va ? On n'a pas fait une révolution pour en arriver là quand même!", s'indigne de son côté Nohra Sekik, membre du collectif Lam Echalm, qui regroupe quelque 80 associations.
Au-delà de l'affaire du film de Mme el Fani, beaucoup s'inquiètent de la visibilité de plus en plus importante des radicaux islamistes.
"J'ai peur. J'ai vu hier des images à Kairouan (centre) où l'on a abaissé le drapeau tunisien pour monter le drapeau noir des salafistes", déplorait samedi Raja Bourguiba, professeur d'italien, venue participer avec sa fille à un sit in contre la violence et l'extrémisme.
D'autres citaient des manifestations contre les "atteintes aux valeurs de l'islam" organisées vendredi après la grande prière à Sfax ou Sidi Bouzid (sud).
En outre, les rumeurs se multiplient, sur internet ou dans la rue: femmes agressées sur la plage parce que pas assez couvertes, intrusion d'islamistes dans des fêtes privées pour saisir les bouteilles d'alcool...
"C'est invérifiable, évidemment. On est entré dans le cycle des rumeurs", reconnaît Mme Sekik.
Interrogé samedi par l'AFP, Samir Dilou, membre du bureau exécutif d'Ennahda, ne cache pas son exaspération. "On en a marre d'entendre répéter la même chose, ce sont des procès d'intention de la part de gens qui pratiquent l'amalgame. Les vrais problèmes de la Tunisie c'est la stabilité sécuritaire, la prospérité économique", lance-t-il. "La politique n'est pas faite de faits divers, il faut sortir de l'exagération et de la victimisation", ajoute-t-il, avant de rappeler que le terme d'islamisme recouvre "un spectre large" allant d'Ennahda, autorisé, aux salafistes, non légalisés.
"Il faut prendre de la distance, et faire la distinction entre les différents courants islamistes", approuve le politologue Slah Jourchi, qui met en garde contre une bipolarisation du débat entre "modernistes" et "islamistes".
le 02.07.11
AFP
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