Mondiale: 'Ayaan Hirsi Ali a le droit d’exprimer sa détestation de l’islam sans risquer sa vie'
Le site de « Riposte laïque » animé par notre "ami" Pierre Cassen a donné son point de vue sur la soirée de soutien organisée en faveur d’Ayaan Hirsi Ali. Si je partage l’essentiel de l’avis exprimé dans cet article, quelques points me posent un problème de fond et je voudrais expliquer ma position loin de tout esprit polémiste. Je suis même prêt à en débattre publiquement à l’occasion.
Je constate d’abord – et je l’écris avec lucidité et sérénité – que la mode qui est en train de se développer consiste à « soutenir » de manière très sélective et avec une émotion tout aussi sélective celui ou celle qui rejette le plus l’islam. Le curseur du soutien est placé de manière proportionnelle au degré du rejet qui va de l’islamisme à l’islam. Aussi, si la dénonciation de l’islamisme vaut-elle à son auteur l’appui d’un groupuscule, le rejet des fondements même de la religion musulmane suscite une adhésion quasi unanime.
J’observe et je finis même par craindre qu’y compris ceux que je considérais comme des amis entretiennent finalement une obsession contre la religion musulmane et peut-être contre les musulmans eux-mêmes. J’en déduis donc que le problème, pour beaucoup, n’est plus l’islamisme mais l’islam. Le problème n’est plus les islamistes mais les musulmans. Je tire cette conclusion parce que certains veulent nous faire admettre, en raison de leur lâcheté, qu’ils vomissent l’islam mais qu'ils digèrent les musulmans. Comment est-ce possible ? Il est vrai que les goûts gastronomiques ne se discutent pas mais tout de même un peu de cohérence permettrait d'avoir une ligne claire.
De plus, si j’ai bien compris le débat qui s’installe, le « bon musulman » serait, en substance, celui qui déclare son athéisme. « Reniez votre religion débile et nous allons enfin considérer que vous êtes dignes de notre soutien et de notre reconnaissance », semblent dire certains non sans une certaine condescendance et un paternalisme que beaucoup ont désormais du mal à cacher.
Cette surenchère est à la fois malsaine et surtout contreproductive. Et elle est d’autant plus gênante qu’elle s’inscrit dans une théâtralisation du « combat laïc » et a tendance, de plus en plus, à être « pipolisée ». Le rejet ou la critique de l’islam ne me gêne absolument pas. J’ai tendance à préconiser une approche voltairienne par rapport à des discours ou à des analyses que je ne partage pas. C’est dire que ce n’est pas en tant que défenseur de la religion que je m’exprime mais tout simplement en tant que laïque qui pense que si la religion doit être clairement séparée de l’Etat, celle-ci doit être protégée notamment contre la diabolisation.
De ce point de vue, je suis tout à fait à l’aise en écrivant ce qui va suivre.
Je l’ai écrit, dit et répété : Ayaan Hirsi Ali doit être soutenue. Et je la soutiens sincèrement et totalement. Et certainement pas comme Ségolène Royal qui a tenu à être présente à ses côtés le dimanche pour la photo avant de se démarquer habilement le lendemain, sur une radio nationale, du discours d’Ayaan Hirsi Ali. Je ne la soutiens pas non plus comme Libération qui durant des années a considéré que toute critique de l’islamisme était un « acte d’islamophobie » avant de s’afficher aux côtés de celle qui ne cache pas sa détestation pour l’islam. Je ne la soutiens pas enfin comme Rama Yade qui, tout en supportant un discours présidentiel inquiétant sur la question de la laïcité, voit dans la présence d’Ayaan Hirsi Ali à Paris le « coup de comm » qu’il ne faut surtout pas laisser passer.
Je soutiens Ayaan Hirsi Ali et je ne veux ni me laisser photographier à ses côtés, ni faire un « coup de pub » à travers son action.
Parce que ce que je soutiens, ce n’est certainement pas son discours qui est, à ne pas en douter, le résultat de la trajectoire d’une jeune fille traumatisée par une histoire personnelle écrasée par le poids d’une série de dogmes et de cultures moyenâgeux et surtout par la folie des hommes. Ce que je soutiens, ce n’est certainement pas sa décision d’aller se mettre sous la coupe des néoconservateurs américains qui, au lieu de combattre l’islamisme, le nourrissent à travers des politiques hasardeuses et des idéologies suspectes. Ce que je soutiens, c’est le principe. Celui qui me pousse à dire que tout ce que dit cette femme à l’égard de l’islam est d’une niaiserie rare, les discours qu’elle ressasse sont le résultat d’une profonde méconnaissance de l’islam mais que cependant elle a le droit de continuer à répéter des contrevérités, elle a le droit d’exprimer sa détestation de l’islam, du Coran et du prophète sans risquer sa vie. N’en déplaise aux émules de Ben Laden et aux supporters de Tariq Ramadan ; n’en déplaise aux « autorités religieuses » musulmanes et aux derviches tourneurs du salafisme, la liberté de conscience, de parole de Ayaan Hirsi Ali ainsi que sa liberté de circuler normalement représentent, à mes yeux, des principes qu’il nous faut soutenir.
En clair, je ne soutiens pas cette femme – comme certains – parce que je partagerais son point de vue (ce serait facile) mais je me dois de la soutenir parce que j’estime que bien qu’elle dise des choses avec lesquelles je suis en désaccord, aucune personne n’a le droit de menacer son intégrité physique et sa tranquillité.
Bizarre d’ailleurs est cette attitude qui poussent plusieurs « amis » à soutenir, de facto, à la fois la personne menacée et son discours. C’est comme si je me disais que les caricatures de Mahomet dont j’ai soutenu la publication – pour le principe de la défense de la liberté d’expression – deviennent de fait des chefs d’œuvres. En fait, je trouve la plupart des dessins d’une nullité artistique totale, ce qui ne m’empêche pas de soutenir sans failles les caricaturistes danois.
Selon le site animé par Pierre Cassen, ce n’est pas cette brave Ayaan Hirsi Ali, cette femme si belle si intelligente cette désormais « voltaire africaine », cette exception « qui va parler d’une religion de paix pervertie par les méchants islamistes ». Certes, ce n’est pas elle. Ce sont certainement d’autres cons, d’autres salauds, d’autres fanatiques, d’autres illuminés, d’autres obscurantistes dont je fais partie. Beaucoup de musulmans attachés à la laïcité, aux principes des droits de l’Homme et à la démocratie apprécieront d’être renvoyés ainsi à leur « religion arriéré, totalitaire et violente ». Les choses ont le mérite d’être désormais très claires.
Merci de me renvoyer à ma « communauté » et à mon obscurantisme. Parce que je le rappelle, accessoirement : je suis musulman. Merci de rappeler aux démocrates algériens - musulmans pour beaucoup d’entre eux – que « le problème » c’est la religion à laquelle ils restent attachés et non pas les extrémistes qui tuent en son nom. Merci d’abreuver l’extrême droite tout en crachant sur les musulmanes qui se battent dans les pays arabes pour leur émancipation. Merci de servir cette formidable pensée qui alimente le « choc des civilisations ». Et merci enfin de m’ouvrir les yeux et me permettre de mesurer le niveau de ma naïveté. Merci de me démontrer que je m’étais engagé aux côtés de gens qui cherchent – non pas à rappeler leur attachement à des principes universels – mais à « bouffer » du musulman.
Les salafistes peuvent également vous remercier. Vous leur donnez les arguments qu’ils ne cessent de rechercher, vous les confortez dans leurs convictions, vous légitimez leur discours. Continuez la pièce de théâtre. Je ne jouerai désormais ni les premiers ni les seconds rôles. Je ne ferai même pas de la figuration. Je refuse. Le scénario ne convient pas à mes convictions et le dialogue « bien-pensant » ne sied pas au sens que j’ai donné à mon combat contre l’intégrisme.
Je défends le droit au blasphème. Je suis, bien que croyant, moi-même à mes heures un blasphémateur invétéré. Mais je ne peux pas laisser l’hypocrisie s’installer sans réagir. Qui peut prétendre dans un même article d’un côté respecter « les croyants » dont, je présume, les musulmans et écrire plus loin que la religion de ces mêmes musulmans est « arriérée, totalitaire et violente ». Ecrire cela voudrait dire tout bêtement que Pierre Cassen et ses amis – qui ne sont pas catalogués comme des religieux fanatiques – respectent d’une certaine manière l’arriération, le totalitarisme et la violence auxquels croient les musulmans. On ne peut pas prétendre que l’islam, son Coran et son prophète sont un « problème » et respecter ceux qui se reconnaissent dans ce même problème. Pour ma part, je n’ai aucun respect pour les totalitarismes, je n’ai aucun respect pour les idéologues de la violence mais je respecte sincèrement les croyants qui rejettent la violence et le fanatisme qui ne sont pas contenus dans la religion musulmane, n’en déplaise à Pierre Cassen, à Ayaan Hirsi Ali et à leurs amis.
Par Mohamed Sifaoui