Irak: Les communautés minoritaires de Nineveh demandent à être protégées

Source: 
IRIN

Dans la province de Nineveh, dans le nord de l’Irak, les communautés minoritaires ont demandé à être protégées par les autorités locales et nationales, dans un contexte où l’on annonce un risque de multiplication des attaques à leur encontre durant la campagne des élections nationales de janvier. « En tant que Chrétiens, nous ressentons l’insécurité depuis l’invasion de 2003 [menée par les Etats-Unis], car nous sommes l’objet de déplacements, extorsions, enlèvements et assassinats commis par les différentes parties, pour des raisons d’agenda politique ou d’idéologies extrémistes », a dit Ihsan Matti, chauffeur de taxi de 33 ans habitant à Mossoul, la capitale de la province de Nineveh.

Selon M. Matti, les forces de sécurité irakiennes sont lentes à répondre aux attaques antichrétiennes, et abandonnent les communautés à leur vulnérabilité face aux violences. « Le gouvernement n’a toujours pas pris de mesures sérieuses pour répondre aux menaces qui pèsent sur nous. Nous sommes toujours confrontés aux mêmes menaces, et aucune action durable n’est menée [pour y répondre] ».

Depuis 2003, les communautés minoritaires sont régulièrement attaquées par des militants sunnites, dont la majorité reconnaît être affiliée à Al-Qaïda en Irak. Ces militants accusent les minorités d’être des croisés, des adorateurs du diable, des infidèles ou des traîtres coopérant avec les forces américaines.

Dans la province de Nineveh, les principaux groupes minoritaires visés sont les Shabaks, qui sont entre 300 000 et 400 000, et dont la religion contient des éléments de l’islam, du christianisme et d’autres religions ; la communauté yazidi, qui vénère Malek Taous, l’ange-paon ; et les Chrétiens, qui comprennent les Chaldéens, les Orthodoxes, les Catholiques, les Assyriens, les Anglicans et les Arméniens.

L’attaque la plus meurtrière contre un groupe minoritaire a eu lieu en août 2007 : quatre camions piégés ont explosé simultanément dans le petit village de Qahataniya, tuant plus de 300 Yazidis. Environ cinq mois auparavant, des attentats au camion piégé avaient eu lieu dans des marchés de la ville de Tal Afar, tuant au moins 152 Turkmènes.


En octobre 2008, une nouvelle vague de violence antichrétienne a éclaté à Mossoul, quand des hommes armés ont commencé à attaquer ou menacer des Chrétiens, les forçant à quitter la ville pour se rendre dans des camps de déplacés, ou à l’étranger.


Photo: IRIN
Des grilles fermées devant une église, en Irak
Mesures gouvernementales

Abdul-Raheem al-Shimari, qui dirige le Comité de sécurité et de défense de la province, a averti que les attaques de ce type risquaient de se multiplier dans la province pendant la campagne des élections nationales de janvier, car les communautés minoritaires ont une grande influence sur les résultats électoraux.

« Je pense effectivement que la sécurité sera perturbée à l’approche des élections, et que cela concernera non seulement les communautés minoritaires, mais aussi la province toute entière », a dit M. al-Shimari à IRIN. « Toutes les parties, en particulier celles qui disposent de milices influentes, participeront à la déstabilisation de la sécurité afin de nuire à leurs adversaires ».

Il a ajouté que des plans étaient en cours pour recruter 14 000 nouveaux policiers et soldats originaires de Nineveh. Les nouvelles recrues doivent être réparties dans toute la province, mais avec une concentration plus forte dans les zones où vivent les minorités.

« Cela permettra d’aider les habitants de ces zones à protéger leurs communautés », a dit M. al-Shimari, ajoutant que des tranchées d’une largeur de 50 centimètres seraient creusées autour de deux villes chrétiennes, Tilkaif et Hamdaniya, afin d’empêcher les camions piégés d’y entrer.

Ridha Jawad, 54 ans, de la communauté shabak, s’est plaint des « mesures laxistes » du gouvernement, qui encouragent selon lui les militants à renforcer leurs attaques éhontées.

« Si le gouvernement prenait des mesures fermes contre ceux qui nous attaquent, comme des arrestations et des exécutions, nous n’assisterions pas à une telle multiplication de ces violences », a dit M. Jawad. « Nous voulons des mesures rapides et efficaces ».



Photo: IRIN
Les Yazidis vénèrent Malek Taous, l’ange-paon, que certains Musulmans et Chrétiens considèrent comme un démon
« En terrain vulnérable »


Le 10 novembre, Human Rights Watch (HRW), une ONG (organisation non gouvernementale) basée à New York, a mis en lumière un autre facteur de répression de ces communautés minoritaires de Nineveh : le conflit territorial qui oppose depuis des années le gouvernement central et le gouvernement régional kurde.

Dans son rapport de 51 pages intitulé On vulnerable ground (En terrain vulnérable), HRW a indiqué que les territoires convoités, dans le nord de l’Irak, étaient l’objet d’un conflit entre les autorités régionales semi-autonomes du Kurdistan et le gouvernement central de Bagdad. D’après le rapport, ce conflit sans fin menace de déclencher une « catastrophe du point de vue des droits humains », dont ces communautés seraient les victimes.


« Les différentes mesures concurrentes pour résoudre les profonds différends concernant l’avenir du nord de l’Irak ont placé les communautés minoritaires de cette région dans une situation précaire, car elles sont les premières victimes du conflit et subissent de fortes pressions de la part de ceux qui considèrent qu’elles doivent déclarer leur loyauté à un camp ou à l’autre, ou affronter les conséquences de leur impartialité », selon le rapport.

« Elles sont victimes des tactiques violentes des autorités kurdes, qui comprennent notamment des arrestations et des détentions arbitraires, ainsi que des stratégies d’intimidation visant tout individu résistant aux plans expansionnistes kurdes », d’après le rapport.

L’ONG de surveillance des droits humains a appelé le gouvernement irakien et le gouvernement régional kurde à protéger les minorités, et à créer un organisme indépendant chargé d’enquêter sur les meurtres orchestrés visant les minorités, et d’identifier les responsables.

Hamoo Khalil, 44 ans, membre de la communauté yazidi, a dit que si le gouvernement ne prenait pas davantage de mesures pour protéger les groupes minoritaires des attaques, ils seraient obligés de prendre eux-mêmes les choses en main.

« Si la situation continue telle qu’elle est, nous serons amenés à avoir recours à nos propres armes pour défendre nos familles », a dit M. Khalil, père de six enfants et gérant d’un petit supermarché de la ville de Baashiqa, à environ 15 kilomètres au nord de Mossoul. « J’ai bien peur que nous n’ayons atteint un stade où nous n’avons plus confiance dans les forces du gouvernement »