Déclaration du Forum féministe sénégalais lors de sa rencontre de réflexion sur la crise Malienne
Dakar, le 04 mai 2012
Nous, membres du Forum féministe sénégalais, souhaitons exprimer tout son soutien au peuple malien et en particulier aux femmes qui sont malheureusement très peu représentées en ces moments critiques de la vie politique du pays.
Nous souhaitons aussi exprimer notre préoccupation quant à la situation des populations vivant dans les territoires occupés (Tombouctou, Kidal et Gao). Les ONG internationales se sont retirées du Nord et les écoles sont fermées. Le peu d’information concernant les conditions de vie des populations vivant dans cette zone dont nous disposons font état d’atteintes multiples aux droits humains et aux libertés individuelles.
Violation flagrante des droits humains et des libertés individuelles
Nous avons été indignées et alarmées de constater que le premier geste de Ansar Dine (l’un des mouvements rebelles qui contrôlent le nord du Mali, lié à Al-Qaida) a été d’imposer leur interprétation de la ‘sharia’ ; interdiction de regarder ou de jouer au football, de se raser la barbe, de fumer, de regarder la télévision, , d’emprunter des motos transportant en même temps un homme et une femme, les dénonçant comme des tabous religieux. Les milices patrouillant dans les différents quartiers de Tombouctou ont lancé des opérations contre des marchés et saisi des cartouches de cigarettesqu’ils ont brûlées devant les clients.
Les mesures prises par Ansar Dine ont suscité des affrontements avec la population locale, notamment les jeunes, le jour-même où elles ont été imposées. Le 5 juin, à Kidal, ce sont environ 500 femmes et des jeunes gens qui ont marché en fumant des cigarettes pour protester, à coup de pierres, contre l’imposition de la ‘sharia’. Alors que ces derniers n’ont rencontré aucune résistance de la part des membres d’Ansar Dine ou d’Aqmi, les femmes ont été prises à partie dès leur arrivée dans le centre-ville. Ces manifestations ont été sévèrement réprimées, et ont fait des morts et de nombreux blessés.
Ces mesures paralysent aussi tous les secteurs de la vie économique, car les corps de métiers étaient articulés autour du tourisme et des loisirs en général (couture, hôtellerie, sport, etc.). Elles sont d’autant plus inquiétantes qu'elles rejoignent en partie des dispositions prises par les groupes islamistes du Mali contre le code de la famille. Leurs pressions ont abouti à l’annulation d’un code respectueux des droits des femmes et régulièrement adopté par un vote quasi-unanime à l'assemblée nationale et à son remplacement par un code dont de trop nombreux articles bafouent les droits et la dignité des femmes.Nous appelons les organisations de femmes et les forces de progrès dans le monde, à rester en alerte devant les tentatives de détournement des textes religieux pour servir les ambitions politiques d’une poignée d’individus armés. Au nom de la religion, ces groupes veulent imposer des valeurs patriarcales à des populations qui ont déjà une histoire et une culture très riches.
Nous engageons l’État malien à se mobiliser pour récupérer le territoire national confisqué et à combattre l'intégrisme et le non-respect de l'Etat de droit et des droits et libertés fondamentales de tous et toutes (égalité en droit, droit à une protection égale de la loi, droit à la vie, droit à la dignité, droit à la liberté d'expression, de conscience, d'opinion, de religion ...)
Destruction du patrimoine culturel
Les islamistes qui contrôlent Tombouctou ont détruit le "monument des martyrs" de la ville rendant hommage aux victimes de la lutte contre la dictature du Général Moussa Traoré en 1991. Ils ont également profané un mausolée et continuent à s’attaquer au patrimoine culturel inestimable de la région datant pour la plupart entre le XIIème et le XVème siècle. Les ouvrages non religieux ont été retirés des bibliothèques car les ‘musulmans n’en ont pas besoin’. Inestimables, ils traitent de théologie, mathématiques, médecine, astronomie, musique.
Intégration des femmes dans le processus de paix
Il est impérieux que les femmes soient pleinement associées au processus de paix et participent davantage aux prises de décisions, en vue de contribuer à la prévention et la gestion des conflits.
Le Forum Féministe Sénégalais soutiendra toute action d’associations de femmes et de la société civile malienne pour exiger le retour de règles démocratiques.
Nous souhaiterions rappeler ici les engagements pris par nos Etat à travers plusieurs instruments internationaux dont la Convention sur l’Elimination de la discrimination à l’egard des femmes / CEDEF , la Déclaration solennelle des Chefs d’Etat de l’Union africaine sur l’égalité entre les sexes, les Résolutions 1325, 1820, 1888, 1889 du Conseil de paix et de sécurité des Nations Unies, la Charte de la CEDEAO sur la Gouvernance, le Protocole de Maputo sur les droits des femmes en Afrique.
Mesures d’urgence à prendre :
- Porter secours et assistance aux femmes et filles victimes d’abus dans les zones occupées
- Assurer la sécurité des populations déplacées (en portant une attention spécifique aux femmes et aux filles)
- Aider par tous les moyens à notre disposition les mouvements de résistance contre le fondamentalisme au Mali
- S’assurer que la liberté des populations, fortement menacée par le joug fondamentaliste, est respectée.
- Le maintien d’un climat apaisé et le renforcement du dialogue entre tous les acteurs