Palestine: Le nettoyage ethnique avance
Dans le reste de la Cisjordanie, les Palestiniens sont quasiment emprisonnés dans leur propre ville ou village. Chaque domaine de la vie courante des Palestiniens, économie, santé, éducation... est laminé par une machine militaro-bureaucratique bien organisée et bien pensée que l’on fait passer pour une institution chargée de la sécurité (5). De temps en temps, le nœud coulant autour de l’existence palestinienne se resserre, inexorablement, d’un cran supplémentaire. Le nettoyage ethnique - démolition des maisons et le saccage des champs - est poursuivi aussi avec diligence par l’Etat d’Israël à l’encontre des citoyens bédouins qui vivent dans le désert du Néguev (6).
Tout ce qui précède retient à peine l’attention de mes compatriotes israéliens. Pas étonnant étant donné que tout est camouflé derrière une parodie monumentale, mais auquel ils croient vivement (7), de « négociations avec Abu Mazen », d’efforts diplomatiques et de promesses pour des gestes de bonne volonté envers les Palestiniens (toujours reportés ou appliqués très parcimonieusement pendant de courtes périodes). Pour des raisons qui sont les leurs, certains hommes politiques palestiniens, dont le président Abbas, ont choisi de participer à cette farce.
Le Juif israélien moyen ne voit pas - ou ne veut pas voir - le nettoyage ethnique auquel procède son Etat : il, ou elle, préfère croire qu’il s’agit de « la guerre contre le terrorisme ». Les citoyens juifs israéliens vivent dans une réalité virtuelle qui leur est fournie avec soin par leurs dirigeants, leurs médias et leur système éducatif. Dans cette réalité, les Israéliens figurent comme des types bien luttant pour leur existence, et non comme des colonisateurs et des occupants. Dans ce monde virtuel, on pense que notre gouvernement a beaucoup fait pour obtenir un accord de paix avec les Palestiniens ; et si l’objectif n’a pas été atteint, c’est à cause de l’intransigeance des Palestiniens. On admet bien que les colons font entrave aux négociations, mais (en dépit du rapport Sasson (8)) ces colons sont vus comme des extrémistes gênants, pas comme la résultante d’une politique annexionniste délibérée et systématique par le gouvernement israélien (9).
Mais les politiciens israéliens au plus haut niveau, eux, SAVENT, autrement le nettoyage ethnique ne pourrait probablement pas se poursuivre. Je me suis demandé si, quand un nouveau ministre rentre au gouvernement, il ne recevait pas un manuel lui disant les choses telles qu’elles sont, telles qu’elles ont été écrites dans le passé par des gens comme Golda Meir ou Arik Sharon. Autrement, comment expliquer cette remarquable continuité dans la politique israélienne dans les territoires occupés toutes ces longues années d’occupation ? Comment se ferait-il que les cartes actuelles des colonies juives et les enclaves palestiniens correspondent à celles des projets de Drobles et de Sharon pour la colonisation de la Cisjordanie, projets préparés il y a des dizaines d’années (10) ? Néanmoins, je pense qu’il n’y a pas de manuel de ce genre, on attend plutôt de chaque ministre qu’il comprenne par lui-même (ou par elle-même). Yitzhak Rabin a payé de sa vie ce qui apparaissait alors comme un effort sincère pour sortir du programme de nettoyage ethnique - bien que Rabin n’aie rien tenté pour retirer les colonies et que ce soit lui qui ait eu l’idée de ces « routes de contournement », trisement célèbres, pour les colons ; finalement, les années Oslo se sont avérées une opportunité en or pour l’expansion coloniale sous la couverture d’un « processus de paix » bidon (5c). Barak, promoteur des projets de colonisation sur une grande échelle en Cisjordanie, semble avoir fait le dernier effort, raté, pour mettre en place une forme (très mince) de coexistence avec les Palestiniens. Mais il a dû penser en fin de compte que « si on ne peut le combattre, il faut l’adopter », comme on peut le voir dans ses activités actuelles comme nouveau ministre de la Défense (11).
C’est Sharon, brillant homme politique, qui, sous le couvert du « désengagement de Gaza », a transformé le programme du nettoyage ethnique en « rien qu’un jeu dans la ville », dans la politique israélienne. A ce jour, tout l’establishment sioniste est mobilisé, depuis les colons de Hébron jusqu’aux gens de Shomer Hatzair, mouvement des jeunes socialistes lesquels, en tant qu’appelés dans l’armée, ont fourni à ces mêmes colons le prétexte de la sécurité (12). La politique actuelle de l’Etat d’Israël est déterminée par la connivence de « l’appétit insatiable des colons pour la terre avec l’appétit insatiable des généraux pour l’action ». Parmi les dirigeants élus qui mettent en œuvre cette politique, on voit ses partisans inconditionnels jusqu’à des complices plus ou moins consentants, soucieux surtout de leur carrière. Actuellement, aucun des dirigeants ne s’oppose sérieusement au programme de nettoyage ethnique. Dans l’ombre, il y a ce bruit de fond qui s’amplifie toujours d’une propagande qui désigne les Palestiniens - d’Israël ou d’ailleurs - comme UN DANGER DEMOGRAPHIQUE QU’IL FAUT REGLER (13).
La politique israélienne à l’encontre des Palestiniens peut être résumée en ces quelques mots: « Causez leur tous les dommages que vous pouvez afin qu’ils s’en aillent ». Mais comment les dirigeants israéliens voient-ils donc la fin de cette partie? Pour le noyau dur des nationalistes, elle se finit par le « transfert », c’est-à-dire l’expulsion des Palestiniens. Mais qu’en pensent les principaux dirigeants - ceux qui en fait sont en train d’exécuter les expulsions (actuellement en interne, vers les ghettos et les enclaves palestiniennes)? L’opération est trop bien organisée pour que que l’on puisse croire que la fin de la partie n’a jamais été considérée.
Je crois que l’objectif final de nos décideurs est de mettre en place le cadre pour une seconde Nakba.
Autrement, à quoi servirait de pousser sans arrêt les Palestiniens à la violence? Quiconque un peu attentif comprend bien que la politique israélienne dans les territoires occupés conduit à terme au paroxysme de la violence. Ne me dites pas que nos dirigeants n’y ont pas pensé! C’est vrai, parmi eux, il y a les opportunistes acharnés qui ne se soucient que de rester au pouvoir. Mais il y en a qui poussent pour le nettoyage ethnique - Sharon a été le premier d’entre eux mais à en juger par la bonne organisation de la poursuite de l’opération, ses associés sont pleinement opérationnels et bien dans le coup. Je pense en fait que ces gens sont impatients de voir arriver la violence. Ils ont les yeux sur les prix de l’immobilier (pour la Cisjordanie). La violence à son paroxysme permettrait à l’Etat d’Israël d’annexer la Cisjordanie, toute la Cisjordanie, c’est-à-dire en se débarrassant de la plus grande partie de ses habitants palestiniens. Tout comme en 1948. C’est cela, à mon avis, la fin de la partie telle qu’elle est envisagée. Où se proposent-ils d’expulser les Palestiniens? en Jordanie? dans la bande de Gaza? Ca, je ne sais pas.
Le nettoyage ethnique réussira-t-il? Les auteurs de cette politique y compte bien, évidemment. Les conditions sont remplies, avec l’administration US actuelle soutenant Israël quoiqu’il fasse et l’Union européenne comme les pays arabes incapables de s’opposer aux Etats-Unis, ou peu enclins à le faire. Il est probable que le prochain accès de violence sera l’œuvre de Palestiniens désespérés et dans la misère; alors, pour la énième fois, notre machine de propagande saura montrer au monde que c’est nous les victimes, et les Palestiniens les agresseurs. Les réactions israéliennes seront des actions de légitime défense. Plus tard, l’histoire pourra en juger autrement mais pour le moment (si l’aréopage politique actuel perdure encore un moment), qui se soucie des Palestiniens?
Mais à la longue, la catastrophe menace Israël. Car nous sommes une petite nation, les Palestiniens sont une nation de même taille mais en plus, ils font partie du vaste monde musulman. L’expérience de l’Afrique du Sud nous indique que le système de type apartheid qu’on impose aux Palestiniens n’est pas viable à long terme, même s’il parait invulnérable au début. Comme l’a illustré l’invasion du Liban l’année dernière, l’efficacité de l’armée israélienne décline, altérée par des années d’opérations en tant que milice coloniale. Dans le même temps, nos généraux deviennent de plus en plus déchaînés et imprudents (14). L’économie israélienne compte sur le soutien tout aussi imprudent de l’establishment politique et du monde des affaires US, mais ce soutien très coûteux n’est probablement pas éternel. La capacité des USA à diriger le monde est également susceptible de décroître car la Russie et la Chine prennent du poids. Et peut-être le plus important : le dôme du Rocher est en jeu - c’est le troisième lieu saint de l’Islam (après La Mecque et Médine).
A mon avis, mon pays, Israël, s’est embarqué dans une politique suicidaire. Quelque chose comme ça s’est déjà produit dans l’histoire juive, il y a quelque 1 940 années (voir « La Guerre juive » de Josephus Flavius [soulèvement de la Judée et prise de Jérusalem par les Romains, paru en l’an 75]). Et tout comme en ces années-là, la plupart des Israéliens n’ont pas conscience d’être entraînés à la catastrophe par leurs propres dirigeants.
Par: Victoria Buch (Occupation Magazine)
18 septembre 2007
Victoria Buch est Israélienne, universitaire, militante anticolonialiste et membre du conseil de rédaction d’Occupation Magazine. Son site: www.fh.huji.ac.il/~viki