Algérie: Est il nécessaire d'autoriser les avortements?

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L’enquête menée par le Centre national d’études et d’analyses pour la population et le développement (Ceneap) au profit de l’Unicef, a révélé que la plupart des mères célibataires sont issues de familles défavorisées, prés de la moitié de ces femmes ont été victimes de harcèlement sexuel, de violence domestique et d’inceste.

Aussi, ce phénomène, si implanté dans la conscience des algériennes et algériens a fait qu’en matière de législation, aucun texte n’aborde, encore moins ne défend, le statut de la mère célibataire ; comme le prouve, ainsi, le code algérien de la famille en son article 40 stipule que La filiation est établie par le mariage valide, la reconnaissance de paternité, la preuve, le mariage apparent ou vicié et tout mariage annulé après consommation. L’enfant né hors union matrimoniale est donc illégitime et la filiation naturelle est obligatoirement maternelle. Ce qui en découle donc un abandon caractérisé de l’enfant issu de ce travers social. Ce code est toujours dans l’esprit du droit musulman ou il n’y a pas de relations sexuelles hors mariage ! Car avoir un enfant hors du cadre d’un mariage est synonyme de problèmes sociaux et psychologiques. Cette mère célibataire, victime d’une violence de la part d’un parent, un terroriste ou un collègue de travail, est dans la plupart des situations rejetée par sa famille et la société. Influencée par une civilisation pleine de tabous et contradictions, cette dernière ne pardonne pas à la fille d’avoir eu « se laisser se faire ». Car, c’est une atteinte aux mœurs et à la pudeur… La peur du qu’en-dira-t-on pousse les parents des filles concernées à agir en allant parfois jusqu’à commettre un meurtre pour laver l’affront. C’est comme ça que ça se passe chez nous depuis la nuit des temps et ça le restera encore longtemps dans certaines localités tant que les mentalités n’évolueront pas. Si une fille tombe enceinte hors mariage son sort est vite scellé. La mort ou la répudiation… la solution trouvée est l’avortement avant la naissance de l’enfant non désirée !

La grande marche vers l’avortement
Pratiqué clandestinement par des médecins, sages femmes ou infirmiers, généralement, non qualifiés pour ce type de pratiques. Cette démarche débouche généralement sur des avortements extrêmement dangereux. Cela va de l’ingestion orale de teinture chimique et de médicament à base d’herbes, à l’insertion de substances étrangères dans le col utérin telles que le mercure, des morceaux de verre ou des bâtonnets enduits de mélange d’herbes ou d’excréments de vache. Quelquefois, elles s’enfoncent un cintre dans le vagin, ou alors elles demandent à leur petit ami de piétiner leur ventre …

Le code pénal algérien dans ses articles de 304 à 307 et 309 à 313, considère l’avortement, interruption volontaire de la grossesse comme un crime passible de prison. Seul le thérapeutique (avortement) est admis s’il met en danger la vie de la mère, où pour préserver son équilibre physiologique et mental gravement menacé, comme les stipulent les articles 308 du code en sus et 72 de la loi N° 85 – 05 relative à la protection et à la promotion de la santé

En cas de viol, l’interruption d’une grossesse n’est pas autorisée sauf s’il s’agit d’un viol commis dans le cadre d’un acte terroriste, mais enregistré sur le champ !

La sévérité de répression de l’acte d’avortement dans la législation algérienne constitue, l’un des facteurs essentiels qui poussent chaque année des centaines de femmes à recourir aux services de « charlatans » ou de médecins pour les débarrasser de leur « h’chouma ». Généralement, les tarifs pratiqués par ces « clandestins » sont de 25 000 DA (Selon le rapport du Collectif 95 Maghreb – Egalité (Violations flagrantes des droits et violences à l’égard des femmes au Maghreb). Pour certains, ça varie entre 70.000 et 90.000 dinars - information rapportée par El Moudjahid du 22 avril 2006. Certaines femmes, craignant pour leur vie, et aussi pouvant se le permettre sur le plan financier, préfèrent se rendre à l’étranger pour avorter !

Selon, aussi, le même journal, en son édition du 2 mai 2006, de 1990 à 1992, à l’échelle nationale pour 100 naissances vivantes, il y a 10,5% d’avortements provoqués, soit au minimum 80.000 avortements par an pour 77.500 naissances. Durant l’année 2005, les sections de la police judiciaire (DPJ) ont constaté et résolu 2.682 affaires liées aux atteintes aux bonnes mœurs à travers le territoire national, et ont enregistré 326 viols commis contre des femmes. Certainement, c’est un chiffre qui ne reflète aucunement la réalité du terrain puisque nombreuses sont les femmes victimes de viol, d’inceste ou de harcèlement qui ne portent pas plainte …

Et que dit l’islam ?
Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que la vie du fœtus, à l’instar de la vie humaine en général, est sacrée en Islam. A ce titre, elle se doit d’être gardée et protégée dans la mesure du possible.

Avant et après sa naissance, l’homme est conçu par Dieu suivant une série d’étapes bien déterminées. Pendant sa vie intra-utérine, l’être humain passe par deux étapes :

Première étape : l’étape triphasée, la goutte séminale, le caillot de sang et l’embryon. Dieu dit : « Nous avons certes créé l’homme d’un extrait d’argile, puis nous en fîmes une goutte de sperme dans un reposoir solide. Ensuite, nous avons transformé la goutte de sperme en jointif, celui-ci en un embryon dont nous avons fait une ossature que nous avons revêtue de chair. Nous l’avons ensuite transformée en une tout autre création. Béni soit Dieu, le meilleur des créateurs. Et en vérité, vous mourrez ensuite pour être ressuscités, le jour de la résurrection (Al-Mu’minum, verset 12, 13, 14,15)

Deuxième étape : elle commence au cent vingtième jour de la vie du fœtus et coïncide avec l’insufflation de l’âme. Selon les deux sahih, le prophète dit : « Dans le ventre de sa mère, chacun de vous demeure à l’état séminal pendant quarante jours, à l’état d’œuf pendant quarante autres jours et enfin à l’état d’embryon pendant une période similaire ; il est ensuite ressuscité par l’archange qui lui insuffle l’âme » (rapporté par Al-Bukhari, chapitre du fœtus humain, vol 12, p. 263, hadith 6909)

Jadis, les docteurs religieux ne pouvaient confirmer la vie du fœtus qu’à travers les mouvements qu’il commence à effectuer dans le ventre de sa mère vers son quatrième mois. C’est selon eux la période qui coïncide avec l’insufflation de l’âme. Cette approximation est du reste compréhensible car ils ne disposaient pas de techniques médicales modernes telles l’échographie, leur permettant de suivre les phases de développement de l’embryon dès ses premières semaines.

Cet état de fait a créé une divergence chez les jurisconsultes musulmans, poussant les uns à légitimer l’avortement avant insufflation de l’âme puisque le fœtus, à ce stade de son développement, est dénué de vie. De ce point de vue, c’est un acte qui ne saura souffrir aucun caractère illicite ni incrimination. Tandis que d’autres soutiennent que tout avortement à ce stade doit être prohibé car s’il n’est pas doté d’une vie réelle, le fœtus est en revanche animé, ce qui assure son développement et sa préparation à l’existence.

Le hanéfisme a développé deux points de vue en la matière : le premier rend l’avortement licite tant que les formes de l’embryon ne se sont pas dessinées. La deuxième le rend illicite avant l’insufflation de l’âme, sauf dans les cas justifiés.

Quant au malékisme, il prohibe l’avortement avant insufflation de l’âme même au cours des quarante premiers jours.

Par ailleurs, dans les lois de droit musulman d’Ibn Juzaï on peut lire : « Il est interdit, d’intervenir sur le sperme déposé dans l’utérus, à fortiori sur l’embryon constitué » (lois du Fiqh)

Le châféisme a développé deux points de vue en la matière : le premier rend l’avortement licite s’il est pratiqué dans les quarante premiers jours. Le deuxième considère illicite le fait même d’extraire la goutte séminale après s’être logée dans l’utérus de la femme.

S’agissant des hanbalites, d’aucuns considèrent comme licite l’avortement dans les quarante premiers jours. Mais ils sont contredits en cela par Ibn kudama qui précise dans son ouvrage Al-Mughni (vol 7, p. 815) que « quiconque commet un acte violent à l’encontre d’une femme, entraînant ainsi la mort de son fœtus est passible d’une amende « la ghurra » et est condamné à affranchir un€ esclave. En outre, si une femme entraîne la mort de son fœtus par la prise d’un médicament, elle se voit soumise aux mêmes dispositions ».

De l’avortement justifié, il peut être question d’un acte justifié aussi bien avant qu’après l’insufflation de l’âme. S’agissant du premier cas, la plupart des jurisconsultes ont tendance à le légitimer. Concernant le deuxième cas, l’avortement n’est praticable qu’en cas d’empêchement majeur. Ainsi la mise en danger de la vie de la mère si le fœtus est gardé, à condition que la décision émane d’un médecin digne de confiance. A ce niveau se pose la question de savoir si l’avortement se justifie si l’on dépiste chez le fœtus d’éventuelles malformations ou anomalies génétiques (opérables ou non) que les techniques de la médecine moderne nous permettent de dévoiler ? Et quel est le point de vue de l’islam sur le caractère héréditaire des pathologies, qualités et autres caractères ?

A l’examen des différentes dispositions susmentionnées, l’on peut affirmer que l’islam condamne l’avortement après insufflation de l’âme sauf quand il y va de la vie de la mère. Car à ce stade, l’avortement s’assimile à un homicide perpétré sans droit contre un être dont la vie est sacralisée par Dieu.

Un avortement avant l’insufflation de l’âme est nécessaire d’être autorisé par la législation algérienne sous réserve d’un motif valable admis par les docteurs et hommes de loi tant que les cent vingt jours intra-utérins ne se sont pas écoulés, pour les filles, femmes victimes de viol, d’inceste, ou de défloration accidentelle.

Tant que les hommes politiques n’auront pas compris qu’une femme qui prend la décision de ne pas assumer son enfant est prête à tout pour s’en débarrasser, la loi peut être aussi sévère qu’on veut, on continuera à avoir des morts inutiles… l’humanisation de la loi est plus nécessaire.

Par Samir REKIK

DIMANCHE 19 SEPTEMBRE 2010