Dossier 21
Les mouvements politiques fondamentalistes et la campagne qu’ils mènent contre les femmes ont, au cours des années, suscité maints débats et sont devenus l’une des principales préoccupations de notre réseau.
Janet Afary, dans son étude, s’interroge sur le contenu et la nature de cette campagne qui, au nom de la religion, vise systématiquement les droits de la femme; elle propose des réponses et des stratégies de mobilisation pour lutter contre ce fondamentalisme.
En Iran, dès les premiers jours de la révolution de 1979, les militantes des droits de la femme ont porté un vif intérêt à la condition et à la lutte des femmes iraniennes. Azadeh Kian, dans sa contribution, présente de manière claire les nouveaux protagonistes de la lutte pour les droits politiques et sociaux de la femme en Iran aujourd’hui.
Au cours de ces vingt dernières années, le régime iranien s’est efforcé de censurer toute influence étrangère et a même tenté d’exporter au-delà de ses frontières ses propres produits idéologiques (tels que le Hezbollah au Liban ou l’Organisation des étudiants islamiques au Pakistan). Les partisans du changement et de la démocratisation mettent désormais l’accent sur une stratégie de “ réforme à partir de l’intérieur ” (sans doute à défaut de toute autre possibilité réaliste), donnant la primauté à une ré-interprétation du discours religieux musulman de l’État. Dans l’histoire récente de l’Iran, le clerc et expert juridique, Hojatoleslam Saeidzadeh est l’un des plus éloquents exemples d’interprétation progressiste des textes religieux favorables à la femme. L’oeuvre remarquable de M. Said’dzadeh lui a valu l’ire des mollahs iraniens conservateurs. Son oeuvre, peu connue en dehors de l’Iran, mérite d’être découverte par les réformateurs, les libéraux et les partisans du changement dans le monde musulman. Ziba Mir Hossieni nous a rendu à tous un grand service en présentant les écrits de M. Saeidzadeh et en proposant une traduction de l’une de ses contributions.
Le vent du changement érode lentement le totalitarisme des autorités iraniennes. A Téhéran, la police “ morale ”, autrefois si redoutée qui contrôlait les gens en les cantonnant dans le “ bon ordre islamique ”, n’est plus aussi omniprésente.
De l’Iran à majorité chiite, où le clergé a un droit de regard juridique sur les affaires politiques et privées, nous passons au Bangladesh, environnement principalement sunnite, doté d’une jurisprudence laïque et d’une société civile dynamique. Moins réglementé et organisé que les institutions religieuses en Iran, l’Islam sunnite au Bangladesh s’est répandu par le biais des saints mystiques “ soufis ”, ou “ pirs ”, produits de la société locale. Des espaces de liberté, assimilables à des sectes, se forment autour des “ pirs ” et perdurent depuis des siècles ; mais certaines zones du Bangladesh ont connu une islamisation influencée par des facteurs exogènes à l’islam local. Pendant les dictatures militaires, l’Islam a été utilisé par l’État pour imposer un train de mesures aux fins d’institutionnaliser des modes de croyance pratiquées de manière informelle. La réinsertion des “ pirs ”, même si elle n’est pas le fait de l’État, en est une conséquence. Comme dans la plupart des communautés sud-asiatiques, l’émigration continue de la main d’oeuvre masculine qui se fait depuis des décennies en direction de l’Occident et des pays du Golfe a provoqué de grands changements dans la configuration locale des relations de pouvoir. L’argent rapporté par les émigrés de la classe ouvrière leur confère une certaine importance dans leur village d’origine. De retour dans leur pays, les riches travailleurs émigrés essayent de “ corriger ” et de réinventer leurs “ pirs ”, de les assimiler à une forme de sunnisme “ islamiquement correct ” et conforme aux Écritures, inspiré d’un Islam transculturel imaginaire fait de bric et de broc, influencé par divers pays et cultures rencontrés pendant leur absence du Bangladesh. L’article de Katy Gardner décrit le changement religieux qui s’opère dans une partie du Bangladesh et la façon dont ce changement est lié aux communautés émigrées du pays qui, du fait de leur propre internationalisation, sont en train de donner un autre visage à l’islam local.
Comparée à celle du Sri Lanka, société plurireligieuse où les musulmans constituent une petite minorité, la situation des sociétés à majorité musulmane est quelque peu différente. Face à la polarisation des différentes communautés religieuses en représentations ethno-religio-politiques, l’élite musulmane sri lankaise s’est concentrée sur son propre projet de construction d’une identité communautaire homogène. Au cours de ces vingt dernières années, ce processus s’est de plus en plus heurté à l’émergence de courants politiques conservateurs et fondamentalistes, qui, à certains moments, ont même proposé que les Sri lankais adoptent la langue arabe pour se rapprocher de l’islam “ véritable ”. Ce conservatisme a également conduit à rebaptiser des institutions, en leur donnant des noms arabes, au lieu de noms traditionnels, en Tamoul par exemple. L’article de M. A.Nuhuman propose un aperçu historique de la ségrégation et de la soumission des femmes musulmanes au Sri Lanka, conséquences du renforcement du droit musulman.
Toujours dans la même veine, Homa Hoodfar, dans l’introduction de ce dossier, explore les problèmes qui se posent à l’action des femmes dans différents milieux musulmans, en tenant compte de leurs diversités culturelles et sociales.