France: Vingt ans de prison pour le tortionnaire de Chahrazad
Certes, à plusieurs reprises au cours du procès, il s’est excusé. Mais il a démontré à travers ses déclarations qu’il était incapable de remettre en question ce qui l’avait conduit à ce geste de barbarie. Le père d’Amer lui-même n’a pas su assumer sa part de responsabilité dans l’éducation qu’il a donnée à son fils ni incriminer l’influence de traditions d’un autre âge ("il a fait une grosse bêtise » dit-il en forme de commentaire).
Classé dans la rubrique "faits divers", cet acte de barbarie, y restera faute de pouvoir démêler la dimension individuelle de l’agression du contexte de violence à l’égard des femmes qui caractérise certaines sociétés. Les relations complexes au sein des familles - mariages arrangés, mariages polygames, statut des femmes stériles, destin des filles - sont autant de points d’interrogation dans une histoire marquée pas les demi-confidences des protagonistes du drame.
Il faut au moins espérer que le cri de Chahrazad, à l’énoncé du verdict (« C’est un bon exemple pour toutes les femmes victimes"), sera entendu par ceux qui au nom du relativisme culturel se refusent à remettre en cause les aspects les plus rétrogrades des traditions et des religions. Aujourd’hui vice présidente du l’association Ni Putes Ni Soumises, qui a porté son affaire sur la place publique et l’a soutenue au cours de ces années de souffrance, Chahrazad fait front avec la force du désespoir.
Les analogies sont grandes avec le procès des assassins de Sohane Benziane, morte brûlée vive à Vitry sur Seine, le 4 octobre 2002 pour avoir refusé de se soumettre au diktat d’un petit caïd de banlieue. Mais les différences le sont tout autant.
Le principal point commun c’est le feu.
Le feu, parce qu’il a la capacité de détruire la beauté et le corps de celle qui ose résister. Le feu, celui-là même qui brûlait les sorcières. Le feu qui met en scène sous les yeux de tous le supplice de celle qui est devenue haïssable simplement parce qu’elle n’accepte pas le cadre imposé où elle doit demeurer. Sorte d’autodafé réinventé par un individu d’aujourd’hui sans que la société dans laquelle il vit, la société française, ne le lui en ait apparemment donné l’autorisation.
Le tortionnaire de Chahrazad, Amer Butt, se situe entre deux mondes. Celui des traditions, qui fait de l’homme le sujet par excellence, et celui d’une société moderne qui affiche la liberté et l’égalité entre les sexes. Au moment ou survient un conflit c’est le premier monde qui reprend la main.
Sinon comment expliquer cette façon atroce de régler ses comptes qui soudain émerge de l’inconscient de cet homme ? Quelles images, quels souvenirs ont alimenté l’imaginaire de ce garçon ? D’où vient ce plongeon dans le passé ? Que connaît-il de ce qui se passe encore ailleurs, dans son propre pays au Pakistan, ce pays où il a spontanément pris la fuite ? A-t-il lui-même su qu’en France aussi une jeune fille Sohane avait été brûlée vive ? Que sait-il des crimes d’honneur – en fait des crimes d’horreur – à l’encontre de celles qui ne veulent pas se soumettre aux lois de la société traditionnelle et de la religion ?
L’assassin de Sohane, Jamal Derrrar, quant à lui, vit dans un seul monde, celui des « cités sensibles », en France. Mais un monde en cours de régression vers l’autre, vers les traditions. Autre différence avec le drame de Sohane : il n’y avait pas d’ « histoire d’amour » entre la jeune fille et son assassin, malgré ce que celui-ci a tenté de faire croire et que la presse répète régulièrement.
Jamal avait interdit à Sohane de circuler sur « son « territoire » pour se venger d’une embrouille qui l’avait opposé à l’ami de Sohane. C’est à une véritable punition qu’est condamnée Sohane et à laquelle doivent assister ses copines dans un sordide local à poubelles tandis que dehors les garçons de la bande à Jamal Derrar font le gué. L’un d’entre eux tient la porte. C’est d’une action collective des garçons contre les filles dont s’agit ici.
Au centre de ces deux affaires : une blessure d’amour propre infligée par des jeunes filles à des garçons choyés par leur milieu familial et qui ne supportent pas la contradiction. Dans les deux cas : ces garçons n’assument pas leur geste et disent contre toute évidence avoir voulu mourir. Dans les deux cas plutôt que de porter secours à la victime qui hurle de douleur sous leurs yeux, ils choisissent de s’enfuir.
La question qui se pose est de savoir comment faire en sorte que ces images d’horreur ne viennent pas de nouveau alimenter le subconscient des ces jeunes au détriment des filles et que cesse la régression ?
Lors du procès de Sohane, la Ligue du Droit International des femmes et la Ligue du doit des femmes, à la demande de la famille de Sohane, s’étaient constituées partie civile en tant qu’association féministe. Elles avaient obtenu que pour la première fois en France un tel acte de torture et de barbarie soit reconnu comme une agression de caractère sexiste, la justice rejoignant ainsi ce qu’avait dit le père de Sohane « elle est morte parce que c’était une fille ! ».
La solution ne peut venir que du refus de la banalisation des ces actes qui ne sauraient être considérés comme des faits divers mais bien comme des faits de société qui demandent des réponses politiques s’ajoutant à l’action en justice.
17 février 2009
Par Annie Sugier
Source : Riposte Laïque