France: Voile intégral : les syndicats de police dénoncent une loi "inapplicable"
A peine entrée en vigueur, la loi sur l'interdiction du voile intégral dans les lieux publics est déjà vivement décriée. Du côté des musulmans, qui multiplient les appels à la manifestation, mais aussi du côté des syndicats de police. Ces derniers dénoncent unanimement une loi "difficile à appliquer".
LA LOI NE SERA PAS UNE "PRIORITÉ"
Les consignes ont pourtant fait l'objet d'une circulaire spécifique. Techniquement, les policiers ne peuvent pas faire ôter leur voile aux personnes récalcitrantes. En cas de refus de se soustraire au contrôle d'identité, ces dernières encourent une peine maximale de 150 euros d'amende assortie ou non d'un stage de citoyenneté.
Des mesures "très compliquées à faire respecter sur le terrain", explique Philippe Capon, secrétaire général du syndicat UNSA-Police. "Au-delà du contrôle d'identité déjà difficile à mettre en place, faire appliquer l'interdiction totale du voile islamique dans des quartiers où il y a souvent une grosse communauté musulmane, c'est presque impossible", assure-t-il.
Même constat pour Frédéric Lagache, secrétaire général du syndicat Alliance, pourtant de sensibilité proche de l'UMP. Si le syndicaliste affirme que cette loi est"nécessaire sur le plan de la sécurité et de la citoyenneté", il reconnaît qu'elle ne sera pour aucun de ses collègues une "priorité". "Les policiers ont des missions importantes, qui concernent les crimes et les délits, on ne va pas dépenser toute notre énergie pour une simple contravention."
Sur le terrain, la "majorité des collègues trouvent cette loi complètement ridicule",d'après Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police. Pour lui, il n'est "pas question de perdre son temps sur ce genre de délit alors qu'on manque par ailleurs d'effectifs pour assurer la sécurité dans de nombreuses zones de non droit". Le syndicaliste parle même d'une "mascarade", qui risque de multiplier les démonstrations de provocation.
"FERMER LES YEUX SERA PARFOIS OBLIGATOIRE"
Les syndicats sont unanimes : tous redoutent de voir les fonctionnaires de police mis en danger à cause de cette loi. Pour le syndicat France Police, il est évident qu'en cas d'interpellation, "dans certains quartier, le ton va monter, provoquer des attroupements, et cela créera un trouble à l'ordre public plus important que si on laissait ces femmes circuler simplement".
"Ce que nous craignons, c'est la provocation", résume Philippe Capon, de l'UNSA Police, rappelant au passage "que rien de précis n'est écrit dans la circulaire d'application si la situation dégénère". A demi-mot, le syndicaliste reconnaît même que dans certains endroits, "la solution de fermer les yeux sera parfois obligatoire"pour éviter l'altercation.
Plus généralement, les syndicats de police refusent de faire les frais d'un "climat politique actuel lourd de conséquences".
UNE RÉPONSE PAS APPROPRIÉE À L'EXTRÉMISME
Dans ce contexte, le syndicat France Police dénonce "une procédure énorme pour un résultat absurde : ce n'est pas avec une contravention qu'on va lutter contre l'extrémisme religieux". Sous le couvert de l'anonymat, l'un des policiers du commissariat de Trappes (Yvelines) parle "d'huile jetée sur un feu déjà très violent".
Le syndicat France Police réclame quant à lui de concentrer les moyens sur "la pénalisation des vrais acteurs de la montée des extrémismes", et "la prévention en partenariat avec les autorités religieuses modérées".
Charlotte Chabas
LEMONDE.FR | 11.04.11 | 15h54 • Mis à jour le 11.04.11 | 19h23
Niqab : arrestations lors d'une manifestation interdite devant Notre-Dame
LEMONDE.FR avec AFP | 11.04.11 | 07h56 • Mis à jour le 11.04.11 | 16h53
Une femme portant le niqab manifeste devant Notre Dame de Paris, lundi 11 avril.REUTERS/GONZALO FUENTES
La loi qui prohibe le port du voile islamique intégral – burqa ou niqab – dans tous les lieux publics est entrée en vigueur lundi. Le texte prévoit l'interdiction, sous peine d'amende, de se dissimuler le visage, que ce soit avec un voile, un casque ou une cagoule, dans l'espace public, c'est-à-dire la rue, les jardins publics, les gares ou les commerces.
Techniquement, les forces de l'ordre n'ont pas le pouvoir de faire ôter leur voile aux personnes récalcitrantes, mais ces dernières encourent une peine maximale de 150 euros d'amende et, ou, un stage de citoyenneté. Toute personne qui obligerait une femme à se voiler risquerait quant à elle un an de prison et 30 000 euros d'amende, des peines doublées si la personne contrainte est mineure.
INTERPELLATIONS À NOTRE-DAME
Un rassemblement dénonçant cette loi a été dispersé devant Notre-Dame de Paris, provoquant l'interpellation de deux femmes en niqab et de plusieurs sympathisants."Aujourd'hui, il ne s'agissait pas d'interpeller ces gens sur la base du port du voile. C'est bien le non-respect de la déclaration de manifestation" qui est la raison de l'interpellation, a expliqué Alexis Marsan, commissaire divisionnaire à l'ordre public.
L'organisateur de ce rassemblement, Rachid Nekkaz, de l'association Touche pas à ma constitution, a affirmé avoir été "interpellé en compagnie d'une amie en niqab" devant le palais de l'Elysée, vers 10 heures, avant la manifestation prévue à Notre-Dame. "Nous voulions nous faire verbaliser pour port du niqab, mais la police n'a pas voulu nous dresser un PV", a-t-il dit, assurant avoir été "emmené au commissariat".
"INFINIMENT PEU APPLIQUÉE"
La France devient le premier pays européen à appliquer une interdiction généralisée. Adoptée par le Parlement le 11 octobre 2010 à l'issue d'un débat houleux, cette loi concernerait moins de deux mille femmes, dans un pays qui compte, selon les estimations, entre quatre et six millions de personnes de"tradition musulmane".
Le secrétaire général adjoint du Syndicat des commissaires de police, Manuel Roux, a d'ores et déjà souligné sur France Inter que cette loi allait être "infiniment difficile à appliquer" et "infiniment peu appliquée". "On va encore une fois considérer que les policiers sont en échec", a-t-il regretté. "Très clairement, c'est pas aux policiers d'aller faire du zèle", a-t-il déclaré, mais devant "des cas qui sont outrageusement provocateurs, on ne va pas rien faire non plus (...) on va lui faire comprendre, on va faire de la pédagogie (...) on va essayer de la convaincre", a-t-il expliqué.
Il rappelle que "la simple intervention de la police, par endroits, suffit à semer le trouble. Je n'ose même pas imaginer quand on va s'intéresser à une femme voilée (...) dans un milieu sensible avec des hommes qui sont très fiers, et des policiers qui auront fait le premier pas et ne pourront pas reculer."
UN SIGNE "D'ASSERVISSEMENT"
Cette législation entre en vigueur au moment où la place de l'islam et la laïcité sont devenues des thèmes majeurs du débat politique hexagonal, à un an de la présidentielle de 2012, et sur fond de montée du Front national.
La décision est contestée au-delà même des frontières de la France. Les Frères musulmans de Jordanie ont en effet dénoncé lundi l'interdiction, y voyant "l'amorce d'une bataille dangereuse". Le chef des Frères musulmans, Hammam Saïd, a estimé qu'elle est "contraire aux principes des droits de l'homme dont se targue la France". "Pour nous, cette décision porte atteinte à l'islam et à tous les musulmans dans le monde", a-t-il ajouté. L'interdiction du port du voile est "une violation d'un droit élémentaire (...). Si les femmes sont autorisées à se déshabiller sur les plages, il devrait être permis aux femmes de se couvrir et de porter le niqab".