Maroc: Mariage de mineurs : Quand arrêtera-t-on ces viols légalisés ?
L’exception est devenue la règle. Le mariage des mineurs est en nette augmentation», constate Zekia Chramo, la coordinatrice du centre d’écoute «Hawwâa» de l’Association Ennakhil. Cette ONG, née depuis une dizaine d’années à Marrakech, pour protéger les droits de la femme et de l’enfant, se montre de plus en plus préoccupée par le phénomène du mariage des mineurs, surtout les filles. «Les juges autorisent à 90 % le mariage de fillettes entre 13 et 14 ans. Pourtant, ces autorisations ne devaient être délivrées qu’à titre exceptionnel et après plusieurs enquêtes», rappelle Zekia Chramo.
Ce constat amer a légitimé, pour l’Association Ennakhil, l’urgence d’organiser un débat, vendredi dernier à Marrakech, afin de tirer la sonnette d’alarme. «Pour autoriser le mariage d’un ou d’une mineur (e), la loi recommande une expertise médicale et psychologique du concerné ainsi qu’une enquête sociale. Mais, souvent le juge se contente d’une évaluation personnelle sur la base de l’aspect physique du concerné.La taille de la fillette peut ainsi lui suffire pour délivrer l’autorisation», regrette la coordinatrice du centre d’écoute. Et de préciser que ce qui aggrave encore plus la situation réside dans l’aspect définitif de cette autorisation : «Il n’y a pas de voie pour un quelconque recours. Personne ne peut demander son annulation et nous, en tant qu’ONG, nous ne pouvons pas intervenir. Cette situation est, en fait, contradictoire avec la volonté de la moudawana de protéger la famille entière».
Puisqu’il n’est pas possible d’«annuler» cette autorisation dans l’immédiat, l’Association Ennakhil espère qu’un changement pourra bientôt offrir, ne serait-ce qu’un droit de recours contre ce «privilège» accordé au seul juge. C’est l’une des recommandations essentielles auxquelles a abouti la table ronde où l’ONG revendique que l’âge du mariage autorisé par la loi soit élevé de 18 à 21ans. «L’expertise médicale et sociale doit être également obligatoire avant toute autorisation, comme le stipulent les articles 20 et 21 du code de la famille», souligne la coordinatrice du centre d’écoute. A terme, l’ONG espère voir disparaître le mariage des mineurs en revendiquant son interdiction quel que soit le prétexte pouvant le légitimer. En attendant, parce qu’il faut y aller pas à pas, l’Association Ennakhil appelle à ce que l’autorisation de ce mariage soit prise par un comité de législateurs et non pas par un seul juge et que la différence d’âge dans le couple ne soit pas énorme, comme il est le cas actuellement. L’ONG explique son opposition à ce mariage par des faits et des expériences vécues. L’état social déplorable des jeunes ayant été victimes du mariage précoce inquiète, jour après jour, la société civile.«Au centre d’écoute, nous recevons plusieurs cas de mineures qui ont été contraintes d’abandonner leur vie normale pour se retrouver du jour au lendemain dans l’enfer», s’indigne Zekia Chramo. 28 cas de mariages de mineures ont été recensés par le centre, rien que ces derniers mois.«Le mariage a pris l’aspect d’une affaire commerciale au Maroc», tient à souligner l’ONG, précisant que la grande majorité des mineures ayant été mariées, plus précisément dans le milieu rural, échappent toujours aux statistiques du ministère de la Justice. Avec une simple «Fatiha» et aucun acte de mariage, des milliers de fillettes se transforment en femmes mariées sans même en avoir la conscience.
Pour l’Association Ennakhil, l’ignorance des familles et l’absence d’une éducation sexuelle, entre autres, amplifient très certainement le phénomène. Raison pour laquelle l’Association Ennakhil recommande la sensibilisation des familles et le renforcement du rôle de la société civile dans ce but. La justice est également appelée à être plus efficace en optant dans ces cas pour «Al Ijtihad». Car, l’ONG impute la défaillance dans l’application en bonne et due forme de l’article 20 de la moudawana au département de la Justice. L’Association dénonce aussi le «cancer» de la corruption, le contournement de la loi et l’inexistence d’enquêtes sociales pour mieux cerner la problématique.
C’est une question dont dépend l’image du Maroc, son engagement pour le respect des droits de l’Homme. Les chiffres les plus récents du ministère de la Justice montrent qu’en 2009, 33.253 actes de mariage de mineurs ont été conclus, soit 10,58% de l’ensemble. En 2008, ce type de mariage représentait 9,98%. L’augmentation risque de se poursuivre tant que les autorisations pour le mariage des mineurs se multiplient. C’est ce que redoutent le plus la société civile qui ne cessera jamais de fustiger ces «viols légalisés» !
LEILAHALLAOUI | 9 JUIN 2010