Dossier 27: Faut-il des lois différentes pour des personnes différentes vivant dans une même province ?
Date:
juin 2006
doss27/f
number of pages:
92
ISBN/ISSN:
1018-1342 Malgré tout notre respect pour le travail de Mme Boyd, nous rejetons ses conclusions pour plusieurs raisons, principalement parce qu’elles ne reconnaissent pas la vulnérabilité des femmes qui mettent fin à une relation abusive créée par un régime de résolution privée de conflit.
Principes de base de METRAC
Tout au long de son implication dans le processus de consultation qui a abouti à cette révision et dans l’analyse de cette révision, METRAC s’est basé sur plusieurs principes. Nous estimons qu’il est important de les préciser au début de cet article.
METRAC s’inquiète particulièrement de l’impact d’une résolution différente de conflits pour les femmes qui souffrent d’abus au sein de leur relation.
METRAC s’inquiète de l’usage de toute forme de résolution différente de conflits, y compris la médiation ou l’arbitrage. Depuis plusieurs années, la position de METRAC est la suivante : la médiation n’est pas la solution adéquate dans les cas où il existe un déséquilibre de pouvoir dans une relation familiale, à cause d’abus et de violence.
METRAC constate que le système laïc de droit et de tribunal familiaux se révèle incapable de respecter l’égalité des femmes et de garantir la sécurité et le bien-être des femmes qui mettent fin à des relations abusives.
METRAC reconnaît que, même si le système de droit familial public peut paraître de nature laïque, il se base en réalité sur des principes et des valeurs judéo-chrétiens qui le rendent culturellement inaccessible à de nombreuses personnes.
L’intérêt de METRAC pour cette révision concerne l’adéquation de lois ou codes religieux quels qu’ils soient pour résoudre les conflits de droit familial, et pas seulement l’usage de la loi Charia au sein de la communauté musulmane. De nombreuses religions, y compris la religion dominante du Canada (la religion chrétienne), refusent de reconnaître les droits des femmes à l’égalité, ainsi que les nombreux problèmes de violence envers les femmes et les enfants au sein de la famille.
METRAC s’engage à travailler avec les organisations musulmanes qui oeuvrent pour l’égalité des femmes et à soutenir leurs positions, en particulier le Conseil Canadien des Femmes Musulmanes, car ces organisations apportent l’expérience vécue et la compétence nécessaires pour mener à bien cette discussion.
METRAC reconnaît la position unique des habitants des premières nations qui bénéficient du droit constitutionnel à l’autonomie, y compris le droit à un système séparé pour traiter des conflits familiaux et autres.
Introduction
L’Islamic Institute of Civil Justice annonçait à l’automne 2003 qu’il comptait diriger des arbitrages en suivant le droit personnel islamique, comme l’autorise la loi d’arbitrage de l’Ontario de 1991. Lors de cette annonce, son président Syed Mumtaz Ali a fait une série de déclarations qui laissaient entendre que les Musulmans devraient utiliser ce tribunal Charia s’ils voulaient être considérés comme de « bons Musulmans ».
Il y eut une vive réaction du public suite à cette annonce. De nombreuses organisations oeuvrant pour l’égalité des femmes, ainsi que de nombreuses communautés religieuses (dont certaines musulmanes) ont exprimé leur inquiétude face à la situation très vulnérable dans laquelle les femmes se retrouveraient en cas d’usage de lois religieuses qui ne respectent pas leur égalité. Une autre inquiétude a été soulevée au sujet des femmes forcées à utiliser le droit religieux dans le processus d’arbitrage.
Suite à ces inquiétudes, le gouvernement de l’Ontario a demandé à Marion Boyd de mener une révision du processus d’arbitrage en ce qui concerne le droit familial et la succession. La marche à suivre de son travail était la suivante (entre autres) :
« La mission confiée à Marion Boyd consiste à fournir des conseils et des recommandations au procureur général et au ministre délégué à la Condition féminine à propos de l’usage de l’arbitrage pour résoudre les problèmes de famille et de succession et de son incidence possible sur les citoyens les plus vulnérables, parmi lesquels les femmes, les personnes handicapées et les personnes âgées.
Mme Boyd, assistée par le personnel du gouvernement, consultera les parties concernées pour déterminer leurs points de vue. »
De juin à septembre 2004, Mme Boyd a rencontré environ 50 groupes, parlé à de nombreuses personnes et parcouru « un nombre incalculable de lettres et de documents de la part de citoyens concernés de l’Ontario ».
Son rapport a été présenté au Procureur général et au ministre délégué à la condition féminine le 20 décembre 2004.
Résumé de la loi d’arbitrage
La loi d’arbitrage de l’Ontario régit la manière dont les conflits peuvent être résolus en dehors du système judiciaire. Le principe de base de cette loi est le suivant : les personnes qui le souhaitent peuvent résoudre leurs conflits en suivant la décision d’une tierce personne de leur choix et doivent de ce fait en accepter le résultat. Ce statut a permis, comme son prédécesseur, de résoudre des conflits familiaux par l’arbitrage.
La loi définit plusieurs règles:
- l'arbitrage se base sur un contrat, un « Accord d'arbitrage », qui, une fois signé, doit être exécuté ;
- les parties sont libres d’élire la personne de leur choix en tant qu'arbitre. Aucune qualification n'est requise ;
- la sentence de l'arbitrage doit être écrite et doit fournir des raisons ;
- l'arbitre doit prendre sa décision en respect du droit civil, sauf dans le cas où les parties en conviennent autrement.
- l'arbitrage doit être volontaire ;
- l'arbitre ne peut pas obliger une personne à commettre un acte illégal selon le droit canadien ;
- les affaires criminelles ne peuvent pas être traitées par l'arbitrage. La raison tient au fait que le droit pénal n'est pas un conflit entre des personnes, mais plutôt entre l'État (la Couronne) et un individu ;
- les arbitrages doivent être menés de manière équitable et impartiale.
En ce qui concerne l’usage du droit religieux pour régler les conflits familiaux, comme l’indique Mme Boyd dans son rapport (p. 12) : « le libellé de la loi semble permettre le choix de règles de droit différentes, telles que la loi religieuse ou même une série de règles établies par une organisation privée ou par les parties elles-mêmes, pour régir leurs rapports. »
En d’autres mots, les individus sont libres d’utiliser l’arbitrage privé sur base du droit religieux depuis la rédaction de la première loi en Ontario. L’annonce publique en 2003 par l’Islamic Institute of Civil Justice révélait simplement son intention de créer un tribunal Charia basé sur la législation actuelle.
Résumé du rapport
Le rapport de Mme Boyd se divise en 8 sections. Elle présente d’abord une introduction, suivie d’un examen de la loi et de la pratique de l’arbitrage. Elle étudie ensuite le droit de la famille et des successions, à l’échelon fédéral et ontarien. Vient ensuite un résumé des consultations, qui contient de nombreuses citations des soumissions qu’elle a reçues. Elle analyse les considérations d’ordre constitutionnel, puis propose une analyse d’ensemble du problème de l’arbitrage, du droit familial et des conflits familiaux. Elle résume les suggestions provenant des soumissions qu’elle a reçues et conclut le document avec ses recommandations au gouvernement de l’Ontario.
Droit de la famille et des successions
Au cours de son examen du droit familial public au Canada et en Ontario, Mme Boyd souligne plusieurs choses :
- de nombreux couples qui se séparent négocient déjà leur conflit en dehors des mécanismes juridiques. Cela peut aller du simple arrangement (les deux personnes négocient une solution entre elles sans aide externe) aux procédés plus formels que sont la médiation et l'arbitrage ;
- en cas de tels accords, le Family Law Act (FLA) exige que ces derniers soient mis par écrits, signés par les parties, qu'il y ait des témoins, que les intérêts de l'enfant soient respectés et que l'accord soit en conformité avec les directives d'assistance aux enfants. Les accords doivent démontrer que les deux parties ont reçu des conseils juridiques indépendants ou qu'elles y ont renoncé ;
- lorsque des personnes résolvent leur conflit familial sans l'aide du système juridique familial, souvent elles « agissent sous le couvert de la loi, généralement dépourvues d'une compréhension profonde de ce qui est permis ou requis par la loi » ; [2]
- certaines personnes renoncent à leurs droits juridiques pour accélérer la résolution du conflit ;
- les gens doivent être fidèles à leurs choix personnels.
Il apparaît clairement, à la lecture du rapport, que Mme Boyd a entendu un grand nombre d’organisations et de personnes lors de ses consultations. Les nombreux participants représentaient plusieurs institutions religieuses (Islamic Forum of Canada, Canadian Council of Muslim Women, B’nai B’rith Canada, Canadian Islamic Congress, Canadian Coalition of Jewish Women for the Get, Christian Legal Fellowship, Muslim Canadian Congress, Canadian Jewish Congress, etc.), les organismes d’immigrés étaient également représentés (Catholic Immigrant Centre, National Organization of Immigrant and Visible Minority Women of Canada, Ontario Council of Agencies Serving Immigrants, etc.), tout comme les organismes pour les droits d’égalité des femmes et contre la violence (National Association of Women and the Law, Metropolitan Action Committee on Violence Against Women and Children, Ontario Association of Interval and Transition Houses, Action ontarienne contre la violence faite aux femmes, Barbra Schlifer Commemorative Clinic, etc.), ainsi que des avocats, des arbitres et des médiateurs. Certaines soumissions venaient même de groupes de pères de droite (Fathers Are Capable Too, Fathercraft Canada).
Boyd identifie plusieurs thèmes dans les soumissions :
- l'arbitrage ne doit pas servir à résoudre les affaires de droit familial ;
- l'arbitrage doit continuer à être autorisé dans le droit familial ;
- l'arbitrage ne doit pas se baser sur des lois religieuses, en particulier sur le droit personnel islamique ;
- l'arbitrage doit être autorisé dans le droit familial, selon des principes religieux.
L’arbitrage ne doit pas servir à résoudre les affaires de droit familial
- Ses effets sont ou peuvent être discriminatoires envers les femmes ;
- La nécessité de gagner du temps et de réduire les frais juridiques ne doit pas compromettre les droits des femmes et des enfants ;
- Lorsque des femmes signent un accord d'arbitrage à la date de leur mariage, elles se retrouvent prisonnières de celui-ci en cas de séparation, même si elles ne considèrent plus l'arbitrage comme la meilleure solution, à cause d'abus au sein de leur relation ;
- L'Ontario devrait suivre le Québec en interdisant le règlement des problèmes de droit familial par l'arbitrage ;
- Même si le droit public n'est pas parfait, c'est un processus public qui permet un certain examen, un apport et une attention du public.
- L'arbitrage est déjà très répandu ;
- Très peu de règlements par arbitrage se terminent devant le tribunal, car les clients ont l'impression « d'exercer le contrôle du processus et de s’approprier le résultat » ;
- Le système de droit familial est insuffisant. L'arbitrage peut combler cette lacune ;
- Les parties peuvent choisir un arbitre spécialisé en droit familial ;
- L'usage de la médiation et de l'arbitrage est un moyen de « réduire la discontinuité et le stress consécutifs à une séparation. »
- La plupart des religions présentent un contexte d'inégalité inhérente entre hommes et femmes, ce qui débouche sur un déséquilibre de pouvoir entre eux en cas de conflit ;
- De nombreuses formes du droit familial musulman perpétuent un modèle patriarcal ;
- Il est possible que l'arbitrage ne soit pas choisi librement, à cause de « forte pression basée sur la culture et/ou sur la religion ou sur la crainte d'exclusion » ;
- Les femmes battues, en particulier, ne sont pas « libres de choisir » ;
- les femmes récemment immigrées de pays qui pratiquent la loi Charia seront particulièrement vulnérables, car elles ne connaissent pas nécessairement leurs droits au Canada.
- La croyance juive utilise déjà l'arbitrage basé sur le droit religieux à travers son Beis Din. Ce tribunal oeuvre depuis de nombreuses années. Il traite environ 30 cas de conflits familiaux par an ;
- La médiation et l'arbitrage sont également pratiqués par certains organismes chrétiens ;
- Les Musulmans Shi’a Imami Ismaili ont développé un modèle de conciliation et d’arbitrage qui comprend l’instauration de commissions de conciliation et d’arbitrage oeuvrant dans 5 régions du Canada ainsi que dans d’autres juridictions à travers le monde ;
- Une mosquée Sunni de Toronto propose déjà un service de médiation et d’arbitrage auquel font parfois appel les tribunaux familiaux ;
- Les croyants ont le droit de « vivre dans ce monde selon leurs croyances, même si ces choix ont un effet sur leur bien-être matériel » ; [3]
- Le droit d'utiliser l'arbitrage sur base de principes religieux est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit la liberté de religion ;
- Depuis le 11 septembre 2001 particulièrement, les Musulmans sont souvent victimes de racisme et de discrimination, y compris dans le système judiciaire familial ;
- Le droit familial laïque ne reconnaît que les familles traditionnelles « judéo-chrétiennes », c'est-à-dire deux adultes et les enfants naissant de cette relation, tandis que les familles musulmanes considèrent la famille au sens large. Par conséquent, les problèmes de propriété, de soutien et de garde d'enfants provenant de séparations dans ces familles ne peuvent pas nécessairement être résolus par le droit familial laïc.
Marion Boyd cherche à déterminer si la Charte répond à la question suivante : l’arbitrage (en particulier lorsqu’il se base sur le droit familial) empiète-t-il sur certains droits et libertés ? Elle examine particulièrement la section 32 pour déterminer si cette question relève en fait de la compétence de la Charte. Elle conclut que l’arbitrage étant un acte privé et la Charte ne s’appliquant qu’aux actions du gouvernement, il (l’arbitrage) n’est pas couvert par la Charte. Elle corrobore cette opinion en ajoutant :
« De plus, l’arbitrage est un acte privé, car il n’est pas rendu obligatoire par l’État » (. . .) Les Musulmans de l’Ontario, comme tous les Ontariens, gardent le droit de choisir entre un système de justice traditionnel ou alternatif pour résoudre leurs conflits. (...) Lorsque les personnes créent entre elles des relations juridiques sous leur propre autorité, en tant qu’individus juridiquement capables, il semble que cela donne lieu à une relation de droit privée. (... ) Bien que l’arbitrage du droit familial et des problèmes de succession puisse nuire aux femmes en particulier, il n’en demeure pas moins un accord privé à propos de conflits personnels. » [4]
Mme Boyd étudie également les sections de la Charte qui garantissent la liberté de religion (Sec. 2(a)) et la consolidation du patrimoine multiculturel canadien (Sec.27). Elle conclut :
« Le fait d’interdire aux Musulmans ou à tout autre groupe identifiable de l’Ontario l’arbitrage du droit familial et des problèmes de succession, tandis que d’autres peuvent continuer à arbitrer selon les principes de leur choix, comme l’ont suggéré certains commentateurs, soulèverait la question de savoir s’il existe ou non une violation de la Charte par le gouvernement. Du fait que la loi d’arbitrage offre un cadre commun à tous les Ontariens, le gouvernement ne doit pas exclure un groupe de personnes particulier sur base d’une interdiction. » [5]
Mme Boyd souligne l’importance du consentement et du choix : « Les personnes ont le droit d’effectuer des choix que d’autres n’estimeraient pas corrects, pour autant qu’elles soient juridiquement en mesure d’effectuer de tels choix et que ces derniers soient autorisés par la loi. (...) Nous acceptons le fait qu’il existe des sphères privées au sein desquelles les gens doivent être libres de vivre comme ils le souhaitent, sans être obligés de souscrire aux valeurs de l’État. » [6]
Elle en conclut qu’une interdiction de l’arbitrage, y compris l’arbitrage basé sur le droit religieux, serait synonyme d’un « paternalisme que j’estimerais importun et inadéquat. »
Analyse
Le rapport offre un aperçu historique du développement du droit public, ainsi que les approches choisies par d’autres pays occidentaux. Mme Boyd analyse également la question de la séparation entre l’Église et l’État. Selon elle, le Canada « n’a jamais eu de politique ou de législation claire pour définir la séparation entre l’Église et l’État. » [7]
Elle souligne que les lois canadiennes et ontariennes se basent sur des principes judéo-chrétiens. Par conséquent, « les lois de la province et leur application sont plus facilement assimilables pour certaines cultures que pour d’autres, ce qui amplifie leur impact de manière disproportionnée sur ceux qui n’appartiennent pas à la culture dominante. Cet impact disproportionné peut marginaliser les personnes qui ne se reconnaissent pas dans nos lois. » [8]
La section Analyse du rapport s’intéresse à la violence domestique, à l’appauvrissement des femmes et des enfants lors de ruptures et au problème de l’accès à la justice (le manque d’assistance juridique concernant l’arbitrage et l’absence d’une obligation d’informer tous les participants d’un arbitrage de leurs droits et possibilités juridiques). Bien qu’elle reconnaisse ces problèmes, elle conclut :
« En fin de compte, les parties à la recherche d’une forme de résolution de conflits plus personnalisée, donc plus acceptable, peuvent trouver celle-ci à travers le processus d’arbitrage. Pour de nombreuses personnes, cela revient à choisir un mécanisme de résolution de conflits qui reconnaisse leur appartenance culturelle, leur système de valeurs personnel, leurs croyances et leur foi. » [9]
Suggestions des soumissions du rapport
Avant de présenter ses recommandations, Mme Boyd résume les suggestions qu’elle a reçues au sujet de l’arbitrage, en particulier religieux, des affaires familiales. Ces suggestions couvrent les domaines suivants :
- l'enseignement et la formation des médiateurs et des arbitres, en ce compris l'enseignement de la dynamique et des risques de la violence familiale ;
- la réglementation des arbitres et médiateurs ;
- l'accord d'arbitrage, en particulier le problème de déterminer quand cet accord doit être mis par écrit et signé ;
- le conseil juridique indépendant ;
- la disponibilité d'assistance juridique ;
- la soumission des accords et des octrois d'arbitrage au FLA ;
- l'élargissement des possibilités d'appel ou de révision des décisions d'arbitrage ;
- l'enseignement public et la responsabilité des collectivités.
Mme Boyd conclut son rapport par 46 recommandations pour le gouvernement. Celles qui nous intéressent le plus sont les suivantes :
- L'arbitrage doit rester une alternative de résolution de conflits dans les affaires familiales et les successions, en respect des autres recommandations de ce rapport.
- La loi d'arbitrage doit continuer à autoriser l'arbitrage des conflits au moyen du droit religieux, si les garanties prescrites et recommandées par ce rapport sont observées.
Elle propose d’amender la loi d’arbitrage pour permettre à un tribunal de rejeter une décision d’arbitrage si elle ne reflète pas les intérêts des enfants concernés ou si l’une des parties n’a pas reçu ou renoncé à une assistance juridique indépendante (recommandation 9).
Les recommandations 12 et 13 demandent que le règlement de la loi d’arbitrage et du FLA concernant les accords d’arbitrage de droit familial définisse, entre autres :
- si l'arbitrage s'opère sous droit religieux, que les parties concernées aient reçu et parcouru la déclaration de principes de l'arbitrage basé sur la foi ;
- une déclaration explicite selon laquelle il n'est pas possible de renoncer aux recours judiciaires et au droit à un traitement juste et équitable ;
- une déclaration explicite de l'impossibilité de renoncer à un contrôle des problèmes qui concernent les enfants ;
- la nécessité que de tels accords contiennent soit un certificat d'assistance juridique indépendante ou de renoncement explicite à une telle assistance.
D’autres recommandations concernent aussi des sujets de législation et de réglementation, ainsi que les domaines du conseil juridique indépendant, de l’enseignement public du droit, de la formation des professionnels, du contrôle et de l’évaluation des arbitrages, du développement des communautés et d’autres développements des politiques.
Analyse de METRAC
Il ne fait aucun doute que le rapport de Marion Boyd est exhaustif. Elle a reçu et parcouru les soumissions de personnes et d’organismes représentant un panel d’opinions très vaste. De plus, elle a apparemment effectué des recherches considérables.
De plus,il ne fait aucun doute que ce sujet (l’utilisation de l’arbitrage, en particulier l’arbitrage basé sur le droit religieux, pour résoudre des conflits familiaux) est très complexe. De nombreux intérêts sont en compétition, les principaux étant probablement la liberté de religion et les droits d’égalité des femmes.
Nous sommes d’accord avec les inquiétudes de Mme Boyd formulées à la page 46 de son rapport : « Pour de nombreuses personnes qui arrivent ici en provenance d’autres pays, les lois occidentales ne paraissent pas être de nature laïque mais chrétienne, car elles valorisent des valeurs chrétiennes telles que la monogamie ou les restrictions qui entourent le divorce. » Ce problème important mérite une attention particulière.
Le fait que la loi d’arbitrage ait toujours autorisé la résolution privée des conflits familiaux en Ontario, au moyen des règles ou lois acceptées par les parties concernées, rend la résolution plus difficile encore. Cette discussion serait beaucoup plus aisée en l’absence de la législation actuelle.
Malgré ces problèmes et difficultés et malgré un examen minutieux du rapport de Mme Boyd, METRAC maintient la position qui était la sienne au commencement du processus :
nous nous opposons à l’arbitrage, en particulier l’arbitrage basé sur un système de lois religieuses, dans les conflits de droit familial, parce que nous estimons qu’il ne garantit pas les droits d’égalité des femmes et des enfants.
Les conclusions de Mme Boyd semblent se baser sur le présupposé que les femmes ont atteint l’égalité en Ontario. Ce présupposé la conduit à estimer que les femmes sont dès lors libres d’effectuer leurs propres choix en ce qui concerne la résolution des conflits familiaux et qu’une intervention de l’État pour limiter ou modifier ces choix d’une manière ou d’une autre serait « paternaliste ».
Nous ne sommes pas d’accord. Malgré les progrès accomplis pour garantir officiellement l’égalité des femmes, la réalité est toute différente. Les femmes canadiennes gagnent nettement moins d’argent que les hommes. En effet, dans les familles qui ont connu une séparation, les femmes et les enfants vivent de manière précaire comparativement aux hommes, dont le niveau de vie augmente généralement dans ce cas. Les femmes sont nettement sous-représentées aux postes importants en politique ou en entreprise. Dans la plupart de ces familles, les femmes continuent à s’occuper plus des enfants et à accomplir plus de tâches ménagères. Un point important dans le contexte qui nous préoccupe est que les femmes sont les premières victimes de violence (physique, sexuelle et psychologique).
Les femmes appartenant à des communautés marginales sont particulièrement vulnérables. Certaines viennent de communautés dont les normes culturelles ou religieuses placent l’homme à la tête du ménage, détenteur du pouvoir. Dans certains cas, la « discipline » physique envers les femmes pour « mauvais comportement » est considérée comme normale. De plus, souvent les femmes de ces communautés ont peu ou pas d’accès de manière indépendante aux informations concernant leurs droits au Canada, ce qui accentue leur isolement et leur vulnérabilité. Il est d’autant moins probable que leurs « choix » concernant la résolution de conflits familiaux soient pleinement informés et libres.
Nous estimons en effet que pour de nombreuses femmes qui mettent fin à une relation d’abus le choix spontané est illusoire. C’est ce que nous démontrent nos études et notre expérience de la médiation durant les dix dernières années. Bien que la médiation ne soit pas obligatoire en Ontario pour la résolution des affaires de droit familial, elle est très bien considérée. Des femmes battues disent éprouver le sentiment de n’avoir pas d’autre choix que la médiation, même lorsqu’elles savaient que le résultat ne leur serait pas favorable ou que leurs enfants en souffriraient.
Pour ces raisons, tout usage de l’arbitrage, en particulier l’arbitrage basé sur le droit religieux, doit être abordé avec grande précaution. Selon nous, en l’absence d’égalité pour les femmes, la résolution privée des conflits familiaux ne doit pas être encouragée ou bénéficier d’une autorité législative.
D’autres éléments du rapport nous inquiètent :
- nous ne sommes pas d'accord avec la conclusion de Mme Boyd lorsqu'elle déclare que la Charte ne peut pas s’appliquer à l’arbitrage ;
- nous sommes déçus par le fait que son analyse ne prend pas en compte le point de vue des femmes ;
- son manque de volonté de garder le droit familial dans le domaine public, plutôt que dans la sphère privée (ce qu'autorise l'arbitrage) est très troublant. Les groupes qui revendiquent l'égalité des femmes luttent depuis des années pour placer le droit familial et la violence familiale dans la sphère publique. Un retour à une résolution privée des conflits entraînerait une résurgence du déséquilibre du pouvoir entre hommes et femmes ;
- Mme Boyd semble vouloir remplacer un mauvais système (les concepts judéo-chrétiens sous-jacents du système public de droit familial) par un autre (avec la création d'autres systèmes de droit familial d'inspiration religieuse). Il suffit d'observer le problème de l'enseignement religieux public et privé, par exemple, pour constater les lacunes de cette approche ;
- nous estimons que le rapport ne prend pas suffisamment au sérieux le problème de la violence envers les femmes dans la famille, ainsi que ses conséquences sur la capacité des femmes à exercer des choix libres.
- que l'Ontario amende la loi d'arbitrage pour garantir que tous les tribunaux religieux se limitent à la médiation, en ce qui concerne les sujets de droit familial, et que les décisions finales sur ces sujets reviennent au système juridique familial public ;
- que des formations et une instruction soient apportées aux juges, avocats, médiateurs, greffiers et autres pour améliorer leur compréhension et leur connaissance des croyances et valeurs culturelles et religieuses autres que judéo-chrétiennes en ce qui concerne les problèmes familiaux ;
- que le système juridique familial soit rendu plus efficace, afin que les affaires de tribunal familial puissent avancer plus rapidement à travers le système. Bien que nous soyons tangentiels sur la substance du rapport, nous relevons une des soumissions faites à Mme Boyd, qui disait : « nous observons la création d'une justice à deux vitesses : ceux qui ont les moyens, par essence, de choisir et d'engager leur propre juge pour prendre les décisions concernant leur cas créent leur propre tribunal privé. Les autres "languissent" dans le système public » ;
- que des consultations soient effectuées avec les communautés religieuses et culturelles pour que l'on trouve des moyens de rendre la "culture" de tribunal familial plus accessible et accueillante à toutes les personnes qui doivent l'utiliser ;
- que le gouvernement ontarien s'efforce à garantir que les juges, les avocats, les médiateurs et autres personnes du tribunal familial comprennent pleinement les problèmes des droits d'égalité des femmes et de violence contre les femmes pour améliorer la qualité des décisions du tribunal familial ;
- que le gouvernement ontarien travaille en collaboration avec les groupes communautaires adéquats (dont des groupes ayant pour but l'égalité des femmes, ainsi que des groupes culturels et religieux) pour développer des matériaux éducatifs sur les droits des femmes et le droit familial canadien, qui seront conçus pour répondre aux besoins des différentes communautés ; et
- que les ressources de Legal Aid Ontario soient accrues pour garantir une représentation juridique correcte pour tous.
Les consultations de Mme Boyd et le rapport qui en découle sont la conséquence d’une déclaration de la part d’une communauté religieuse d’utiliser la loi d’arbitrage, tel qu’il a été rédigé, pour la résolution des conflits familiaux.
Toutefois, le résultat fut un examen de l’arbitrage lui-même, ainsi que de la place du droit religieux dans l’arbitrage. Cette démarche très utile et difficile a permis aux Ontariens de se pencher sur les engagements pour l’égalité des femmes, la liberté de religion et le multiculturalisme. La discussion s’est également portée sur des notions philosophiques et politiques au sujet des domaines public/privé, de la liberté de choisir et du rôle de l’État dans des affaires quasi privées.
Bien que nous ne soyons pas d’accord avec les conclusions et les recommandations de Mme Boyd, nous sommes reconnaissant de l’occasion offerte d’examiner ces problèmes très importants et nous prions le gouvernement de tenir compte de nos recommandations. Nous pouvons avancer dans une voie qui respecte les droits d’égalité des femmes, ainsi que les différences culturelles et religieuses au sein d’un même système de lois pour toutes les personnes de la communauté.
Remerciements
Cet article est réimprimé avec l’aimable autorisation de Pamela Cross et du Metropolitan Action Committee on Violence Against Women and Children (METRAC).
Notes
* Pamela Cross est directrice du Metropolitan Action Committee on Violence Against Women and Children (METRAC), organisme basé à Toronto, actif dans les domaines de la justice envers les femmes et les enfants, la prévention de la violence, la sécurité des personnes et l’éducation publique concernant tous les problèmes de violence envers les femmes et les enfants. Pour de plus amples informations, vous pouvez consulter le site : http://www.metrac.org
- M. Boyd, ‘Dispute Resolution in Family Law: Protecting Choice, Promoting Inclusion’ (Décembre 2004), http://www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/english/about/pubs/boyd/
- Ibid., p. 22.
- Ibid., p. 63.
- Ibid., pp. 72–73.
- Ibid., p. 74.
- Ibid., pp. 75-76.
- Ibid., p. 86.
- Ibid., p. 90.
- Ibid., p. 10.