Dossier 20: Rapport national sur la Turquie
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décembre 1997 Attachment | Size |
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179 La Turquie a un système de gouvernement laïc et fonctionne en principe comme une démocratie. Elle demande actuellement à entrer dans l’Union européenne et est déjà partie signataire des accords sur l’unité douanière européenne. Beaucoup de nouvelles lois ont récemment été votées en Turquie, dont un nouveau service de santé national et des lois renforçant les peines en cas de viol et de violence domestique.
Malgré ces changements prometteurs, beaucoup de groupes marginalisés, dont les minorités ethniques, religieuses et sexuelles, se voient toujours refuser leurs droits. Les violations des droits humains en Turquie ont augmenté à mesure que le fondamentalisme religieux gagnait en puissance au cours de ces dernières années.
Pressions culturelles et sociales sur les lesbiennes
La Turquie est peuplée à 99 % de musulmans. Bien que le pays ait une longue tradition de laïcité, les fondamentalistes religieux sont actuellement en train de renforcer leur pouvoir politique et leur influence dans le pays. Comme c’est le cas avec toute forme de fondamentalisme religieux, le fondamentalisme musulman risque de mettre en danger toutes les communautés marginalisées.
L’homosexualité est interdite par le droit islamique. Le Coran parle de la Tribu de Lur, dont les hommes faisaient l’amour entre eux ; pour punir cette transgression, Allah leur envoya une pluie de pierres. Dans beaucoup de mosquées en Turquie, les autorités religieuses prêchent contre l’homosexualité et déclarent que le sida est une autre pluie de pierres sur les homosexuels. A cause de tels enseignements, les enfants turcs grandissent en croyant que les lesbiennes et les homosexuels sont des pêcheurs. L’homosexualité est considérée comme une menace à la famille et, par extension, à la société en général.
Situation juridique
Le Code pénal turc a été soumis à une série de révisions, dès le début du XIXème siècle, basées principalement sur la législation française. Bien que l’homosexualité ne soit pas mentionnée dans la législation turque, il existe cependant plusieurs dispositions générales ponctuellement appliquées contre les minorités sexuelles. Les lois qui interdisent l’attentat à la pudeur et les outrages à la morale publique[1], sont le plus souvent utilisées contre les travestis, les transsexuels et les homosexuels, notamment ceux qui font commerce de leur sexe. Du fait du caractère assez général de ces lois, elles sont très difficiles à remettre en question, même lorsqu’elles sont utilisées de manière discriminatoire.
En juillet 1993, les autorités municipales d’Istanbul sont intervenues pour empêcher un groupe de lesbiennes et d’homosexuels d’organiser une fête en l’honneur de la communauté homosexuelle. Une semaine avant l’événement, les organisateurs avaient également reçu des appels des groupes fondamentalistes menaçant de mettre une bombe dans le cinéma où les activités devaient avoir lieu. Ce harcèlement a été partiellement provoqué par des informations incendiaires dans le journal Bügün qui, pendant une semaine entière, a consacré sa dernière page à la manifestation. Des articles annonçaient que des “pervers” se rencontreraient à Istanbul et que des “pervers” étrangers viendraient entraîner de force la jeunesse turque dans la décadence. Le jour prévu pour le début de la manifestation, le Gouverneur d’Istanbul a envoyé des fax dans les hôtels de la ville leur ordonnant de ne pas accepter les participants étrangers. Le jour d’après, les autorités turques ont arrêté et expulsé 28 représentants étrangers présents pour participer à la manifestation. En outre, trois turcs ont été arrêtés pour avoir participé à l’organisation de la manifestation. Des lettres de protestation sont arrivées du monde entier, et l’incident figure dans le rapport de 1993 publié par la Fondation des droits humains, sur les violations des droits humains en Turquie.
Il n’existe aucune information sur des lesbiennes turques arrêtées ou soumises d’une autre façon à la persécution de l’Etat pour motif de leur orientation sexuelle. C’est en partie due au manque de visibilité des lesbiennes dans la vie publique turque. Les lesbiennes ne sont pas visibles dans la rue ou dans les bars et les événements de 1993 ont jeté un doute sur leur capacité ou sur celle des homosexuels à constituer une organisation légale, étant donné qu’il faudrait une immatriculation officielle. Le premier groupe turc de lesbiennes, Venusün Kizkardesieri (Sœurs de Vénus), a été créé en juillet 1994, mais le groupe n’a pas d’existence légale et ne peut pas ouvrir un compte bancaire ou se manifester de quelqu’autre manière publique.
Isolement des lesbiennes
Les préjugés omniprésents dans la société turque mettent les lesbiennes sous une pression énorme. Il est très difficile pour une lesbienne, particulièrement une jeune lesbienne, de s’assumer personnellement ou devant sa famille ou ses amis. Chaque lesbienne doit trouver sa propre voie, sans l’aide d’une communauté de lesbiennes visible ou n’importe quelle autre organisation d’entraide. Les mariages forcés sont très courants, notamment dans les zones rurales, et les filles grandissent en croyant qu’il n’existe aucune alternative au mariage hétérosexuel. Dans les grandes villes, les cas de mariage forcés ne sont pas aussi élevés, mais les jeunes lesbiennes sont souvent envoyées à des psychologues pour être “soignées”.
S’organiser entre lesbiennes
Les lesbiennes qui ont réussi à vivre de manière indépendante ont du mal à joindre d’autres lesbiennes. Les réunions de Sœurs de Vénus, premier groupe de lesbiennes en Turquie, ont commencé en juillet 1994. Le groupe était alors composé de trois lesbiennes. Il comprend maintenant 20 membres et les inscriptions ne cessent d’augmenter à mesure que davantage de femmes apprennent son existence. Si le groupe n’est pas encore assez puissant pour exercer une pression politique, il est néanmoins en mesure d’offrir un soutien aux lesbiennes.
Le groupe organise régulièrement des réunions pendant lesquelles les membres peuvent partager leurs expériences et leurs problèmes. Il a commencé à imprimer des brochures et à constituer une petite bibliothèque composée d’articles et de livres. Ces documents traitent principalement de sujets tels que “comment sortir du placard”, l’homophobie, comment se sentir fière de son identité sexuelle, etc. A leurs risques et périls, les Sœurs de Vénus mettent leur boîte postale sur ces documents et reçoivent des réactions positives ou négatives. Les membres de Sœurs de Vénus collaborent également à la seule revue lesbienne et homosexuelle de Turquie, KAOS GL, revue clandestine qui ne peut pas être distribuée ouvertement. L’organisation a également réagi au portrait généralement négatif que les médias classiques font des lesbiennes en envoyant des lettres de protestation.
Les Sœurs de Vénus commencent à collaborer avec d’autres organisations en Turquie, dont la Société de prévention du sida ; des groupes féministes tels que Eksik Etek, Mor Cati, Pazartesi et Femmes pour les droits humains des femmes ; Lambda, groupe d’hommes homosexuels à Istanbul ; et KAOL GL, groupe de lesbiennes et d’homosexuels à Ankara. Le groupe a également commencé à contacter d’autres groupes à l’étranger, tels que le groupe indien, Sakhi ; les organisateurs de la Semaine lesbienne de Berlin et le Frauenzeitung à Munich.
Même si les Sœurs de Vénus ont reçu le soutien de nombreuses féministes, il est clair que les lesbiennes doivent s’organiser indépendamment du mouvement féministe. Certaines lesbiennes travaillent dans des groupes féministes, mais ne peuvent s’exprimer librement que sur des questions féminines hétérosexuelles car, même au sein de ces organisations, le préjugé contre les lesbiennes est omniprésent.
Conclusion
Le mouvement des lesbiennes et des homosexuels commence à peine en Turquie et est limité aux centres urbains. La menace du mouvement fondamentaliste et, inversement, la possibilité pour la Turquie de devenir un membre de l’Union européenne jouent énormément en faveur de l’intérêt accru accordé à la mise en place et au respect des droits humains.
[1] Articles 419, 547 et 576 du Code pénal.