Dossier 20: Les femmes arabes
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décembre 1997 Attachment | Size |
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179 Islam, religion d’Etat
La société dans le cadre de l’Islam est régie par les textes sacrés du Coran. Le système moral enseigné par le prophète Mohammed est lui-même une loi. La religion musulmane s’exprime dans un code ou des lois pratiques, à respecter non seulement par rapport à Allah mais aussi par rapport à l’Etat musulman. En effet, le Coran, la shari’a et les hadith, sujets de polémique parmi les législateurs, même de nos jours, s’inspirent de l’expérience du prophète en tant que chef d’Etat.
Le droit coranique stipule clairement la supériorité des hommes sur les femmes. Pour commencer, le Coran lui-même s’adresse exclusivement aux hommes, non aux femmes : “Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci… Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leurs lits et frappez-les” (Le Coran, sourate 4, “Les femmes”). On pourrait citer d’autres exemples à l’infini. Les défenseurs de la condition féminine dans l’Islam prétendent que l’Islam est un progrès par rapport aux autres religions monothéistes, en ce sens qu’il introduit l’égalité entre les sexes, en ôtant au plaisir sexuel toute notion de péché ou de culpabilité. Cette absence de péché, cependant, n’est pas synonyme de liberté, car elle ne profite qu’aux hommes et, en fait, consacre les femmes dans leur rôle d’objet sexuel. Par exemple : “Vos épouses sont pour vous un champ de labour ; allez à vos champs comme [et quand] vous le voulez” (Le Coran, sourate 2, “La vache”).
Comme on l’a fait remarquer : “ainsi, l’amour n’existe pas en tant que relation humaine mais en tant que relation sexuelle, en tant que servitude. En réalité, il n’y a pas de femmes, seulement des femelles. Pour l’homme arabe, la femme existe sous diverses formes : la jeune vierge, l’épouse, la mère. Il n’y a pas de place pour l’amie ou la maîtresse… La femme dans le Coran n’est pas une maîtresse mais une épouse. Il n’y a pas d’amour, seulement de la sexualité… Le mariage est d’une part un moyen de plaisir sexuel et d’autre part de procréation ; l’image de l’épouse est ainsi associée à celle de la mère [1].”
Notre propos, cependant, n’est pas d’entamer ici un long débat sur les textes sacrés. Ce qu’il faut retenir c’est que l’Islam étant religion d’Etat dans presque tous les pays arabes, le Coran et la shari’a forment la base du droit juridique voire l’inspire directement. Néanmoins, dans nombre de domaines, l’attachement aux enseignements du prophète a fait place à l’adaptation aux réalités du monde moderne. L’usure, par exemple, est un péché capital dans l’Islam. Mais même les classes dirigeantes les “plus musulmanes” ne crachent pas sur les intérêts produits par leurs comptes bancaires. Le profit, on comprend, ne peut plus être soumis aux règles en vigueur au VIIème siècle. Non, ce n’est que lorsqu’il s’agit des règles régissant la vie des femmes –le mariage, le divorce, la polygamie, les enfants, l’obligation pour les femmes d’avoir des tuteurs de sexe masculin- que l’adhésion aux enseignements du prophète est complète. Autrement dit, bien que l’Islam, comme toutes les autres idéologies, se soit adapté aux mutations sociales imposées par l’histoire, il a fait montre d’une rigidité remarquable sur tous les sujets concernant le rôle des femmes dans la société.
D’ailleurs, ce conservatisme est si puissant qu’il a même incorporé maintes lois et traditions qui passent en général pour islamiques et qui ont été conservées comme telles au cours des siècles, alors qu’elles étaient en fait issues des réactions des sociétés pré-islamiques à l’Islam et à ses conséquences, ou des besoins purement conjoncturels qui sont apparus à certains moments dans telle ou telle société. Un exemple frappant est le port du voile.
Cette pratique semble s’être imposée comme une réaction face à la réforme coranique qui donnait aux femmes le droit d’hériter. Elle s’est généralisée à mesure que les tribus nomades se sédentarisaient au début de l’expansion de l’Islam. “En faisant de l’héritage un droit obligatoire pour les femmes, le livre sacré… portait un coup terrible aux tribus ; ces sociétés tribales, tout en se convertissant plus ou moins volontairement à l’Islam, se sont efforcées de se soustraire à cette obligation. Aujourd’hui, nous constatons que la généralisation du port du voile et la réclusion des femmes correspondent étroitement à l’observation des recommandations du Coran en matière du droit de la femme à l’héritage”.[2]
“Il semble y avoir un enchaînement particulier d’événements, dont un auquel j’ai personnellement assisté :
1. La ferveur religieuse impose le droit à l’héritage de la femme
2. Le droit à l’héritage de la femme détruit la tribu
3. La tribu démantelée accepte la présence d’étrangers
4. Les pères commencent à voiler leurs filles afin de les réserver malgré tout aux garçons de la famille.”[3]
Dans La Structure sociale de l’Islam, Reuben Levy décrit l’apparence de la femme musulmane: “étroitement lié au sujet du mariage dans l’Islam est celui du port du voile et de la réclusion des femmes. Dans l’ancienne Arabie, la coutume semble varier : les femmes du désert ne portaient pas le voile et s’accompagnaient librement avec les hommes, tandis que les femmes des villes étaient voilées.”[4] Levy fait remarquer que les femmes n’étaient pas obligées de porter le voile pendant le règne du Calife Omar (634-644).
Le plus souvent, la date exacte de la généralisation du port du voile et ses causes réelles ne sont pas toujours déterminées. Ce qui est sûr, cependant, c’est que cette pratique précède l’Islam dans une certaine mesure et n’était pas spécifiquement recommandée par le prophète Mohammed. Néanmoins, une fois reconnue comme “islamique”, elle a été élevée au rang de coutume voire, souvent, de loi.
La confusion entre les structures religieuses et les structures d’Etat, entre le droit et les textes sacrés, est un trait des sociétés qui ont vu la naissance et l’expansion de l’Islam. Ce trait a survécu, sous différentes formes, depuis l’époque des conquêtes islamiques et des premiers califes jusqu’à l’Empire ottoman, voire jusqu’à l’ère capitaliste.
Néanmoins, ce phénomène est particulièrement frappant pour tout ce qui concerne la condition féminine dans la société. L’impact de l’Islam en la matière peut mieux se comprendre lorsqu’on se penche sur les débats des grands réformateurs de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle (l’époque du Nahda Arabia ou renaissance arabe). La plupart de ces réformateurs ont fréquenté des universités françaises et, de retour chez eux, ont appelé à la modernisation de l’Etat (des hommes comme Salameh Musa et Quassim Amin) . Amin, l’un des plus grands réformateurs, est considéré comme un pionnier en matière d’émancipation féminine. D’origine turque, il a appris le Droit à l’Université de Montpellier en France et a, par la suite, occupé la fonction de législateur en Egypte à la fin du XIXème siècle. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la condition féminine. Dans son livre, The Liberation of Women, Amin préconise l’égalité de la femme dans la vie sociale et met l’accent sur la nécessité de l’éducation pour les femmes. En même temps, il s’efforce continuellement de trouver des appuis dans le Coran. Pour lui, la conformité au Coran était la preuve même qu’il était sur le droit chemin, qu’il restait dans le cadre de la “légitimité” de “notre société”. Ce qui l’a entraîné dans de longues digressions religieuses, entremêlées de façon étrange à sa pensée autrement rationnelle. Par exemple, après avoir cité le passage du Coran recommandant aux croyants de “dire aux croyantes… de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu’elles rabattent leur voile sur leurs poitrines ; et qu’elles ne montrent leurs atours qu’à leur mari, ou à leur père, ou au père de leur mari, ou à leurs fils (…)” (Le Coran, sourate 24, “La lumière”), Amin écrit des pages tentant de démontrer qu’“atours” (autrement dit “les parties génitales”) ne désignent pas le visage et les mains.[5]
Nous parlons du début du XXème siècle. Qu’en est-il aujourd’hui ? Il y a trois ans à peine, un Cheikh “émancipé et éclairé” a participé à une table ronde organisée par des féministes de Dar el-Fann, à Beyrouth, et a tenté de convaincre l’assistance que l’Islam a libéré les femmes et que le Coran doit être suivi à la lettre dans tous les domaines du privé. Il ne faisait que reprendre les positions officielles répétées pendant des années par les “partisans de l’égalité des femmes musulmanes”. Et bien sûr, il a défendu la légitimité de l’Etat théocratique.
L’idéologie bourgeoise dans le monde arabe : une idéologie arabo-islamique ?
Nos bourgeoisies semblent trouver l’élaboration d’un code privé laïc plus dangereux que les nationalisations.
Dans certains pays musulmans non arabes, la laïcité a été instituée par une bourgeoisie luttant pour moderniser et renforcer un capitalisme local. Cela prouve que l’explication de la situation humiliante des femmes arabes (et les causes de l’obsession malsaine que les Arabes ont pour leur virilité) n’est pas à rechercher uniquement dans le Coran. Elle se trouve plutôt dans la nécessité ressentie par les classes dirigeantes -et la bourgeoisie locale maintenant au pouvoir- de “respecter” la tradition islamique et de diriger des Etats islamiques (sauf dans le cas spécial du Liban où la laïcité n’existe nulle part, et de la Tunisie qui doit être étudiée séparément).
Après la révolution conduite par Kemal Atatürk en Turquie, l’Etat est devenu laïc et beaucoup de changements ont été introduits dans le statut des femmes, notamment dans les villes. Pourquoi les efforts de Nasser en vue d’une Egypte moderne et indépendante n’ont-ils pas été renforcés par la proclamation d’un Etat laïc ? Pourquoi le Front de libération algérien, même au plus fort de la lutte anti-impérialiste, n’a-t-il pas utilisé cette arme contre les réactionnaires et les impérialistes démagogues “clairvoyants” ? Pourquoi le parti Baas, en Irak et en Syrie, s’est-il senti obligé d’associer la lutte pour l’unité arabe à l’identité islamique et, une fois au pouvoir, s’est-il empressé de proclamer l’Islam comme religion d’Etat ? (Le fondateur intellectuel du Baas, Michel Azflaq, d’origine chrétienne, converti à l’Islam il y a un an environ, affirmait qu’arabité et Islam ne pouvaient être séparés). Et on pourrait ajouter les caricatures de ces phénomènes : la “Jamahiria” de Kadhafi ou l’Arabie Saoudite, où le ridicule n’allège en aucune façon l’oppression abominable qui refuse tout choix aux femmes, même celles des classes dirigeantes.
L’une des raisons de cette apparente anomalie est que la réaction à l’oppression coloniale et impérialiste dans le monde arabe a pris la forme d’un attachement aux croyances et aux traditions locales, en réponse à la pression culturelle des colons. “Lorsque les Français sont arrivés en Algérie en 1830, la société à laquelle ils se sont attaqués faisait partie, en dépit de leurs préjugés et de leur ignorance, d’une civilisation ancienne qui, depuis longtemps, était en conflit avec sa propre civilisation arabo-islamique… L’interdiction coranique pour les femmes musulmanes d’épouser des non musulmans… les a empêchées d’offrir leur corps à l’oppresseur… Mais, par ailleurs, ce refus a placé davantage les femmes nord-africaines sous la domination des hommes de leur propre société car, comme tout ce qui était associé à la vie privée, elles sont devenues un symbole pour l’homme, un refuge physique contre l’humiliation coloniale qu’ils subissaient. C’est la raison pour laquelle les femmes étaient étroitement gardées, jalousement surprotégées ; leur réclusion et leur absence physique utilisées désormais comme ultime garant de la dignité masculine, comme prétexte pour ceux qui étaient compromis par leur collaboration avec l’occupant.”[6]
Les auteurs de l’étude d’où est tirée cette citation expliquent les diverses influences du colonialisme sur le statut des femmes en Afrique du nord et au Mexique en tenant compte d’une situation précoloniale différente. (Le colonialisme espagnol au Mexique pendant le XVIème siècle s’est heurté à une société tribale ; ce qui a conduit à un mélange culturel et “racial”, qui n’a pas eu lieu en Afrique du nord).
Cette sorte de réaction devait prendre une dimension plus vaste, bien que plus contradictoire, pendant l’impérialisme. La division du monde arabe par les pouvoirs impérialistes européens ont conduit à l’émergence d’une conscience nationaliste, dont l’élément central était le désir de réaffirmer l’unité arabe détruite par les “Occidentaux”. Cette conscience s’est manifestée par un attachement aux éléments unificateurs précédents la division : la langue, les coutumes et la religion vécue comme tradition culturelle. L’Islam devenait ainsi une composante de la conscience nationaliste bourgeoise. La femme arabe a souffert de cette réaction qui a eu pour effet de limiter les transformations qui auraient pu se produire dans sa condition par le contact avec la société européenne et par la lutte des peuples pour la libération du joug impérialiste européen.
La réaction à l’impérialisme, cependant, a été contradictoire, précisément en raison de l’influence de l’impérialisme sur les structures socio-économiques précapitalistes du monde arabe. Les besoins de l’impérialisme et du nouveau mode imposé de production impliquaient d’envoyer des jeunes filles à l’école (surtout dans les villes) et d’employer une partie des femmes dans le tertiaire. Dans certains cas, on avait également besoin de main d’œuvre féminine bon marché à exploiter. D’ailleurs, les changements provoqués par l’introduction du capitalisme et les déséquilibres qui ont permis son expansion ont donné naissance aux premières luttes des femmes arabes.
Le paradoxe qui s’ensuit peut être résumé ainsi : d’une part, l’oppression et les changements sociaux imposés par l’impérialisme ont créé une base objective pour la naissance des luttes féministes et pour l’intégration de la femme dans la lutte de libération nationale générale contre le colonialisme ; d’autre part, la forme revêtue par la conscience nationaliste bourgeoise pour toucher les masses a entraîné un renforcement de l’Islam dans cette conscience même. Ce dernier facteur a opéré contre la montée des luttes féministes voire contre l’active participation des femmes à la lutte de libération nationale. Par la suite, la conscience nationaliste bourgeoise dans le monde arabe, complètement associée à l’idéologie islamique, devait devenir une arme aux mains des classes dirigeantes autochtones qui prirent le pouvoir à la place des colons européens. En d’autres termes, la position de l’Islam en ce qui concerne les femmes ainsi que la position de l’Islam sur d’autres questions, est devenue un outil de perpétuation de la domination générale des classes dirigeantes arabes.
“Le socialisme arabe” : un socialisme “islamique”
Nous ne préférons ni le communisme ni le capitalisme, mais un socialisme arabe, un socialisme musulman.
Pour des raisons que nous n’approfondirons pas ici, la lutte de libération nationale dans les pays arabes, qui a connu son apogée dans les années 50, a été menée par des mouvements nationalistes. Ces mouvements sont venus au pouvoir soit par des putschs organisés par de jeunes officiers militaires soit par l’action de partis politiques essentiellement formés par la petite bourgeoisie. Les régimes bourgeois établis par les luttes et les mouvements anti-impérialistes dans le monde arabe, étaient souvent obligés de prendre des mesures radicales contre l’intransigeance impérialiste. Ils étaient obligés ainsi de s’appuyer non seulement sur la petite bourgeoisie urbaine mais également sur la paysannerie et la classe ouvrière voire, dans une certaine mesure, de mobiliser les ouvriers et les paysans. Mais il était également nécessaire de s’assurer que la radicalisation et la mobilisation populaires n’accentueraient pas la lutte des classes, que le soulèvement populaire pourrait être circonscrit dans des limites compatibles avec le maintien du mode de production capitaliste. La formule permettant de parvenir à cet équilibre délicat était bien choisie : le socialisme islamique. En d’autres mots, le socialisme pour les masses, l’Islam pour la survie du capitalisme.
Tout ce que les femmes en ont retiré, c’est un certain nombre de droits politiques (comme le droit de vote) et le droit de travailler chaque fois que le nouvel Etat indépendant était à court de main d’œuvre. Les autorités religieuses, en fonction des besoins du moment, étaient toujours prêtes à déclarer soit que l’Islam permettait aux femmes de participer aux activités sociales soit qu’il exigeait leur réclusion. (Ce deuxième type de déclaration était particulièrement bienvenu lors de périodes de troubles sociaux, d’intensification de la lutte des classes ou de montée du chômage). Les déclarations des Cheikhs de la mosquée d’Al-Azhar en Egypte, gardiens du Coran et de la shari’a, sont à cet égard frappantes de contradictions.
Dans les villages, le seul changement perceptible dans la condition des femmes a été l’accroissement de la pauvreté, d’autant plus que les diverses réformes agraires ont toutes échoué.
Dans tous ces Etats indépendants, la laïcité était considérée comme un élément extrêmement perturbateur d’une stabilité déjà précaire. Dans tous ces Etats, le statut personnel repose sur le droit coranique et la vie des femmes est régie par “les traditions de notre culture musulmane”.
Prenons un exemple. Quel sens le “socialisme islamique” a-t-il eu pour les femmes dans l’Algérie indépendante, pays dont le mouvement de libération, le Front de libération nationale, est réputé avoir radicalement changé la vie des femmes?[7]
Depuis 1967, voici le genre de conseils que le journal gouvernemental officiel, el-Moujahid, n’a pas cessé de diffuser pour indiquer le chemin à suivre: “notre socialisme repose sur les piliers de l’Islam et non sur l’émancipation féminine avec son maquillage, ses coiffures et ses produits de beauté, qui ouvre la voie à des passions débridées nuisibles à l’humanité”.
Dans le chapitre “Hypocrisie” de son livre Les Algériennes, F. M’Rabet cite un article paru dans la revue el-Jaish en 1965 : “qu’adviendrait-il de la virilité et de la gloire algérienne, de la nature nationale arabo-islamique de notre dynamique jeunesse, comment nos jeunes gens se sentiraient-ils, s’ils voyaient leurs sœurs aux bras d’étrangers qui sont leurs ennemis et les ennemis de la nation arabe toute entière?”[8]
Dans les pays où l’Islam est religion d’Etat, il n’existe en général qu’un seul parti politique, le parti au pouvoir, qui contrôle étroitement l’organisation des différents secteurs de la population. Ainsi, l’Union nationale des femmes algériennes déclare, lors de son premier congrès en 1966, que : “le congrès… doit entièrement se consacrer à la protection de l’unité familiale par la création de structures conformes à la personnalité algérienne et à la culture arabo-islamique.”[9]
En 1972, la déclaration suivante sur le mariage figurait dans le premier projet de code de la famille : “l’erreur sur la personne ou la violence entraîne l’annulation du mariage .” En effet, le voile joue des tours. Le futur mari (qui a payé un prix pour l’élue de son cœur) peut être trompé et se retrouver marié à quelqu’un d’autre, car l’“erreur” sur la personne ne peut être découverte qu’après le mariage, quand le voile tombe.
Même si le code de la famille en question s’inspirait du droit islamique, il devait, manifestement, être adapté à certaines nécessités modernes et débarrassé ainsi de quelques dispositions extrêmement embarrassantes. Les “textes sacrés” ont, par conséquent, été malmenés. Selon l’article 49 du projet :
La monogamie trouve son fondement dans le Coran et la shari’a… Averoès a enseigné que la monogamie était obligatoire… Telle était également l’opinion du Calife Omar Ibn Abi el-Khattab, Omer Abdel Aziz, le Mu’awiya. En outre, cette coutume est instaurée de longue date dans notre pays. Une fetwa (décret religieux) rendue par Abu Zakariya el Moghali au IXème siècle en est un exemple clair et précis. La commission pense, par conséquent, qu’il est un devoir de consacrer cette coutume dans le présent article.[10]
Etait-ce vraiment nécessaire de trouver une justification auprès de toutes ces illustres personnalités musulmanes afin de proposer simplement la monogamie, d’autant plus que, n’en déplaise aux législateurs concernés, la monogamie n’a en aucune façon son fondement dans le Coran ?
Les Frères musulmans : version arabe du fascisme
La bourgeoisie arabe étant arabo-islamique, il est tout à fait logique que le fascisme local ait pris la forme d’une extrapolation de l’identité religieuse. Créé en 1919, le mouvement des Frères musulmans devait rester numériquement faible jusqu’à la fin des années 40, période de grande agitation sociale et populaire au Moyen Orient. Les principes du mouvement gagnèrent en popularité, d’abord dans la petite bourgeoisie (notamment en Egypte et en Syrie). En effet, le mouvement s’est battu contre le “grand capital”, pour la défense de la propriété privée, contre l’“Occident” et ses valeurs importées (bien qu’ils refusaient d’utiliser le mot impérialiste), contre les communistes (le principal ennemi) et, surtout, contre toute réforme religieuse et contre la laïcité. Le mouvement des Frères musulmans a livré un combat constant et acharné contre la libération des femmes. Ils ont mobilisé autour du mot d’ordre “communisme = athéisme = libération des femmes”. La récente réapparition des Frères musulmans en Egypte est le résultat non seulement de la dé-Nasserisation (le mouvement a subi une répression énorme sous Nasser) mais également de l’aggravation de la crise sociale dans le pays et du désir de contrer un mouvement ouvrier désorganisé mais assez dynamique.
Pendant que le fascisme en Europe s’efforce de limiter la femme aux enfants, à l’église et à la cuisine, les Frères musulmans demandent le rétablissement du port du voile, le rejet de toute réforme du code de la famille, la lapidation des femmes adultères, etc. L’activité du mouvement au Caire après la révolte ouvrière de janvier 1977 en est une illustration.
Au Liban, en 1970, lors d’une période d’intensification de la lutte des classes, le Hizb el-Tahrir (Parti de libération), au service des Frères musulmans, fit circuler un long prospectus dans les quartiers musulmans sunnites de la petite bourgeoisie de Beyrouth, expliquant que l’Islam interdit qu’hommes et femmes se mêlent dans les endroits publics, les écoles étant des endroits publics, les filles devraient donc être retirées des écoles mixtes. Cependant, le danger est que les Frères musulmans ne se contentent pas simplement de distribuer des prospectus ; ils ont recours à la violence, parfois avec l’accord tacite des autorités officielles et une aide logistique généreuse de l’Arabie saoudite et de la Libye. En Algérie, ces deux dernières années, les Frères musulmans, parfois aidés par la police, ont attaqué des femmes marchant seules la nuit, les punissant physiquement.
Etant donné ce contexte, il est difficile de ne pas insister sur le poids de l’Islam dans une étude concernant la lutte de libération des femmes arabes. Il est difficile de ne pas prendre en compte l’oppression physique directe que subissent les femmes arabes en raison de l’attachement à des traditions arabo-islamiques. Ce n’est pas par hasard que les revendications des femmes de l’Union des femmes égyptiennes, fondée en 1923 à la suite de la révolution de 1919, au sujet de la réforme du statut personnel sont encore d’actualité. L’oppression particulièrement intense subie par les femmes arabes et le tutorat direct exercé par les hommes de la famille, dont l’honneur et la virilité sont fonction du comportement de leurs épouses, ne favorisent pas un niveau plus élevé de prise de conscience chez les femmes arabes ; c’est exactement le contraire qui se produit. Ce poids persistant est toujours présent, prêt à être utilisé au service du statu quo et contre la révolution. Bien que cette oppression puisse être éliminée par une simple révolution sociale, qui mettrait fin à toute forme d’exploitation et à l’humiliation que les femmes subissent depuis des siècles, son influence actuelle et future ne peut, en aucun, cas être minimisée.
[1] A. Khalili, el-Tourath el-Falastini wa’l-Tabaqat (La tradition palestinienne et les classes sociales), Dar el-Kitab, Beyrouth.
[2] Germaine Tillon, Le harem et les cousins, Editions du Seuil, Paris, 1966, p. 178.
[3] Ibid, p. 29.
[4] Reuben Levy, The Social Structure of Islam, Cambridge University Press, 1969, p. 124.
[5] Salameh Musa, el-Mar’a laysat li’bat el-rajul (La femme n’est pas le jouet de l’homme), Le Caire ; Quassim Amin, Tahrir el-Mar’a (La libération des femmes) et el-Mar’a el-Jadida (La nouvelle femme), Le Caire.
[6] C. Souriau, extrait de l’étude de C. Souriau et R. Thierleci intitulée “Tradition, Modernisme et Révolution : étude comparative sur le Mexique et Madagascar”, Université d’Aix-en-Provence, p. 8. [7] Fadela M’Rabet, La Femme algérienne, suivi de Les Algériennes, Maspero, Paris, p. 108.
[8] ibid, p. 113.
[9] Ministère de la justice, premier projet du code de la famille, Alger, p. 2. Non publié officiellement.
[10] ibid, p. 52.