Gambie: Les mariages forcés accouchent de drames précoces

Source: 
Syfia International
En Gambie, pour échapper au mariage forcé, certaines adolescentes fuguent ou se suicident, d’autres éliminent leurs époux.
Grâce à la croisade des ONG, les autorités demandent que la loi soit désormais appliquée dans toute sa sévérité à l'égard des hommes âgés qui veulent épouser des mineures contre leur gré.
"Nous ne tolérerons plus que des filles mineures continuent d’être mariées à des vieillards contre leur gré. Désormais, la loi sera appliquée sans complaisance", a martelé, fin mai, à la télévision nationale, Yahya Jammeh. Quelques jours après le chef de l'Etat gambien, c'était au tour du chef d’État major des Forces armées, le général Lang Tombong Tamba, de monter aux avant-postes. À l’issue d’un séminaire sur les abus sexuels commis sur les filles mineures, organisé à Banjul par l’ONG Child Protection Alliance (CPA), celui-ci a de nouveau prévenu: "Désormais, nous châtierons les contrevenants". En Gambie, les abus sexuels sont passibles de peines pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison ferme. Dans les faits, de telles peines sont toutefois rarement prononcées. En mars dernier, un sexagénaire qui avait épousé une fille de 14 ans avec qui il avait eu des rapports a été condamné à un an de prison.

Selon la Constitution, le mariage doit se faire par consentement réciproque et volontaire entre l’homme et la femme "ayant l’âge et la capacité requis". Les jeunes Gambiennes ont le droit de se marier librement à partir de 15 ans, mais dans les faits, les parents les marient souvent contre leur gré en échange d'une dot à un âge beaucoup plus précoce. Faute d’état civil fiable, il est difficile de contrôler si une fille est mineure ou non. Promulgué en 2005 par le chef de l’État, le Children Act, texte qui interdit le mariage entre un homme âgé et une mineure, est pratiquement resté sans effet. La plupart des engagements internationaux de la Gambie concernant les droits humains ne sont pas passés dans les lois, ni dans les mœurs largement imprégnés par la coutume et la religion.

Tragédies en série

Le tour de vis des autorités, d'ordinaire peu enclines à s'exprimer sur les questions relatives aux coutumes de sa population très conservatrice, fait suite aux drames qui se sont multipliés au cours des derniers mois. Depuis le début de l'année, une dizaine de filles de 13 à 15 ans se sont ainsi suicidées pour échapper à des mariages forcés. Deux ont empoisonné leurs époux et une autre a castré son mari. De nombreuses très jeunes mariées ont fui le domicile familial, parfois même le pays.

Récemment à Bassé, à près de 300 km à l’est de Banjul, une adolescente de 14 ans a échappé de justesse au courroux de la population qui voulait la lyncher pour avoir castré son époux septuagénaire. Au commissariat de la ville, où elle était en garde à vue, elle pleurait à chaudes larmes. "Son époux l’a sexuellement abusée lors de leur nuit de noce", nous a confié une de ses voisines, outrée par un tel comportement. Mais dans la foule, des voix se sont élevées comme celle de ce vieillard, marié à quatre femmes dont deux jeunes filles de moins de 15 ans: Cette traînée doit être pendue pour apprendre aux filles qui seraient tentées de l’imiter à bien se tenir", a-t-il lancé, conforté par un richissime éleveur qui s'étonnait: "Comment a-t-elle osé faire çà à son époux qui l’a mariée avec une dot de 10 vaches?" Réaction d'une femme dans l'assistance: "Les hommes sont tous comme ça: ils prennent les femmes pour leurs esclaves".

Des milliers de jeunes Gambiennes sont chaque année livrées contre leur gré à des hommes âgés. "Les mariages forcés et précoces représentent une importante forme de violence à l’encontre des Gambiennes dont près de 66% sont analphabètes", soulignait dès 2005 un rapport de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH). Mariages précoces qui conduisent le plus souvent à des grossesses précoces, occasionnant pour ces jeunes mères des risques accrus lors de l'accouchement. Le taux de mortalité maternelle (de 10 à 16 pour mille en zone rurale) est parmi les plus élevés du monde, rappelait la FIDH.

De nouveaux recours

Depuis 3 ans, des ONG locales multiplient les actions de prévention, de sensibilisation et de dénonciation et protègent les victimes en les hébergeant dans des foyers d’accueils et en leur proposant une assistance juridique ou un appui scolaire. "Nous parcourons les villes et les villages pour sensibiliser les jeunes filles, les mères et les Alkali (chefs de village, Ndlr) en mettant en exergue les risques que comportent les mariages forcés et les excisions", relate Isatou Touray, secrétaire générale du Comité gambien sur les pratiques traditionnelles (GAMCOTRAP), une ONG locale.

Pour échapper à ces unions, de plus en plus de filles mineures ont désormais également recours au Social Welfare, un organisme public de protection sociale, qui en appelle à la police, la gendarmerie ou à la Justice pour défendre les victimes. Les filles peuvent ainsi porter plainte, bénéficier de conseils et obtenir quelquefois gain de cause. L'adolescente de Bassé a ainsi été libérée par la police malgré l'hostilité de la foule.

Par: Mamadou Bineta

22 juin 2007