Tunisie, Egypte, Libye, Syrie, Yemen: 'Les révolutions arabes contre les femmes ?'
Le long d’un printemps qui semblait fleurir bon la révolution, les femmes arabes ont nourri des espoirs et rêvé de changements. Elles ont parfois réussi à appeler publiquement de leurs vœux la fin des régimes corrompus et l’avènement de la démocratie. Hélas ! Si la rébellion arabe a témoigné parfois d’une présence féminine importante, comme en Tunisie, elle est restée ostensiblement masculine au Yémen et en Libye, voire en Egypte. Les images de certaines manifestantes voilées de pied en cap laissaient perplexe sur les intentions «révolutionnaires» de leurs auteures pendant que les instances et conseils révolutionnaires se succédaient en alignant les cravates et les barbes. D’autres signes devaient nous alerter sur ces soulèvements en passe de laisser les femmes sur le quai. Dans les manifestations, peu de revendications féministes ou de slogans pour l’égalité, pas de programme réclamant un changement significatif de la condition des femmes. Même les Tunisiennes, les plus actives dans le soulèvement contre Ben Ali, ont été éliminées de la course au pouvoir. Le gouvernement Kaïd Sebssi concédait un seul portefeuille important aux femmes, aucun parti n’était présidé par une figure féminine en vue et, sur les 1 700 listes candidates à la Constituante, on comptait juste 7% de femmes têtes de listes.
Les résultats des premières élections qui viennent de se dérouler en Tunisie nous renseignent sur l’avenir : ils confirment le recul de la laïcité dans le pays le plus laïc de la région et la chronique annoncée d’un grignotage du Code du statut personnel qui faisait des Tunisiennes les femmes les mieux loties du monde musulman depuis plus d’un demi-siècle.
Et ce n’est rien par rapport aux Libyennes - en attendant les Egyptiennes et les Syriennes -, l’un des premiers actes de refondation de «la Libye nouvelle» a été l’annonce de l’application de la charia, autrement dit de l’instauration de la polygamie, de la répudiation et du tutorat sur les femmes. C’est ce qu’on pourrait appeler un «geste révolutionnaire» ! Même Kadhafi n’a pas atteint de tels sommets ! Tout tyran qu’il a été, tout porté sur la terreur et la fantasmagorie, il s’est peu préoccupé des foulards et des vertus et se paya le luxe d’être le seul chef d’Etat au monde à exhiber des gardes du corps en cheveux.
En guise de remerciement à l’Otan et pour couronner une «révolution» menée au nom de la démocratie au prix de milliers de morts et d’une destruction quasi-totale du pays, le CNL libyen a donc offert le kit de la loi religieuse qui, comme chacun sait, aime à légiférer en priorité sur le droit des femmes, tant il semble que la lutte au pouvoir de l’homme musulman reste d’abord une lutte de pouvoir sur le deuxième sexe. Le verdict est par conséquent imparable : qu’on le veuille ou non, les révolutions arabes s’apparentent à des contre-révolutions en matière de statut des femmes, tant elles augurent de leur mise sous tutelle renforcée ou à venir.
Ainsi, le monde entier qui s’est ému du sort des victimes arabes en tout genre fait-il mine d’oublier le sort pire encore de femmes maintenues dans un statut de mineures à vie et vouées à l’être encore. L’Occident, armé de ses drones et de ses chars, aura soutenu la victoire des mâles musulmans et consacré la défaite des femmes qui aspirent à l’égalité et à la laïcité. Sans état d’âme, monsieur Sarkozy et consorts iront chercher leur part du gâteau et choisiront de vendre des Rafale plutôt que des valeurs universelles. Après tout, en quoi le sort des «Fatma» peut-il influer sur le cours du pétrole ou modifier la marche du monde ? Il se peut même que cette situation puisse arranger les Occidentaux. Un islam sunnite docile et manipulable servira bien contre l’islam des Iraniens. Et une terre arabe où la démocratie se conjuguerait avec l’émancipation des femmes aurait l’inconvénient de mettre sur le même pied d’égalité Orient et Occident. Comment dès lors ce dernier pourrait-il justifier sa main mise sur le premier ? Comment admirerait-il sa belle et moderne image si ce n’est en miroir de celle de l’ennemi conservateur et réfractaire à la modernité ?
La voie est libre pour les défenseurs d’une nouvelle cause, celle des femmes victimes des dictatures religieuses. Que les ONG se préparent, que les BHL retroussent leurs manches, ils auront bientôt à défendre les «martyres de l’obscurantisme» dans les «Républiques islamiques» à venir. Qu’ils affûtent leurs arguments pour dénoncer «l’atteinte aux droits des femmes», que les couvertures des journaux conservent quelque rubrique pour les lapidations futures, les mariages forcés et les crimes d’honneur. Un nouveau fonds de commerce - d’esclaves - se prépare pour la bonne conscience occidentale, en attendant la nouvelle révolution du monde arabe, la vraie, qui ne se fera qu’avec la maturité des consciences, le refus de l’hégémonie religieuse et l’impératif de l’égalité des sexes.