Plan d’Action – Dhaka 1997

Publication Author: 
WLUML
Date: 
2003
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Word Document175.66 Ko
number of pages: 
25
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En octobre 1997, 35 participantes actives du réseau (issues de 18 pays différents) se sont rencontrées à Dhaka dans le but de développer le troisième Plan d’Action du WLUML. Nous avons ré-examiné d’anciens problèmes et aussi identifié certaines difficultés qui émergent. Nous avons débattu de la meilleure stratégie pour répondre, en tant que réseau, à ces besoins tout en sachant que nous devons agir dans des circonstances qui apparaissent parfois insurmontables dans nos contextes spécifiques.

Nous nous sommes inspirées les unes des autres afin de mieux pouvoir relever ces défis. Car il est clair que - malgré les différences qui distinguent nos vies, influencent nos points de vue et informent nos stratégies - nous partageons un but commun et sommes en mesure d’offrir les unes aux autres un soutien mutuel, grâce à nos échanges au sein du réseau .

Il est difficile de refléter de façon adéquate la richesse de nos longues discussions ou la chaleur et la solidarité que nous avons partagées. Cependant, ce Plan d’Action situe notre lutte et notre unité dans le contexte des nouvelles tendances qui émergent au niveau local et international et qui ont des conséquences directes sur nos vies et notre travail. Ce Plan d’Action expose notre analyse des défis immédiats posés par la montée incessante des fondamentalismes et de la militarisation, et par le besoin d’aborder la question de la sexualité. Ce plan d’Action éclaire aussi la ligne de continuité vis-à-vis du travail effectué au cours de ces dernières années et vis-à-vis des Plans d’Action précédents (Aramon, 1986 ; Lahore, 1990). Finalement, il offre une vision des stratégies générales et de la structure nécessaires pour relever ces défis divers.

Première partie
Le Contexte de notre Lutte


Réunies pour rédiger le nouveau Plan d’Action du WLUML, nous avons partagé nos expériences au niveau de nos vies individuelles et collectives, étudié les développements locaux et internationaux et identifié la façon dont ces nouvelles tendances menacent nos vies et nos luttes. Nous avons également pris note de la force croissante du militantisme des femmes tant au niveau international que dans nos propres contextes. Nous avons reconnu le fait que la mondialisation (c’est-à-dire l’internationalisation du capital), marquée par les programmes d’ajustements structurels, les privatisations incessantes et le pouvoir accru des entreprises multinationales; les relations changeantes entre l’état et la société civile; la militarisation de la société; l’éruption de conflits armés (y compris entre acteurs non-étatiques) et la montée de la droite accompagnée par l’émergence de groupes politiques extrémistes organisés autour de la notion d’identité, ont un impact profond sur nos vies de femmes et de militantes.

En convergence avec ces développements, les forces identifiées lors des précédents Plans d’Action du WLUML (Aramon 1986, Lahore 1990) constituent toujours des obstacles qui limitent notre aptitude à créer des alternatives, pour nous-mêmes et nos sociétés, et à les mettre en application. En particulier, le savoir insuffisant des femmes par rapport à leurs droits juridiques, l’incapacité qui en découle à différencier entre coutumes, loi et religion, de même que l’isolement dans lequel elles sont obligées de lutter constituent toujours des problèmes vitaux. Et, comme auparavant, la capacité des femmes à contrôler, changer et réinventer nos vies est constamment sapée par la notion d’un “monde musulman homogène” - un mythe délibérément promu, tant à l’intérieur des communautés musulmanes qu’à l’extérieur, par des entités qui en bénéficient directement.

De même, une analyse collective a révélé nos perceptions communes concernant les forces qui caractérisent le réseau, lesquelles nous permettent de résister aux défis auxquels nous sommes confrontées. Parmi ces forces, on notera : le principe d’autonomie pour tous les individus/organisations liés par le réseau; le respect des divergences d’opinion et une culture institutionnelle de participation; la notion de solidarité et de soutien; les capacités et compétences croissantes des organisations liées au réseau; leurs liens à la fois profonds et étendus tissés dans les contextes locaux; et l’ampleur et l’importance croissante du réseau.

Dans un contexte marqué par des problèmes persistants et par de nouveaux défis, notre lutte est également influencée par de récents débats sur des questions essentielles à la vie des femmes (débats qui se sont souvent ouverts grâce au militantisme des femmes); ainsi que par le nombre croissant d’alliances développées au sein du mouvement des femmes et au-delà, et en particulier ces alliances qui transcendent les divisions ethniques ou religieuses; par les occasions plus nombreuses pour les femmes de participer à l’élaboration de nouvelles politiques; par le renforcement des analyses comparatives; et par l’impact visible des actions de solidarité.

Nous luttons pour affirmer notre place et notre autonomie dans un contexte où nous remarquons:

1. L’échec total des gouvernements dans plusieurs parties du monde musulman (et d’ailleurs) à combler ou à réduire le gouffre qui sépare riches et pauvres, à fournir du travail au nombre croissant de chômeurs, à endiguer une corruption insidieuse qui alimente le désenchantement au sein de la société, à offrir des services sociaux de base, tels que la santé et l’éducation, lesquels sont essentiels à une vie décente;

2. L’abdication formelle des états, dans un grand nombre de nos pays, par rapport à leur obligation de subvenir aux besoins fondamentaux de leurs citoyens. Cette abdication est souvent accompagnée d’une revendication agressive du contrôle étatique sur la société, dans laquelle les droits démocratiques et les libertés fondamentales sont bafoués. Une telle stratégie permet non seulement d’assurer aux états la mainmise sur le pouvoir mais aussi de remplir leurs obligations édictées dans les nouveaux accords commerciaux, financiers ou de re-structuration;

3. Le sentiment d’insécurité croissant qui résulte du fait que (a) le lieu des prises de décision est de plus en plus éloigné du peuple et que (b) la pauvreté accrue renforce les divisions entre riches et pauvres et exacerbe la concurrence pour l’appropriation de ressources limitées et, enfin, force les gens à trouver de nouveaux moyens de faire face;

4. Le renforcement des identités collectives définies par la religion, la culture ou l’ethnicité chacune de ces identités se présentant comme le seul biais par lequel ses “membres” (qu’ils soient membres consentants ou non) peuvent se protéger et/ou accéder au pouvoir;

5. La pression qui, en conséquence, est exercée sur les populations pour qu’elles acceptent des définitions toujours plus restreintes de la notion de soi; de sorte que leurs identités plurielles et nonantagonistes - définies par leur genre, leur citoyenneté, leur classe sociale, leur religion ou leur ethnicité en sont réduites à une identité uniforme et imposée;

6. La création et l’intensification de divisions au sein de la société civile, à la fois entre différents groupes et à l’encontre des personnes qui refusent d’accepter les identités imposées par des politiques définies par des considérations ethniques, nationalistes, sectaires et religieuses. La menace alarmante que constituent ces groupes impliqués dans une politique identitaire, lesquels imposent leurs agendas par la violence (y compris la violence armée);

7. Le fait que la droite religieuse joue un rôle crucial dans la politique identitaire partout dans le monde; les liens existants entre les différents groupes politico-religieux comme ceux tissés entre ces mêmes groupes et d’autres forces politiques de droite; et le fait que de telles alliances se nouent du niveau local au niveau international, et tant à l’intérieur des communautés ou pays musulmans qu’à l’extérieur;

8. Les liens entre les groupes politico-religieux de droite et les groupes extrémistes (que ces liens soient engendrés par euxmêmes ou non) qui opèrent de façon stratégique pour se renforcer les uns les autres dans la poursuite de buts communs même lorsque l’existence de ces liens est réfutée; et

9. Le fait que les femmes pâtissent particulièrement de ces politiques identitaires, dont l’impact s’exprime tant en termes de violence que de contrôle de leur choix de vie:

• L’émergence, dans un grand nombre de pays, de groupes armés et de conflits armés qui attaquent spécifiquement les femmes (avec, par exemple, l’utilisation du viol comme outil de “nettoyage” ethnique ou religieux).

• La généralisation de la brutalité au sein de la société, qui contribue à augmenter la violence contre les femmes à tous les niveaux. Ceci est rendu possible par un accès plus facile aux outils de la violence (que ce soient les armes ou l’acide) ainsi que par la manipulation de la loi.

• La définition des identités collectives se base de plus en plus sur des définitions liées au genre de sorte que la construction de la notion de “femme musulmane” est partie intégrante de la construction de “l’identité musulmane”. Ceci explique en partie l’importance accordée au contrôle de la sexualité des femmes et à la main mise sur d’autres aspects de leurs vies.

Toutes ces tendances ont des conséquences directes sur le militantisme des femmes. Face à de telles menaces, il nous est difficile de travailler par delà les barrières et les divisions créées par ces identités imposées. Le renforcement de cette politique identitaire, combinée avec d’autres facteurs, érode l’espace disponible pour mener à bien des activités laïques au point que cet espace se trouve de plus en plus souvent réduit à néant. En conséquence, lorsque, en tant que femmes ou militantes, nous transgressons ces barrières ou lorsque que nous travaillons hors du cadre de la religion, nous sommes souvent accusées de trahir notre communauté, notre groupe ethnique, notre pays ou notre religion.

Les Défis

Sur la base de cette analyse, nous avons décidé d’accorder la priorité aux 3 thèmes suivants dans le cadre de ce Plan d’Action:

1. la montée continue des fondamentalismes;

1.2. la militarisation/les situations de conflits armés et leurs impacts sur les femmes dans les sociétés musulmanes;

1.3. la sexualité.

Nous reconnaissons que la montée des fondamentalismes et l’essor de la militarisation créent un climat d’urgence et de désespoir qui semble nécessiter des mesures immédiates, prises au plus haut niveau et ayant un impact marqué. Mais nous savons aussi qu’il n’est pas possible de se concentrer uniquement sur ces nouveaux thèmes. En tant que réseau, nous sommes convaincus que la stratégie la plus efficace et la plus durable pour permettre aux femmes d’améliorer leur situation consiste à mettre en place de solides programmes de renforcement de leurs capacités. Ces programmes devront aborder non seulement les questions qui font la une des journaux mais aussi la lutte constante qui se livre à chaque instant dans la vie quotidienne des femmes, là même où elles sont déjà absorbées par les tâches difficiles de leurs batailles journalières.

En tant que réseau, nous allons donc continuer à travailler sur les thèmes élaborés dans le Plan d’Action d’Aramon de 1986 et le Plan d’Action de Lahore de 1990 et à maintenir les activités centrales du WLUML qui en dérivent. Ces activités incluent les Alertes et les actions de solidarité, la documentation et la circulation d’information ainsi que le programme sur le thème “ Femmes et Loi”.

Enfin, parce que tous les aspects de nos vies et de notre travail sont affectés, nous sommes confrontées à la façon dont les concepts “d’identité musulmane” sont interprétés, légitimés et imposés. Les Plans d’Action de 1986 et de 1990 s’étaient particulièrement concentrés sur la construction de “l’identité musulmane” telle que développée par ceux qui opèrent au sein même des sociétés musulmanes. Ce Plan d’Action développe cette analyse pour inclure la façon dont les forces internationales fonctionnant à l’extérieur des contextes musulmans contribuent aussi à certaines constructions de l’identité musulmane qui, en définitive, se font au détriment de nos vies de femmes.

A. L'Essor Constant des “Fondamentalismes”

L’utilisation du terme “fondamentalisme” fait depuis plusieurs années l’objet de débats au sein du WLUML: certaines d’entre nous n’utilisent jamais ce terme, d’autres considèrent que c’est le plus connu et le moins discutable pour décrire le phénomène qui nous occupe. Cependant, nous nous accordons sur la nature générale du phénomène auquel nous référerons ici sous le nom de “fondamentalisme” - c’est-à-dire l’utilisation de la religion (et parfois de l’ethnicité et de la culture aussi) pour obtenir et mobiliser le pouvoir politique. Nous avons décidé, pour simplifier, d’utiliser le terme “fondamentalisme” tout au long de ce texte, même si nous avons également discuté de la possibilité de publier nos propres débats sur les différents termes utilisés dans nos pays, afin de clarifier les avantages et les inconvénients de chaque terminologie.

Les différentes formes de fondamentalismes (telles que nous les définissons) ont toujours été un problème fondamental pour WLUML, ayant été à l’origine de la création du réseau et constituant la toile de fond sur laquelle ses principes, ses stratégies et ses activités ont été formulés. Nous restons convaincues que l’essor constant des fondamentalismes ne peut être compris qu’en replaçant ces derniers dans leur contexte spécifique, qui est celui de la lutte pour l’obtention d’un pouvoir politique.

Dans le passé, nous avons surtout cherché à identifier et analyser les conséquences des fondamentalismes sur la vie des femmes dans nos pays, et à documenter et partager les stratégies élaborées par les femmes pour combattre ce phénomène. Nous pensons qu’il est maintenant nécessaire de concentrer nos efforts pour comprendre et révéler comment une forme de fondamentalisme fonctionne et se répand pour devenir un phénomène international et trans-frontalier, et aussi d’explorer ses liens avec d’autres formes de fondamentalismes.

Nous reconnaissons que dans chaque pays ou dans chaque communauté, des circonstances uniques historiques, économiques, politiques et/ou sociales ont fertilisé le sol dans lequel le fondamentalisme s’est enraciné. Cependant, il est de plus en plus évident que le fondamentalisme est également alimenté par des forces internationales. De pouvoir partager des informations fiables et détaillées sur la façon dont les mouvements et idéologies fondamentalistes ont gagné du terrain et se sont imposés dans différents pays (y compris par la menace et la violence) nous permettra de mieux comprendre la dynamique internationale des fondamentalismes.

Et aussi d’analyser le processus selon lequel de tels idéologies et mouvements apparaissent initialement comme une simple présence au sein de la société (comme l’une des nombreuses “options” possibles pour exercer le respect des règles religieuses ou affirmer l’affiliation religieuse) et finissent par devenir une force coercitive et, finalement, une source de violation.

Finalement, il est très clair que les mouvements fondamentalistes s’alimentent les uns les autres, que ce soit par le biais de la collaboration ou de la confrontation. Par exemple, nous avons pu observer comment, lors de la Conférence Internationale sur la Population et le développement qui s’est tenue au Caire en 1994, le Vatican et d’autres groupes catholiques conservateurs ont su trouver une base d’entente avec les forces musulmanes de droite et exprimer leur opposition commune concernant la santé des femmes et les droits humains. Nous avons également été témoins du fait que, sur cette base, ces groupes avaient été disposés à former une alliance publique et explicite, alliance qui est restée très visible lors de la conférence de Pékin en 1995. D’autre part, dans un contexte de conflits ethniques ou religieux, la suprématie de mouvements fondamentalistes dans un certain camp a pour effet direct de renforcer les convictions fondamentalistes dans l’autre camp. C’est notamment le cas en Inde, où la capacité des groupes fondamentalistes hindous à générer la violence communaliste (“intercommunautaire”) renforce en définitive les positions fondamentalistes au sein de la communauté musulmane.

B. Militarisation/Conflits Armés et leur Impact sur les Femmes dans les Sociétés Musulmanes

Selon nous, les mouvements fondamentalistes se développent et prospèrent parce qu’ils encouragent les individus à lier leur identité exclusivement à l’appartenance à une collectivité; celle-ci est définie par des caractéristiques soit-disant immuables liées à la religion, l’ethnicité ou la nationalité. Dans une seconde étape, les mouvements fondamentalistes érigent des barrières entre de telles collectivités; puis ils intensifient la “menace” censée être posée par l’“autre”. Les confrontations ethniques et religieuses qui en résultent sont à la base des conflits parmi les plus violents de notre époque. C’est la raison pour laquelle notre lutte contre les fondamentalismes est directement liée avec notre travail sur la militarisation et les conflits armés.

Si la guerre n’est, en soi, pas un phénomène nouveau, la nature de la guerre a radicalement évolué au cours du siècle passé. Il y a un siècle, la mort et les déplacements de populations civiles faisaient partie des conséquences de la guerre. Aujourd’hui, cela apparaît comme la raison d’être de la guerre, comme l’indique le terrifiant euphémisme de “nettoyage ethnique”. Lors de la Première Guerre Mondiale, 14% des morts étaient des civils. Aujourd’hui, ce chiffre dépasse les 90%, ce qui semble incroyable, et la majorité des victimes se trouvent être des femmes et des enfants. De plus, les conflits de ces 15 dernières années ont provoqué des déplacements de population massifs et traumatisants. Ceux-ci affectent de façon disproportionnée les femmes et les enfants – ce groupe constituant en effet près de 80% des réfugiés, dont un très fort pourcentage sont issus de pays musulmans.

Alors qu’un nombre important de femmes liées par le WLUML doivent faire face, jour après jour, à la guerre et aux conflits armés qui ravagent leurs pays, nous désirons réaffirmer notre engagement en tant que réseau envers deux types d’initiatives : le mouvement visant à abolir l’impunité et ce travail difficile et douloureux qu’est la construction de la paix.

C. Sexualité

Partout, le contrôle de la sexualité constitue l’un des thèmes essentiels des programmes sociaux promus par les mouvements fondamentalistes. Ceci a aussi été un aspect douloureusement visible des récents conflits armés, durant lesquels les viols en masse et les grossesses forcées (outils du “nettoyage” ethnique et religieux) ont été spécifiquement conçus pour dénier aux femmes le contrôle de leur sexualité et de leur faculté de reproduction. L’imposition de codes vestimentaires est étroitement liée à cette question de contrôle de la sexualité. Souvent justifié comme étant “conforme aux pratiques religieuses” ou “traditionnel”, le nouveau code vestimentaire est en fait étranger au contexte dans lequel il est imposé; c’est avant tout une tentative de créer un nouvel uniforme “musulman” international.

Les recherches effectuées par WLUML dans le cadre du Programme “Femmes et Loi” ont permis d’aborder certaines de ces questions. Elles ont également permis de clarifier comment s’articulent, dans nos pays, les différentes coutumes et lois de statut personnel musulmanes et le contrôle de la sexualité des femmes. Nous avons aussi régulièrement abordé des thèmes liés à cette question, comme par exemple les codes vestimentaires. Les analyses relatives à la manière dont nous expérimentons la question du contrôle de la sexualité sont d’ailleurs assez bien documentées dans les publications du WLUML ainsi que dans les discours des mouvements de femmes dans les communautés et pays musulmans.

Pourtant, au-delà du thème du contrôle de la sexualité en général, un lourd silence plane toujours sur les questions relatives à l’orientation sexuelle ou au plaisir sexuel, sur les problèmes tels que l’inceste ou à la pédophilie. Ces questions demeurent profondément tabou dans la plupart des sociétés musulmanes et le fait de les aborder engendre la peur ou le déni, même au sein des organisations de femmes. Parce que nous reconnaissons le rôle important que la sexualité peut jouer dans la formation de soi, nous sommes conscientes de la façon dont le silence autour de ces questions crée de véritables obstacles - pour nous comme pour d’autres femmes dans le monde. Ces obstacles, en définitive, nous empêchent de jouir pleinement de nos droits humains et de nous développer en tant qu’êtres humains. C’est pourquoi nous ressentons le besoin, en tant que réseau, de dépasser l’analyse restreinte du contrôle de la sexualité des femmes par des forces externes, et de créer un espace où il serait possible de discuter, d’échanger et d’analyser un ensemble plus large de questions liées à la sexualité.

D. Construction de la Légitimité

Nous reconnaissons que le processus relatif à la construction d’une “identité musulmane” est généralement produit au sein même des sociétés musulmanes bien qu’il faille aussi prendre en compte la menace des forces externes. Cependant, nous sommes convaincues que les concepts “d’identité musulmane” se fondent également sur des images et sur des forces politiques ou sociales qui opèrent en dehors des sociétés musulmanes. Par exemple, on remarquera des ressemblances frappantes dans la façon dont certains dans les groupes de droits humains, les financeurs et les médias réagissent face à la montée des fondamentalismes.

Groupes de Droits Humains: Certaines organisations de droits humains contribuent - de façon peut-être involontaire - à légitimer les groupes fondamentalistes. Parce que leur mandat vise surtout à dénoncer les violations de droits humains commises par l’état, ces organisations se concentrent sur les violations commises envers les fondamentalistes, comme par exemple les arrestations arbitraires, les détentions illégales, la torture ou l’absence de jugements équitables. Nous les soutenons dans leurs efforts visant à exposer et à mettre un terme à de telles violations car, en définitive, celles-ci entravent l’établissement d’une société juste et démocratique, tant pour les hommes que pour les femmes.

Cependant, dans de récents rapports sur les droits humains, le déséquilibre extrêmement important qui apparaît entre la représentation des violations commises par l’état et celles commises par les fondamentalistes contribue de facto à soutenir ces fondamentalistes; en effet, ces derniers sont présentés uniquement comme victimes de l’oppression étatique plutôt que comme oppresseurs. Tout en prétendant être impartiaux et objectifs, ces rapports présentent en réalité une vision biaisée et subjective de la situation des droits humains dans nos pays, et en arrivent à offrir une plate-forme politique et une légitimité aux groupes fondamentalistes. Ce n’est que lorsque les fondamentalistes prennent le pouvoir et contrôlent l’appareil étatique, comme en Afghanistan, que finalement - les organisations de droits humains exposent en détail les violations des droits humains perpétrés par les fondamentalistes ainsi que leurs programmes anti-démocratiques. Il est alors malheureusement bien trop tard pour venir au secours des femmes et d’autres forces progressistes.

Agences pour le Développement/Financeurs: De même, certaines agences pour le développement renforcent et légitimisent des projets politiques fondamentalistes (là encore, peut-être involontairement) en collaborant et en apportant leur soutien aux fondamentalistes qui se présentent comme une alternative viable face à l’effondrement des institutions étatiques. Il est particulièrement ironique de voir certains financeurs financer des écoles, hôpitaux et services sociaux sous l’égide des fondamentalistes, alors même que les états sont forcés de réduire leurs dépenses pour ces services du fait même de la pression des institutions financières internationales. Il est donc très important pour nous de souligner que, en agissant de la sorte, certains financeurs bien intentionnés accordent en réalité un soutien important à des forces politiques avec lesquelles ils n’envisageraient aucunement de s’allier et qu’ils ne doivent certainement pas cautionner.

Nos discussions ont fournies de multiples exemples où des financeurs bien-intentionnés accordent des fonds pour des écoles coraniques, des madrassahs et des actions sociales qui sont organisées et contrôlées par des groupes fondamentalistes. Et ce en dépit des conditions que ces groupes imposent tels que: pression exercée sur les hommes pour qu’ils se rendent à la mosquée, et sur les femmes pour qu’elles portent le voile, les discriminations envers les filles, la fin de l’éducation mixte, l’interdiction pour les filles de suivre une filière scientifique, sportive ou artistique, les programmes éducatifs destinés à promouvoir la haine des autres et à imposer à tous et par la force un type particulier de religion.

Les médias: Etant donné le rôle critique que jouent les technologies de l’information de nos jours, les médias constituent un espace incontournable dans lequel les identités se forgent et sont légitimées. Nous nous trouvons face à un dilemme. D’un côté, en Europe, en Amérique du Nord et dans les pays où des fondamentalismes autres que musulmans sont devenus, ou sont en train de devenir, puissants (comme dans le cas du fondamentalisme hindou en Inde), les médias dominants véhiculent tant de messages anti-Islam que tous ceux qui combattent le fondamentalisme (y compris les immigrés) se sentent mis sur la défensive. Lorsque la dénonciation des fondamentalismes en arrive à renforcer le stéréotype dominant selon lequel toutes les personnes issues de communautés ou pays musulmans sont nécessairement des fondamentalistes fanatiques, alors ceux et celles qui s’opposent au fondamentalisme se voient réduits au silence. Et pourtant, il nous faut nous exprimer pour tâcher d’influencer l’opinion publique de façon à ce que celle-ci ne soutienne pas, par simple ignorance, le projet politique fondamentaliste.

La presse plus progressiste (qui, en théorie, devrait être notre alliée) pose un autre type de problème. En voulant se distancer à la fois de la haine de l’Islam et du passé colonial, certains individus bien intentionnés tombent dans le piège du relativisme culturel. Au nom du droit à la différence, ils sont prêts à soutenir quelque type de pratique que ce soit (même si celleci est totalement injuste et va à l’encontre des droits humains tels qu’ils sont généralement compris) ainsi de soit-disant “dirigeants authentiques” de la communauté justifient de telles pratiques en invoquant la culture ou la religion. Les médias progressistes offrent ainsi une plateforme d’expression aux fondamentalistes en les présentant comme les représentants uniques des Musulmans. De beaux concepts, tels que la liberté d’expression ou la diversité culturelle, se trouvent détournés de leurs sens originel et sont utilisés pour justifier le droit d’enfermer les femmes, de les mutiler ou plus généralement de contrôler et restreindre tous les aspects de leur vie. Par exemple, plusieurs pays européens ont débattu de s’il fallait permettre la mutilation des organes génitaux féminins sur leur territoire “pour les groupes de population concernés”; de même plusieurs se sont interrogés s’il fallait permettre la polygynie (c’est-à-dire la polygamie pour les hommes) ou la répudiation (c’est-à-dire le divorce unilatéral initié uniquement par les hommes).

Pour compliquer plus encore la situation, les fondamentalistes ont maintenant adopté et détourné le langage des droits humains, y compris celui des droits humains des femmes. En réalité, le discours qu’ils professent avec les journalistes de la presse internationale est radicalement différent de celui qu’ils adoptent à l’intérieur de nos pays, et en désaccord total avec leurs pratiques politiques, sociales et individuelles.

Bien trop souvent, dans les médias comme ailleurs, les Musulmans (ou ceux décrits comme tels) sont construits comme étant “l’autre”, c’està-dire radicalement différents - même d’un point de vue ontologique - des autres êtres humains engagés dans les mêmes luttes contre le fascisme et le patriarcat. En tant que militantes des droits des femmes, nous dérangeons si radicalement les préjugés et les stéréotypes que les médias réagissent envers nous d’une façon qui rappelle celle des fondamentalistes: ils questionnent notre légitimité, mettent en doute notre analyse, questionnent nos principes et contestent nos conclusions. On présuppose facilement que nous sommes “occidentalisées” et pas assez authentiques en bref, nous ne sommes pas réellement des “musulmanes”. Pendant ce temps, les fondamentalistes qui sont conformes au stéréotype de “l’autre” ont droit à la parole.

Deuxième partie
Stratégies & Programmes

A. Réflexions thématiques - comment remédier à différents phénomènes?

A1. Essor des fondamentalismes


Selon nous, aucune des forces internationales qui favorisent l’essor des fondamentalismes ne peut être véritablement comprise si l’on adopte la perspective isolée d’un seul pays, quel qu’il soit. En fait, la solution pour comprendre le phénomène fondamentaliste réside plutôt dans notre capacité à rassembler des informations et à initier des stratégies au niveau de plusieurs pays. Notre rôle en tant que réseau consiste donc à établir des liens entre différents pays et communautés afin de:

· Identifier et dénoncer la dynamique internationale du phénomène fondamentaliste en soulignant quels sont ses signes avant-coureurs;

· Envisager des stratégies sur les moyens et options pour contrer cette montée du fondamentalisme; et

· S’organiser au niveau local (au sein des communautés musulmanes mais aussi par-delà les divisions religieuses) et au niveau international (entre différentes communautés musulmanes, et aussi avec d’autres alliés hors du monde musulman) pour lutter contre la montée du fondamentalisme, sa progression géographique, le renforcement alarmant de sa puissance politique, de son capital - humain et économique – et même de sa légitimité.

Indicateurs et Signes avant-coureurs: Nos échanges nous ont montrés comment, du fait de l’exportation des idéologies fondamentalistes, certaines pratiques qui étaient autrefois limitées d’un point de vue géographique, se sont mises à se propager à travers les communautés musulmanes et les continents et ce quels que soient les normes culturelles spécifiques, les écoles de pensée etc. Un tel phénomène constitue un avertissement révélateur de la montée en puissance des mouvements fondamentalistes dans une société donnée. Il souligne aussi à quel point la montée du fondamentalisme dans un pays peut être liée à des changements se produisant dans un autre pays. Par exemple:

· La pratique du muta’a (“mariage temporaire”) a été pendant des siècles reconnue comme pratique légitime uniquement par certaines communautés Shi’ites. Elle a maintenant été exportée via ces idéologies fondamentalistes dans d’autres pays du monde musulman, comme par exemple en Algérie dont les rites sont Malekit Sunni.

· Le concept de wali (ou tuteur légal pour les femmes) était autrefois restreint à certaines écoles de pensée et à certaines zones géographiques. Il est désormais de plus en plus communément accepté et a gagné une reconnaissance plus formelle en Asie du Sud, dans une région même où la plupart des Musulmans suivent des écoles de pensée différentes, qui n’exigent pas de wali.

· La mutilation des organes génitaux féminins, originellement une pratique culturelle observée dans le cercle d’influence de l’Egypte antique, n’a aucun fondement religieux. Pratiquée de nos jours à la fois par Musulmans et non-Musulmans dans certaines régions, cette pratique est actuellement propagée en tant qu’exigence de l’Islam au sein de certaines communautés musulmanes d’Asie du Sud et du Sud-Est.

· Enfin, la propagation pour les femmes d’un code vestimentaire supposé être Islamique, ainsi que son imposition par le biais légal ou par des pratiques coercitives (telles la violence employée par des hommes qui s’auto proclament “gardiens de l’ordre moral”) continue de se développer. Dans ce contexte, nous voulons souligner que les différents styles vestimentaires “Islamiques” qui sont aujourd’hui imposés à bon nombre de femmes dans nos communautés n’ont aucun fondement dans nos propres traditions. Ces codes sont volontairement exportés par certains pays et certains groupes, et imposés par ceux-là même qui prônent de façon agressive une idéologie fondamentaliste.

Les Mécanismes: Les mouvements fondamentalistes ont recours à divers mécanismes pour étendre leur influence et leur emprise à travers le monde. Il est important pour nous d’identifier ces mécanismes et de les combattre.

Education & Services sociaux: Dans les domaines sociaux clés (par exemple la santé, l’éducation et les services sociaux), les mouvements fondamentalistes sont venus combler le vide créé par l’absence de services publics. En fournissant de tels services, les fondamentalistes rallient à leur cause ceux qui sont marginalisés, et qui réalisent aussi l’impuissance de leurs propres gouvernements face aux programmes d’austérité imposés par les institutions financières internationales.

Les services offerts par ces groupes fondamentalistes sont souvent financés par des gouvernements étrangers ou par des agences pour le développement. Et l’on retrouve ici deux cas de figure: soit les financeurs cherchent délibérément à renforcer les rangs et l’agenda des groupes fondamentalistes; soit (ce qui est peut-être pire) ils ne tiennent pas compte du contenu des programmes éducatifs et des vues politiques de ces mêmes groupes. Précisément parce que les écoles dites religieuses constituent pour nombre d’individus et certaines sections de la population le seul accès possible à l’éducation, les fondamentalistes bénéficient ainsi d’une audience captive à endoctriner. Nous avons vu apparaître, pays après pays, de nouvelles madrassahs (ou écoles religieuses) financées grâce à ces aides externes. L’Afghanistan constitue un exemple qui illustre parfaitement la façon dont le système éducatif peut être utilisé à des fins de propagande politique et religieuse. Dans ce pays, les écoles ont fourni le terreau qui permet (ou a permis) aux Talibans d’accéder au pouvoir avec les conséquences désastreuses que l’on sait pour les femmes.

Les fondamentalistes ont parfaitement su tirer parti des technologies de l’information (là encore grâce parfois à des aides financières extérieures). Des enregistrements de prêches fondamentalistes sur cassettes audio à bon marché inondent aujourd’hui les rues et les marchés de la plupart des communautés musulmanes. Ces prêches comportent des tirades contre les femmes et contre les valeurs supposément occidentales d’égalité et d’autonomie. Ils incitent à la violence ou même, dans le pire des cas, au meurtre de ceux et celles qui s’opposent à de tels projets. Ces enregistrements sont diffusés dans les transports en commun (cars et autobus), dans les mosquées par le biais de haut-parleurs ou encore à la radio. Les groupes fondamentalistes ont également envahi l’Internet par le biais de différents sites Web qui font valoir leurs programmes politiques. Ils utilisent également l’Internet pour diffuser des avertissements ou des menaces vis-à-vis des personnes qui s’opposent à leur politique, tout autant que pour renforcer la cohésion de leurs propres réseaux.

Ayant réussi à maîtriser le langage et les concepts des droits humains comme ceux des droits des femmes, les fondamentalistes sont également en mesure d’accaparer l’attention d’individus progressistes bien intentionnés et d’organisations des droits humains, tant en Europe qu’en Amérique du Nord.

Les idéologies fondamentalistes se répandent à travers différents pays par le biais de “réformes” juridiques. Ce phénomène apparaît de façon très explicite dans des cas comme l’Afrique du Sud et l’île Maurice, où l’on fait appel à des “conseillers” issus d’autres pays musulmans pour aider à rédiger de nouvelles lois destinées à régir la communauté musulmane locale. Les recherches effectuées par WLUML dans le cadre du Programme international “ Femmes et Loi” ont également confirmé cette tendance dans plusieurs pays et enquêté sur les façons dont des pratiques juridiques spécifiques sont ainsi exportées d’un pays à un autre.

Les groupes fondamentalistes bénéficient de flux importants d’armes et de capitaux au niveau international. Dans certains cas, ces flux d’armes et de capitaux sont bien connus comme par exemple en ce qui concerne le soutien accordé aux mujahidins afghans. Dans d’autres cas, ces échanges sont bien plus discrets et impliquent non seulement des aides gouvernementales mais aussi des profits générés par le trafic d’armes ou de stupéfiants. Petit à petit, ces flux internationaux d’armes et d’argent sont mis à jour comme cela fut le cas lors de récents procès relatifs à des affaires criminelles, des extraditions ou des déportations en France, en Belgique et en Suisse ou lors des affaires intentées aux Etats-Unis.

Enfin, les fondamentalismes se développent en enrôlant des femmes comme militantes. Il est donc important que nous prêtions une attention toute particulière à ce phénomène. Nous avons besoin de comprendre qui sont les femmes qui rejoignent ces groupes fondamentalistes et aussi ce qu’elles font au sein de tels groupes. Nous avons besoin de comprendre ce que ces femmes ont à gagner en joignant les rangs des fondamentalistes (et ce qu’elles disent avoir à gagner) - tout en maintenant notre propre analyse au niveau de ce qu’elles ont à perdre et en établissant un lien vis-à-vis de leur impact sur la société dans son ensemble. Dans tous les cas de figures, nous devons établir une claire distinction entre les féministes (y compris celles dont le travail s’effectue dans le cadre de la religion) et les femmes fondamentalistes (dont certaines se considèrent féministes). La ligne de démarcation s’articule autour de l’acceptation ou du rejet de mondes séparés pour les femmes et les hommes, ainsi qu’au niveau de l’objectif d’instaurer un état “Islamique”. S’il y a peut-être certains terrains d’entente possibles (par exemple la promotion de l’éducation des filles), nous devons également être vigilantes quant aux dangers potentiels de telles alliances - si une quelconque possibilité d’alliance est en fait envisageable.

A2. Militarisation

Impunité: Le mouvement global des femmes pour les droits humains s’est impliqué de façon intensive dans le processus lié aux récentes conférences des Nations Unies et ceci a eu des conséquences importantes pour le réseau WLUML. Cela nous a permis de nous investir dans une nouvelle série d’initiatives internationales qui visent à utiliser les mécanismes juridiques formels et ceux du militantisme international des femmes pour faire comparaître devant la justice les personnes responsables de violations des droits humains. Par exemple, bien que le viol dans un contexte de guerre ait été condamné depuis longtemps dans les textes juridiques internationaux, en pratique il a bénéficié d’une impunité quasi totale. On remarque donc, au sein du mouvement des femmes pour les droits humains, de nouveaux efforts qui visent à mettre un terme à l’impunité.

En tant que réseau, le WLUML soutient ces efforts et y participe:

· en prenant part aux procès intentés au niveau régional, national ou international;

· en participant aux nouveaux réseaux qui émergent et se concentrent sur la situation des femmes durant les guerres et les conflits armés.

Initiatives de paix : Construire la paix est un défi des plus difficiles. La militarisation et les conflits armés ont des conséquences bien plus vastes que le simple engagement des armées; ces phénomènes provoquent en effet une banalisation de la violence et de la brutalité à l’échelle de sociétés toutes entières et finissent par modifier profondément les valeurs de chaque individu. Pour obtenir la paix, il ne suffit donc pas de faire cesser les fusillades. Il s’agit surtout de briser les divisions profondes que la guerre crée dans le cœur des gens. Cela implique que nous devons reconnaître et éviter cette intériorisation de la haine de “l’autre”.

L’importance d’un tel travail ne doit donc pas être sous-estimé. Dans beaucoup de nos pays, une femme qui défie le discours dominant de chauvinisme ethnique ou religieux et qui surmonte des divisions profondes pour travailler en liaison avec des femmes de “l’autre groupe” court un véritable danger. En sus des menaces et des agressions physiques, les accusations de trahison peuvent parfois être dévastatrices. Pour faire face à tant d’hostilité, une force intérieure et une aide extérieure sont des composantes essentielles pour agir au nom de la paix. L’objectif du WLUML est de mobiliser ces deux types de ressources pour soutenir les femmes prêtes à prendre de tels risques.

A cette fin, nous soutenons et nous participons à:

· des initiatives “trans-frontalières” visant à tisser des liens entre les communautés;

· des réseaux de femmes issues de traditions religieuses différentes qui luttent ensemble pour confronter les mouvements fondamentalistes tels qu’ils existent dans toutes nos traditions;

· des initiatives visant à lutter contre la violence perpétrée envers les femmes lors des guerres et des conflits armés.

Enfin, nous reconnaissons le besoin de regarder en face et d’analyser nos propres différences au sein même du réseau que celles-çi soient liées à la race, la classe sociale, l’ethnicité ou même la religion; et de puiser notre énergie et notre force dans l’espace offert par la confluence de nos identités multiples.

A3. Sexualité

Un clair consensus a émergé entre nous concernant le fait que la sexualité doit constituer une question prioritaire pour WLUML au cours des prochaines années. Notre but initial est d’offrir un espace où les questions relatives à la sexualité pourront être abordées et discutées en toute sécurité. Ainsi, la sexualité constituera également un des thèmes abordés dans les Instituts de Féminisme (voir çi-dessous). De plus, nous commençons à rassembler et à circuler des informations relatives à ce sujet au sein du réseau, et ce de manière systématique.

Quant à la question des codes vestimentaires, nous espérons rassembler (par le biais de photographies, de films, etc.) une mémoire visuelle des changements qui se sont manifestés au cours des ans dans nos divers contextes et par-delà les frontières géographiques - changements qui continuent d’ailleurs d’être observés. Ceci permettra de mettre en évidence l’érosion des diversités, laquelle va de pair avec l’imposition des identités; et aussi de mettre en évidence le lien entre de tels développements et certaines tendances socio-politico-économiques spécifiques.

B. Activités et programmes en cours

B1. Solidarité


Notre travail de solidarité a radicalement changé au cours des 3 à 5 dernières années. A présent, en effet, de nombreux réseaux et organisations lancent, dans le monde entier, des campagnes de sensibilisation couvrant un large éventail de questions liées aux droits humains. Cependant, WLUML continue à initier et à contribuer aux campagnes internationales pour les droits humains, ainsi qu’à s’investir dans des cas de défense des droits humains. Notre activité se poursuivra, en accordant priorité aux thèmes qui interpellent le plus directement les femmes dans les communautés et pays musulmans, et ce tout en continuant de maintenir une relation de soutien mutuel avec d’autres réseaux.

B2. Projets collectifs

Femmes et Loi dans le Monde Musulman: Les projets “Femmes et Loi” en sont à divers stades d’évolution, ils comprennent notamment des projets qui démarrent, des projets dont la phase de recherche est quasi-complète, ainsi que ceux qui ont déjà developpé des activités sur le terrain. Le projet dans son ensemble s’est avéré un outil extrêmement important pour intervenir dans des contextes variés, pour consolider les liens entre différentes régions, groupes ou individus, ainsi que pour renforcer et aussi mettre en place - de nouvelles initiatives au niveau local, régional et international. Nous allons donc poursuivre ces efforts, en mettant davantage l’accent sur la circulation d’informations relatives aux résultats de nos recherches et aux expériences sur le terrain, tout en renforçant les activités de terrain, la formation et les échanges en cours.

Les équipes des différents pays impliquées dans le projet “Femmes et Loi” ont adopté un éventail de stratégies pour leurs programmes de sensibilisation sur le terrain. Ces stratégies incluent presque toutes, mais dans des formats différents, des éléments de sensibilisation et de formation aux questions juridiques et légales, à l’aide juridique et à l’éducation en matière des droits humains. Il y a actuellement un véritable enthousiasme pour créer des opportunités permettant aux différentes équipes de partager leurs connaissances et leurs expériences sur ces thèmes, et ainsi d’améliorer leur travail.

Instituts de Féminisme: Ce programme constitue un élément essentiel dans la volonté du WLUML de former de nouvelles dirigeantes, plus jeunes, qui pourront organiser la coordination des tâches au sein du réseau, améliorer les initiatives locales, et faire avancer notre réflexion sur les priorités importantes définies lors de la réunion du Plan d’Action de Dhaka. Les deux premiers Instituts seront organisés en collaboration avec le Centre pour le Leadership Mondial des Femmes (CWGL, Center for Women’s Global Leadership). Le premier Institut aura lieu en septembre 1998 en Turquie et le deuxième en 1999 au Nigeria.

Le Partage de l’Information: Sous bien des angles, l’essence d’un réseau réside dans la communication et les liens qu’il établit. Nous continuerons donc à rassembler et à circuler l’information liée aux thèmes qui ont toujours été au cœur du travail du WLUML: les questions – étroitement liées et qui se recoupent les unes les autres relatives aux femmes, aux lois, aux coutumes et à la religion; la construction des identités collectives; les différents moyens qui sont utilisés pour nous contrôler. Nous continuerons à systématiquement documenter les différentes stratégies élaborées, au niveau individuel et collectif, pour que les femmes jouissent d’une plus grande autonomie et de la possibilité non seulement d’exprimer leur choix mais aussi de formuler la nature de ces choix. Et, comme par le passé, nous partagerons nos expériences, nos analyses et nos stratégies les unes avec les autres, au sein du réseau et au-delà.

Les publications, guidées par les directives du Comité des Publications, continuent d’être un outil important qui permet de partager les informations recueillies à travers le réseau ou celles générées par nos projets collectifs. Cependant, le réseau explore d’autres moyens pour que ces informations soient accessibles à un plus grand nombre, par le biais de:

• Bases de données électroniques
• Site(s) Web/Internet
• Vidéos
• Radio

Partage d’Expériences par le biais d’Echanges: Les échanges sont au cœur de pratiquement tout le travail du WLUML. Ils resteront un moyen essentiel de partager nos expériences et d’apprendre les unes des autres.

Nous envisageons des échanges dans le cadre de:

· “Femmes et Loi” - Programmes de sensibilisation sur le terrain

· Personne-ressource: Des femmes d’une partie du réseau jouant le rôle de personne de référence dans le cadre de réunions ou d’ateliers organisés par un autre groupe du réseau.

· Stages: D’après notre expérience dans les bureaux de coordination du WLUML, un stage temporaire peut s’avérer utile tant pour l’organisation accueillant la stagiaire que pour celle où cette personne travaille habituellement. Les stages permettent également de stimuler l’engagement actif des femmes au sein du réseau.

· Echanges avec d’autres réseaux engagés dans des activités similaires: Ces échanges renforcent les liens avec le mouvement international et permettent aussi de stimuler de nouveaux projets.

B3. Renforcement des capacités

Afin de pouvoir développer et mettre en pratique les stratégies générales décrites ci-dessus, nous avons besoin d’améliorer nos propres capacités à:

· générer, circuler, analyser et utiliser l’information,

· articuler et disséminer des points de vue alternatifs en utilisant de façon plus efficace les technologies de l’information,

· faciliter la mise en place de programmes de formation spécifiques,

· développer des programmes sur le terrain susceptibles de générer des changements sociaux et juridiques positifs,

· réaliser tous les points décrits ci-dessus d’une façon qui permet de renforcer nos alliances au niveau international.

Troisième partie
Structure


Depuis sa fondation en 1984, le WLUML a fonctionné comme un réseau international et ce de manière très délibérée. Pour WLUML, le mot “réseau” ne désigne pas simplement une structure organisationnelle. Selon nous, être un réseau implique plutôt un engagement profond vis-à-vis de certains principes qui permettent au WLUML de renforcer et de soutenir le travail des individus et des organisations qu’il relie. A la différence d’une association ou d’une coalition, l’existence du réseau WLUML dépend de nos liens et non des activités ou des stratégies spécifiques adoptées par telle personne ou tel groupe. Alors que notre réseau s’agrandit, nous devons faire en sorte que les structures et les mécanismes que nous avons mis en place accordent à chacun et chacune d’entre nous la flexibilité et l’autonomie nécessaires à toute évolution, tout en assurant une synergie positive et dynamique dans nos liens avec les autres.

D’un “bureau” de coordination reposant sur une seule femme, le réseau a évolué vers un petit groupe dont la principale responsabilité était d’assurer la mise en œuvre des Plans d’Action. Plus récemment fortement stimulé par une succession de projets collectifs le réseau a développé un système plus complexe et plus diversifié de prise de décision et de mise en pratique des activités.

Core Group

Le Core Group (qui était à l’origine composé de 3 personnes et en compte aujourd’hui 7) est essentiellement chargé de la coordination au niveau international; il est également responsable du fonctionnement des activités du WLUML en tant qu’entité juridique (c’est-à-dire en ce qui concerne les finances, le fonctionnement des bureaux de coordination et la direction générale du réseau). En définitive, c’est l’organe qui a pour responsabilité de s’assurer que toutes les structures du réseau, décrites ci-dessous, répondent aux besoins et aux priorités des individus et des organisations liées par l’intermédiaire de WLUML.

Bureaux de Coordination

La coordination générale peut être divisée en plusieurs catégories : (1) le partage de l’information, des analyses et le “networking” au quotidien; (2) les activités spécialisées telles que les alertes et les actions de solidarité et (3) les projets collectifs et les autres programmes du réseau. Les trois bureaux du WLUML assurent le soutien de ces activités: le Bureau de Coordination Internationale (Londres, Royaume Uni), le Bureau Régional Afrique et Moyen-Orient (Lagos, Nigeria) et le Bureau Régional Asie (Lahore, Pakistan).

Cependant, étant donné que notre survie et notre développement en tant que réseau dépendent de l’engagement actif de militantes liées au réseau, nous avons également besoin d’autres mécanismes afin de mettre en œuvre les Plans d’Action.

Le PIC

Le PIC (Programme Implementation Council*) a été créé en 1990, lors du deuxième Plan d’Action, sous le nom de Groupe de Coordination et s’est formalisé en 1996. Désormais connu en tant que PIC, cette entité a pour responsabilité principale la planification et la mise en œuvre du Plan d’Action au niveau programmatique. Le PIC (qui inclut aussi tous les membres du Core Group) est constitué d’un groupe de personnes qui se sont impliqués au niveau du “networking” cross-régional pendant un laps de temps significatif. Le PIC participe à l’élaboration des Plans d’Action et donne avis et conseils au Bureau de Coordination Internationale (ICO), soit répondant aux requêtes de ICO soit de sa propre initiative.

Projets Collectifs

WLUML s’implique régulièrement dans des Projets Collectifs qui engagent des personnes liées par le réseau ou d’autres organisations. Le PIC est l’organe responsable pour approuver les propositions de Projets Collectifs et pour organiser ces derniers ou déléguer leur mise en application, soit au Bureau de Coordination Internationale (ICO) soit à d’autres organes du réseau.

Les Comités Programmatiques

Les comités programmatiques sont mis en place pour qu’un plus grand nombre de “networkers” s’impliquent dans la coordination et la mise en pratique d’activités spécifiques. Ils permettent à différentes personnes ou différents groupes de participer aux actions ou aux initiatives qui, à leurs yeux, présentent le plus grand intérêt ou constituent la priorité majeure. Ces comités (constitués principalement de personnes issues du PIC et de personnes actives au sein du réseau) collaborent étroitement avec le Bureau de Coordination Internationale (ICO) au niveau de la planification de certains aspects spécifiques de notre travail. Ils donnent leurs avis et, le cas échéant, prennent la responsabilité de mener à bien certaines activités spécifiques.

* Le PIC est un acronyme anglais qui signifie “Programme Implementation Council” autrement dit, le Conseil de mise en œuvre des programmes. Ces comités apparaissent non seulement comme un outil permettant de déléguer et partager le travail mais aussi comme un moyen de respecter la vision d’origine du WLUML en tant que réseau un réseau offrant un espace au sein duquel les “networkers” peuvent participer ensemble à des activités spécifiques répondant à leurs besoins.

“Networkers” actifs

Les “networkers” forment un groupe fluide impliqué dans divers aspects du travail mené par WLUML. Ils établissent un contact régulier avec le réseau et, loin de se contenter de simplement recevoir l’information diffusée par WLUML, ils prennent l’initiative de participer au partage du savoir et de l’information.

Au-delà des “networkers” actifs, un large groupe de personnes, individus ou organisations, sont impliqués dans le réseau par exemple en diffusant l’information générée par WLUML à leurs propres contacts, en s’impliquant dans les campagnes/Alertes pour Action Urgente, etc.


1) Femmes Sous Lois Musulmanes est un réseau constitué dans sa trés large majorité par des femmes, mais il faut noter le fait que deux de nos alliés hommes, parce qu’ils sont des membres actifs du réseau, ont aussi participé à la réunion de Dhaka.

2) Le réseau Femmes Sous Lois Musulmanes est désigné dans le présent document par son acronyme anglais: WLUML (Women Living Under Muslim Laws).

3) La phrase originale en anglais fait référence au soutien que nous échangeons par le biais du “networking”. Bien que le terme “networking” n’ait pas d’équivalent exact en Français, la définition suivante nous parait explicite: le Networking (en français “maillage “ ou “ réseau“) est l’acquisition volontaire, systématique et planifiée de contacts professionnels satisfaisant des besoins réciproques. Étymologiquement, il est formé de NET (filet) et de WORK qui signifie “œuvrer “. Le Networking est donc l’action de “tisser son réseau”.

4) Bien que le terme “intégrisme” soit largement utilisé dans le monde francophone et plus particulièrement en France, nous avons choisi d’utiliser le terme “fondamentalisme” dans ce texte; le pluriel englobant l’éventail des divers courants que regroupe ce phénomène global.

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