France: Blog de Mohamed Sifaoui

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Mohamed Sifaoui
Mohamed Sifaoui : Se battre pour la laïcité à la française. Oui ! Avec qui ? et comment ?
Aussi noble soit-il, un « combat » irréfléchi, non encadré par une stratégie et non inscrit dans celle-ci devient de fait, une gesticulation. Et par essence, une gesticulation est condamnée à demeurer ce qu’elle est : un tir nul et sans conséquences, une détonation à blanc. Et quand bien même, cette détonation donnerait lieu à un feu d’artifice, celui-ci ne servira qu’à amuser la galerie.
Il se trouve que c’est de cela qu’il s’agit dans le débat qui m’oppose désormais à une partie du camp laïc. Le constat que je fais en observant le comportement des uns, en écoutant les déclarations des autres et en décortiquant les écrits des uns et des autres, me laisse penser que certains de mes amis ne savent plus à quel saint (laïc) se vouer mais surtout quelle démarche choisir et quelle stratégie adopter. Ils ne savent plus s’il faut lancer une bataille contre les religions au nom d’un farouche anticléricalisme ou s’il est nécessaire de réitérer leur engagement en faveur d’une non négociable « laïcité à la française ». Il faut admettre, je le pense, que ce sont là deux batailles différentes et qu’il faut choisir entre l’une et l’autre et non pas engager la première tout en pensant qu’on mène la seconde.

Les combattants de la laïcité, dont je salue la sincérité, en ce qui concerne la majorité d’entre eux, sont, en plus de la gesticulation qui les caractérise désormais, empêtrés dans des divisions qui servent, inéluctablement ceux qu’ils sont censés combattre, je pense aux intégristes religieux mais aussi à des religieux institutionnalisés qui ne rêvent que d’une seule chose : faire subir, via des pouvoirs publics complaisants, à la loi 1905 quelques « aménagements » qui leur permettraient d’occuper plus d’espace sur la place publique.

Après la publication sur ce blog de quelques réflexions qui se veulent sincères et somme toute fraternelles, certains ont cru que j’avais lancé une sorte de « fatwa », déclaré le « djihad », armé ma ceinture explosive et que, peut-être, serais-je même atteint subitement par je ne sais quelle maladie mentale qui me pousserait à me jeter corps et âme dans les bras de l’infâme, à « m’indigéniser », à renoncer à ce que j’ai toujours été et à me transformer en ardent défenseur de la religion – et de l’islam principalement – et pourquoi pas des islamistes eux-mêmes. Je vous rassure, il n’en est rien. Ces déductions rapides et infondées ; cette arrogance et cette suffisance qui poussent certains démocrates à crier au scandale dès que l’un des leurs exprime un désaccord sur un point précis ; ces êtres atteints, pour certains, de relents néo-colonialistes qui estiment qu’un maghrébin ne doit pas sortir de la case délimitée par des frontières savamment tracées par ces mêmes bourgeois(es) non assumés qui croient que celui qui ne pensent pas comme eux pense forcément mal. Toutes ces méthodes, cette manière de concevoir le débat, d’envisager le combat, de vivre la démocratie, je l’avoue, m’insupportent.

Cela peut paraître prétentieux. Je m’en excuse donc d'avance. Mais je tiens quand même à le dire. Je ne suis – et je ne veux être – ni un Azouz Begag qui se laisse caresser la tête dans l’enceinte de l’Assemblée Nationale par un Villepin Premier Ministre ; ni une Fadéla Amara stressée qui se complaît à se laisser consoler par un Borloo tout compatissant devant un Président annonçant son « plan banlieue » ; ni – encore moins – une Rachida Dati dont la seule pensée consiste à répéter, à la virgule près, ce que les faiseurs (et défaiseurs) de rois (et de reines) ont dit la veille ; ni un quelconque « petit rebeu » alibi pour une certaine gauche qui, généralement, se refuse tout rapport non paternaliste avec des personnes issues de l’immigration. Je le dis franchement : je ne suis pas ce maghrébin qui se laisserait dicter sa conduite et ses positions, ses écrits et ses convictions par je ne sais quel maître (ou maîtresse) à penser. Je l’ai refusé en Algérie et je le refuserai en France : je ne serai l’instrument d’aucune chapelle quelque soit sa couleur et ses objectifs ni d’aucune personnalité quelque soit l’estime et le respect que je pourrais avoir pour elle. Les uns et les autres doivent comprendre que s’il existe des Maghrébins qui se laissent aller au paternalisme, il existe d’autres citoyens d’origine étrangère qui ne conçoivent toute relation que dans un esprit de partenariat respectueux et égalitaire. Je ne suis pas – non plus – de ces « indigènes de la République » qui s’enferment dans le discours victimaire et dans l’éternelle lamentation, de ces « dieudonnistes », esclaves d’une pensée tout aussi victimaires, complexées par ce que l’on a fait d’eux hier et par ce qu’ils ont fait d’eux-mêmes aujourd’hui, encore moins de ces islamistes envahissants qui se laissent aller à des discours fascisants ou à des pratiques moyenâgeuses pour se trouver une identité. Je reste profondément enraciner dans les valeurs universelles et ma seule pensée s’inspire de celles-ci.

Cela devait être dit (et écrit). Mais il est tout aussi important, pour moi, d’aborder également cette épineuse question du combat pour la laïcité. A ce propos, je ne vois effectivement aucune stratégie mais j’observe, par ailleurs, beaucoup de gesticulations. Je m’explique. Il est, je le répète, deux combats qui sont totalement différent. Le premier est résolument anticlérical, le second est inscrit, d’un côté, dans la défense de la laïcité et notamment dans la préservation, en l’état, de la loi 1905, et intégré, d’un autre côté, dans une démarche profondément anti-intégriste.

La réflexion que j’ai voulu lancer consiste à définir quelles étaient aujourd’hui nos priorités. Est-ce l’anticléricalisme, j’ose le mot, bête et méchant, qui consiste à voir derrière chaque soutane, sous chaque voile et chaque kippa un danger potentiel ? Ou alors les intégrismes – dont l’islamisme constitue indéniablement la tête de pont – et leurs visées obscurantistes, leurs objectifs anti-laïcs, abreuvés de discours présidentiels fort discutables, inscrits dans une stratégie qui risque de mettre en péril le pacte républicain pour lui substituer un communautarisme dégoutant basé sur le multiculturalisme et un relativisme culturel qui aura raison, si on laisse faire, de la lettre et de l’esprit de loi 1905 ? Aurions-nous intérêt à alimenter, même inconsciemment, un « choc des civilisations », une surenchère entre les religions et à opposer les croyants aux athées et aux agnostiques, ce qui ne tardera pas à se muer en surenchère entre intégristes ? Et aurions-nous intérêt à créer, au final, une confrontation entre croyants et incroyants ? Je ne le pense pas. Je ne le crois pas d’autant plus que j’ai déjà croisé des athées qui ne m’ont montré aucun intérêt pour la laïcité et des croyants profondément attachés à celle-ci.

Quand j’entends dire que dans des grand-messes de « laïques convaincus », on se laisse aller à des réflexions du type « ô que c’est bien de se retrouver entre mécréants », je dois avouer que je ne peux m’empêcher de constater que certains veulent justement, dans le seul but d’assouvir, avec beaucoup de passions, leurs propres fantasmes, nous embarquer dans des aventures dans lesquelles ils joueront le rôle de ces guides amateurs de haute montagne qui finissent souvent par emmener ceux qui prennent le risque de les suivre tout droit vers les avalanches.

Raison pour laquelle, il faut absolument que le camp laïc se re-concentre sur l’objectif : l’intégrisme musulman et plus globalement, je dirais, tous les intégrismes. Ce camp laïc gagnerait à s’élargir aux croyants comme aux non-croyants, à renoncer au sectarisme, à s’éloigner des gesticulations, à s’éviter la suffisance et à dialoguer en son sein pour trouver les bonnes méthodes, la bonne démarche et, par conséquent, l’efficacité qui doit être la sienne. Il faut, de mon point de vue, adopter cette attitude d’autant plus qu’en face nous avons des groupes unis, déterminés, décidés et qui savent faire preuve d’efficacité, tout ceci dans le cadre d’une stratégie. Or, justement nous avons besoin d’avoir la nôtre. Et celle-ci ne doit pas être confinée dans quelques arrondissements parisiens comme c’est souvent le cas. Il ne s’agit pas de réunir, dans le quartier latin, des convaincus pour leur ressasser ce qu’ils ont envie d’entendre, il ne s’agit pas, même s’il faut les soutenir, de porter sur les fonts-baptismaux ceux qui font de la « menace de mort » un fond de commerce, il ne s’agit pas, non plus, de faire de l’apparition télévisée une fin en soi et l’accomplissement d’un acte de résistance. Il ne faut pas croire qu’en laissant les nouveaux prophètes de l’anticléricalisme répandre leur venin, souvent par méconnaissance criante, on se bat pour la laïcité et contre l’intégrisme.

J’ai cru comprendre que notre ami Pierre Cassen du site « Riposte laïque » a été vexé par ma précédente sortie. Qu’il en excuse ma franchise. Mais tout de même, ouvrir son site, sous prétexte du débat démocratique, à un derviche-tourneur de l’ignorance qui ne sait faire autre chose que déverser sa haine pathologique de l’islam en usant de « démonstrations mathématiques » qui prêteraient à rire en d’autres circonstances me pousse à me poser effectivement quelques questions. Comment l’athée, le laïque et le militant sincère Pierre Cassen peut-il accepter d’être flanqué d'un lieutenant qui non seulement ne possède aucun bagage théologique ni légitimité qui serait puisée dans un long parcours militant, comment notre ami dont nous connaissons la ténacité peut-il, dis-je, accepter d’être flanqué justement d’un nouveau prophète qui nous propose un « nouvel islam » alors que nous n’avons pas encore réglé la question de l’ancien ? Comment peut-il laisser écrire des insanités sur son site sous la plume haîneuse d'un déçu de l'islam, se solidariser avec une dame qui a enfreint les lois de la République et condamnée par le tribunal de cette même République - certes elle était opposée à une femme voilée -, se retrouver dans ce même soutien aux côtés des villiéristes, et, en même temps, s'émouvoir de constater que je ne partage pas cette façon de faire ? Si Pierre Cassen veut se sectariser se sera sans moi. S'il n'est pas capable de comprendre qu'un démocrate n'est pas celui qui applaudit ses amis lorsqu'il estime que ceux-ci ont tort et n'est pas celui qui attaque ses adversaires et ses ennemis lorsque ceux-là ont raison, c'est que nous n'avons pas la même conception de la démocratie.

Il faut passer à autre chose. Cessons les attaques stériles et les démarches sectaires qui nourrissent nos adversaires communs au lieu de les affaiblir. Il faut, par ailleurs, imaginer des actions pédagogiques dans les quartiers difficiles, créer un travail de terrain en direction des jeunes, concevoir des opérations de sensibilisation de l’opinion, y compris en terrain « hostile », multiplier les rencontres avec les partis politiques, les syndicats, les étudiants etc. Il faudrait créer « tout ça » au lieu de se lancer dans de ridicules attaques contre les religions. Je ne dis pas qu’il faille renoncer à notre liberté de parole, à la critique des dogmes ou aux débats sur les textes religieux. Il faut au contraire le faire mais avec ceux qui ont la compétence d’apporter des arguments, de dégager une réflexion, de susciter un vrai débat. L’insulte pour l’insulte n’apporte absolument rien. Or, je le répète encore une fois, lancer ou s’approprier des envolées du type « l’islam est une religion arriérée, totalitaire et violente » sans même poser le débat me gène – non pas parce qu’il est question de l’islam – parce qu’on part d’un postulat idéologiquement suspect qui ne repose sur aucune démonstration historico-théologique sérieuse. Du moins, aucune démonstration n’a été faite pour prouver que l’islam serait plus « arriéré, totalitaire et violent » que les autres religions. A ce jeu, je dirais qu’avec l’inquisition, c’est plutôt le catholicisme qui a donné la preuve historique de mériter la première place de l’arriération de par les aspects violents et totalitaires de cette époque. Provocation volontaire s’il en fallait, pour dire qu’il faut éviter d’ouvrir ce genre de débats.

La mobilistaion des laïques a cédé sa place aux divisions et aux problèmes de personnes, le travail de fond s'est éclipsé devant les actions superficielles. Pour peu que celles-ci soient hautement médiatisées, elles donnent l'impression d'être d'une redoutable efficacité. Supercherie !

Par: mohamed sifaoui publié dans : mohamed-sifaoui

25 février 2008