Algérie: «En l’absence de l’Etat, tout individu peut se substituer à la loi»
L’Observatoire des violences contre les femmes (OVIF) a dénoncé, hier, les expéditions punitives menées par certains groupes d’hommes contre les femmes sous prétexte de moralisation de la société. Lors d’une conférence de presse animée hier à Alger, Cherifa Khadar et Dalila Djerbal, deux responsables de l’OVIF, ont qualifié de scandaleux ce qui s’est passé dernièrement à M’sila et avant cela à Ouargla, Remchi, Hassi Messaoud et Bordj. Considérées par leur voisinage comme «des prostituées potentielles», car elles vivent seules et sous prétexte d’assainissement des mœurs, des groupes d’individus organisent des expéditions punitives contre ces femmes. «Dans beaucoup de cas, c’est la rumeur qui tient lieu d’acte d’accusation. Des personnes, dont la moralité et la crédibilité ne sont pas toujours démontrées, s’érigent en tribunal ; elles dressent l’acte d’accusation et mobilisent l’opinion pour l’exécution sommaire !» s’offusque Dalila Djerbal. Elle est persuadée que ces «justiciers», qui se mettent à plusieurs centaines pour se donner du courage et se rassurer du bien-fondé de leur crime, qui brûlent les maisons des femmes, les agressent au nom de la morale, sont les mêmes à utiliser les femmes comme des objets sexuels pour assouvir leurs frustrations.
Des actions, affirme-t-elle, doivent être engagées pour la protection des citoyens, car les femmes restent le maillon faible qui sert d’exutoire à la mal-vie et aux injustices, et la prostitution n’est qu’un alibi, mais un alibi systématique. Dans la foulée, l’observatoire condamne la manière laxiste avec laquelle les pouvoirs publics réagissent à ces expéditions punitives : «Ce que nous dénonçons dans l’affaire de M’sila et toutes celles qui l’ont précédée, c’est l’absence de l’Etat qui fait que tout individu peut se substituer à la loi et trouver prétexte dans la moralisation de la société pour attenter à la sécurité des femmes», s’insurge l’oratrice qui insiste sur le fait que les auteurs de ces expéditions punitives avancent à chaque fois l’argument de la prostitution.
VULNÉRABILITÉ ET DÉTRESSE SOCIALE
L’observatoire considère à cet effet que «le système de prostitution» est une forme grave de violence contre les femmes qui se situe dans le même continuum que les autres. «La prostitution est d’abord un système qui bénéficie aux hommes. Ce sont eux les “consommateurs” et elle alimente en milliards des réseaux mafieux bien protégés et auxquels participent parfois des femmes. La prostitution, par contre, détruit les vraies victimes : des femmes, des enfants et des jeunes hommes», déclare la représentante de l’OVIF qui note que le système de prostitution prospère grâce à la précarité sociale de plus en plus large, parce que des catégories sociales traînent de lourdes détresses familiales ou des violences jamais dénoncées et surtout impunies. Pour les associations féminines, le phénomène de la prostitution est toléré, même par les potentiels agresseurs, quand il est caché.
L’observatoire dénonce ces réseaux criminels qui profitent de la vulnérabilité et de la détresse sociale de certaines femmes pour les exploiter et condamne le fait que certaines personnes se substituent à la justice, qui doit être la seule, a insisté Mme Djerbal, habilitée à se prononcer sur des faits quelle qu’en soit la nature. Pour elle, il est impératif que l’Etat s’implique pour mettre un terme aux violences contre les femmes ou, au moins, en atténuer les proportions. «Quand bien même des faits de prostitution sont prouvés, personne n’a le doit de faire le travail de la justice. Il y a le code pénal, il y a des lois internationales ratifiées par l’Algérie comme la charte contre la traite des humains», martèle-t-elle.
Ainsi, les associations membres de l’OVIF demandent aux pouvoirs publics de mettre en place les mécanismes nécessaires pour interdire la prostitution. «On demande seulement de respecter les conventions ratifiées par l’Algérie dont celle qui considère la prostitution comme étant incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine», précise pour sa part Cherifa Kheddar.
Nabila Amir