Tunisie: Les femmes craignent un recul de leurs droits
Pour de nombreux Tunisiens, le passage à une culture plus traditionnelle est incompatible avec la récente histoire du pays. Ils craignent que les acquis de la révolution ne soient perdus. Lors d'une manifestation organisée le 1er avril à Tunis, à l'initiative notamment du Parti de libération islamique, certains manifestants ont souhaité l'obligation du port du niqab et le retour à une vie consacrée au foyer pour les femmes.
"La situation est vraiment alarmante", explique Amal Arifi, une étudiante. "Je les vois partout avec leurs vêtements bizarres et leur préférence pour l'isolement plutôt que la compagnie d'autres, même au sein de l'université. Certes ils sont pacifiques, mais le préjudice qu'ils exercent à l'encontre des femmes me fait me sentir très mal à l'aise à leur sujet."
En réponse, le ministère tunisien de l'Intérieur a interdit, jeudi 7 avril, les prières dans la rue et dans les espaces publics, demandant aux fidèles d'éviter de bloquer les rues. Le ministère des Affaires religieuses a également indiqué qu'il comptait sur la compréhension des Tunisiens pour combattre ce phénomène.
Najet Hammemi, responsable au ministère des Affaires religieuses, déclare que les Tunisiens sont déjà connus pour leur modération, leur soutien à la liberté de parole et leur respect de la liberté religieuse. Elle ajoute que son ministère s'attache à adopter un discours religieux modéré dans les mosquées, soulignant la tolérance et l'acceptation de l'autre.
"A mon sens, il est important que le gouvernement actuel affiche une plus grande fermeté dans la manière dont il traite les forces qui nous font revenir à une forme d'arriérisme", dit Sofiene Chourabi, membre de la Haute commission pour la réalisation des objectifs de la révolution, des réformes politiques et de la transition démocratique. "Il est également nécessaire de prendre des mesures strictes contre ceux qui ne respectent pas les libertés personnelles et qui tentent d'imposer leurs interprétations et lectures de la religion à la société. Les Tunisiens ont toujours été connus pour leur tolérance, et ils doivent le rester."
Bien que la révolution ait donné à Sourour Ben Atia la liberté de porter le voile en public, elle ne voit aucune justification dans les appels à restreindre le rôle des femmes au foyer.
"Ces appels ne peuvent être lancés au nom du respect des règles de l'Islam, qui accorde la liberté aux femmes, qui ont toujours été une composante active de la société", indique Ben Atia.
Quant à l'appel à imposer le voile ou niqab, Boutheina Majdoub explique : "La manière de s'habiller est une affaire personnelle, qui relève des libertés individuelles de chaque femme. Personne, qui que ce soit, n'a le droit d'intervenir en interdisant ou en obligeant à porter le voile."
Warda Louati dit à Magharebia que ces forces, qu'elle qualifie d'obscurantistes, représentent aujourd'hui une menace pour les acquis des femmes. "Les femmes de Tunisie doivent donc maintenant rester vigilantes et prudentes, prendre l'initiative, protéger leurs droits et défendre leur liberté avec courage, loin de toute tutelle partisane ou idéologique", conclut-elle."Cela ne signifie pas que nous sommes contre l'Islam ; nous sommes contre ces pratiques, qui considèrent la religion comme une couverture pour faire passer ces idées et manipuler les droits des femmes", ajoute-t-elle.
La révolution tunisienne n'a pas été une révolution contre la religion ou les femmes, mais contre l'injustice et l'oppression, déclare Rim Zorgani, ajoutant que l'objectif aujourd'hui est de ne pas exclure les femmes de la vie sociale, mais de mettre en place un réel système démocratique qui donne au peuple tunisien le droit de voter pour qui il souhaite.
"Nous sommes partisans de la liberté d'expression", dit-elle. "Ils ont donc le droit de dire ce qu'ils veulent, et les femmes tunisiennes, qui bénéficient du Code sur le statut des personnes, répondront à ces courants de manière civique, lors des élections."
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[Reuters/Louafi Larbi] Les autorités affirment que le port du niqab ne sera pas autorisé dans les écoles de Tunisie. |
Le ministre tunisien de l'Education, Taieb Baccouche, a annoncé, mardi 5 avril, que l'interdiction du port du niqab dans les établissements scolaires sera maintenue.
"Le niqab est catégoriquement interdit dans les établissements d'enseignement et ne pourra être autorisé, parce qu'il n'existe aucune relation entre ce vêtement et l'Islam", a déclaré le ministre. Cette déclaration a été faite après qu'un certain nombre de femmes aient choisi de porter le voile après la révolution du 14 janvier.
Cette décision du ministre a été chaleureusement accueillie par de nombreuses personnes dans les milieux de l'enseignement. Rayan Nouri, un élève, souscrit à ce point de vue, considérant que le niqab est une barrière à la communication.
"Nous sommes une communauté mixte, au sein de laquelle il n'existe aucune séparation entre les sexes. J'estime que le niqab n'a pas sa place ici. En outre, il peut être utilisé pour tricher durant les examens", ajoute Nouri.
Le port du niqab dans les écoles n'est pas autorisé, parce que les établissements scolaires doivent pouvoir identifier les personnes qui y pénètrent, explique Abd Hakim Ben Arbia, gardien dans une école.
La réglementation exige en outre que les élèves de Tunisie portent des vêtements corrects, tout comme elle interdit la barbe ou des vêtements étrangers à la tradition du pays ou qui soient distinctifs d'une religion ou d'une autre.
"Le hijab est donc le seul qui puisse être admis, parce qu'il ne constitue pas un problème et qu'il est autorisé", ajoute Ben Arbia.
"Le niqab n'est pas un vêtement religieux, c'est un nouveau phénomène étranger à nos traditions", explique Noha Maazaoui. "Je pense que si on le laisse se répandre, n'importe qui pourra l'utiliser pour commettre des délits de manière anonyme, ce qui engendrera des problèmes de sécurité, et ce problème doit être résolu avant qu'il ne soit trop tard."
"Les femmes qui souhaitent porter le niqab ont le droit de le faire, à condition qu'elles ne l'imposent pas aux autres", dit Mustapha Meftah. "Si elles veulent entrer dans un endroit qui exige de lever le voile, elles doivent le faire."
Mais Meftah indique que la meilleure solution répondant à la culture tunisienne est le hijab. Celui-ci connaît une forte popularité depuis que la révolution a levé l'interdiction qui le frappait. Début avril, les autorités ont autorisé les photos de femmes voilées sur les cartes nationales d'identité.
Selon le ministère de l'Intérieur, cette nouvelle procédure tombe dans le cadre des "réformes en cours visant à maintenir les principes et les valeurs de la révolution et à assurer le respect des libertés publiques et individuelles".
Selon le Comité pour la défense des femmes voilées, cette décision a été une victoire pour la communauté musulmane contre la répression.
"De nombreuses femmes voilées s'étaient plaintes des campagnes lancées par la police à l'époque pour le retrait du voile", dit la sociologue Amira Riahi à Magharebia. "Les photos de femmes portant le hijab sur les cartes d'identité est un droit demandé par les femmes, et une forme de liberté pour laquelle les femmes se sont battues et qu'elles sont ravies d'avoir aujourd'hui, sachant que nous respectons les droits de l'Homme."L'interdiction du hijab avait été prononcée en 1981, lorsque le gouvernement tunisien avait publié le fameux "Décret 108", qui interdisait les atours sectaires.
Mais certains affirment que permettre le hijab sur les papiers officiels crée un dangereux précédent. Sana Saidane, une enseignante, explique ne voir aucune raison à une telle décision, "parce que de telles concessions ne peuvent qu'inciter d'autres à demander plus".
"Il est bien de répondre aux demandes des femmes, parce que l'interdiction du hijab va à l'encontre des libertés individuelles", dit Dorra Harrar. "Mais en revanche, je suis contre la promotion du hijab considéré comme une icône identitaire."