Le cri de détresse d’une blogueuse contre la répression au Bahreïn
“M. le président, je vous écris du Bahreïn, après avoir été victime d’une terrible injustice que je ne souhaiterais à personne d’autre au monde. Les forces de sécurité ont attaqué ma maison, enfoncé les portes à coups de massue et terrorisé ma famille. Sans aucun avertissement, sans aucun mandat d’arrêt et sans fournir aucune raison, des hommes armés et cagoulés ont attaqué mon père. Bien qu’ils n’aient rien dit, nous savons tous que le crime qui est reproché à mon père est d’être un militant des droits de l’homme”.
Ainsi commence la lettre adressée au président américain Barack Obama le 11 avril par Zainab al-Khawaja, une Bahreïnie de 27 ans, sur son blog Angry Arabia (en photo,crédit : Hasan Jamali/AP). Son père, Abdoulhadi Al-Khawaja, président du Centre bahreïni des droits de l’homme, a été arrêté par les forces de sécurité le 9 avril à deux heures du matin au domicile de la jeune femme, en même temps que son mari Wafi Al-Majed et son beau-frère, Hussein Ahmen. Son oncle Salah Al-Khawaja avait été arrêté trois semaines plus tôt. Les tweets qu’elle a envoyé le 9 avril pour alerter sur ces arrestations ont été compilés par un internaute sur une page web.
Capture d’écran du blog Angry Arabiya montrant les photos des quatre membres de la famille Al-Khawaja ayant été arrêtés.
“Depuis leur arrestation, il y a trois jours, nous n’avons eu aucune nouvelle. Nous ne savons pas où ils sont et si ils sont en sécurité ou non. En fait, nous n’avons toujours pas de nouvelles non plus de mon oncle qui a été arrêté il y a trois semaines, lorsque des soldats ont pointé des armes sur la tête de ses enfants et violemment battu sa femme”, ajoute Zainab Al-Khawaja. Dans sa lettre, elle annonce entamer une grève de la faim jusqu’à la libération des membres de sa famille. De son côté, l’organisation internationale pour les droits de l’homme Human Rights Watch a appelé le régime bahreïni à les libérer ou du moins, à les déférer devant un juge.
Abdoulhadi Al-Khawaja, 50 ans, est un militant actif dans cette petite île à majorité chiite, située au large des côtes saoudiennes et gouvernée par la famille sunnite des Al-Khalifa depuis plus de 200 ans. Dès le 29 février, il a été en première ligne du mouvement de contestation initié par la population chiite de l’île pour réclamer davantage de droits et de libertés politiques, comme en témoignent des vidéos en arabe diffusées sur Youtube où il apparaît haranguant la foule des manifestants place de la Perle.
@khalidalkhalifa (ministre des affaires étrangères du Bahreïn) : en réponse à la question de @acarvin sur l’arrestation de Al-Khawaja… Oui, il a été arrêté sur la base d’accusations qui vont lui être légalement motivées…
Un engagement qui lui vaut d’être vilipendé par de nombreux Bahreïnis. Dana K. l’accuse ainsi, sur le journal électronique Bahrain Independent, d’avoir “réussi à tromper les journalistes des médias étrangers en faisant passer son agenda politique pour du ‘militantisme des droits de l’homme’. Pourtant, il fait partie d’un noyau de dirigeants de l’opposition qui n’a jamais condamné les manifestants de la place de la perle qui ont attaqué, kidnappé et tué beaucoup d’officiers, d’expatriés et de Bahraïnis naturalisés”. Certains, comme l’auteur non identifié du blog Proud Bahraini, considère même M. Al-Khawaja comme un “terroriste” proche de l’Iran.
La détresse de Zainab Al-Khawaja est d’autant plus grande que, depuis le début des manifestations et notamment depuis l’imposition en mars de la loi martiale avec l’aide des troupes du Conseil de coopération du Golfe, au moins 31 personnes ont été tuées, dont quatre militants de l’opposition, selon le Centre bahreïni des droits de l’Homme. Les autorités parlent de 24 morts, dont quatre policiers.
L’association nationale islamique Al-Wefaq a annoncé le 12 avril sur sa page Facebook : “le décès en prison de l’homme d’affaires Karim Fakhrawi dans des circonstances mystérieuses a été confirmé. C’est le quatrième cas survenu dans les prisons bahreïnies”.
Le 12 avril, le mouvement de l’opposition chiite Al-Wefaq, a annoncé que l’un de ses membres était mort en détention. Karim Fahrawi avait été vu pour la dernière fois le 3 avril à la station de police du centre des expositions. Sur un forum de discussion bahreïni, un membre publie des photographies de sa dépouille révèlent des marques de torture. Ce dernier relate que l’enterrement s’est déroulé dans une atmosphère très tendue, sous la surveillance des services de renseignements.
Selon le Centre bahreïni des droits de l’Homme, qui tient à jour une liste des personnes en détention ou portées disparues, “plus de 600 personnes ont été emprisonnées ou ont disparu dans les jours qui ont suivi l’application de la loi martiale, dont 30 femmes”. Quatre cent personnes seraient encore en détention, selon un bilan d’Amnesty International. Les autorités bahreïnies ont annoncé lundi la libération de 86 détenus parmi ceux arrêtés durant les manifestations. Par ailleurs, 22 personnes -militants politiques, droits de l’hommiste et blogueurs- seraient actuellement en danger, estime le Centre.
“J’ai décidé de vous écrire à vous et non à mon propre gouvernement car le régime des Khalifa a déjà prouvé qu’il ne prenait ni nos vies ni nos droits en considération”, explique ainsi la blogueuse à l’adresse de Barack Obama. “Je vous tiens tout autant responsable que le régime Al-Khalifa. Votre soutien à cette monarchie rend votre gouvernement complice de ce crime”, accuse-t-elle toutefois, l’exhortant à mettre la liberté et les droits de l’homme au dessus des intérêts politiques et régionaux. Le stationnement de la Ve flotte américaine dans l’île constitue en effet un enjeu de taille pour Washington, afin de contrecarrer l’influence militaire iranienne dans la région.