Tunisie: Femmes tunisiennes célébrent la promulgation du Code du statut personnel en août 1956
Comme chaque année, nous célébrons avec fierté la promulgation du Code du statut personnel qui, en son temps, le 13 août 1956, a représenté une conquête de la raison moderne et constitué un des éléments clés de l’émancipation féminine. C’est pourquoi aujourd’hui, comme chaque année, nous le célébrerons à notre manière, contre les dénis de l’histoire et l’amnésie générale des mémoires en rendant d’abord hommage au peuple qui en a rendu possible l’esprit et la lettre. Cet hommage nous l’exprimons sans complaisance ni esprit d’exclusive, à tous ceux et celles qui, à titre collectif ou individuel, femmes et hommes, ont posé les jalons de l’émancipation et de la dignité des Tunisiennes.
Nous rendons hommage à la génération des pionnières, en lutte dès les années 1920, pour la dignité et dont ne parlent jamais les livres de classe ou la grande histoire. Nous rendons hommage à ces femmes anonymes ou publiques qui, courageuses et audacieuses, ont investi le champ public et politique, refusant les dominations et pulvérisant les schèmes de la réclusion féminine : Manoubia Ourtani, Habiba Menchari, Bchira Ben Mrad, Tawhida Ben Cheikh, Gladys Adda, Suzanne Jrad, Nabiha Ben Miled, Gilda Khiary, Chérifa Saadaoui, Chérifa Messaadi et bien d’autres encore, militantes de l’ombre, qui par l’action et la force de l’engagement ont ouvert les chemins de la liberté.
Nous rendons hommage à la génération de l’indépendance et à sa volonté modernisatrice et sécularisante de la société. Nous mesurons à sa juste valeur la politique sociale des institutions de l’Etat dans cette voie mais nous en critiquons les méthodes autoritaires. Nous considérons avec objectivité le rôle de l’UNFT dont nous ne voulons ni taire les batailles historiques, ni oublier du reste les responsabilités dans la voie de la pensée unique, de la satellisation de la société civile et de l’accaparement de la question féminine.
Nous rendons hommage à la génération des féministes autonomes qui, dans la diversité de leurs parcours et riches de leurs expériences ont refusé les tutelles ainsi que les assignations identitaires et œuvré à jeter les bases d’une citoyenneté à conquérir. A cette génération d’étudiantes, à ces militantes progressistes et de gauche, à ces actives dans le secteur public et des professions libérales, revient la fondation d’un mouvement autonome des femmes dont la dynamique se poursuit dans le présent. Notre devoir contre le travail de sape est de rappeler à l’opinion cette fabuleuse trajectoire qui, en 1978 commence avec le Club d’études de la condition féminine du club Tahar el Haddad, et trouve en Jelila Hafsia, alors sa directrice, femme de lettres et d’esprit, complicité et protection. C’est ce mouvement de récupération de soi et de sa parole libre et autonomes que nous voulons faire connaître dans ses étapes, sa trajectoire et ses divers lieux d’ancrage : le Festival de Tabarka de l’été 79 qui a vu éclore publiquement le mouvement ; la Commission syndicale femmes au sein de la centrale syndicale de l’UGTT qui, en 1981 fonde les revendications spécifiques des travailleuses et fait de la journée du 8 mars l’expression de la mobilisation pour les droits, le groupe informel des femmes démocrates qui, en 1982, en solidarité à l’appel des Libanaises et des Palestiniennes contre l’invasion israélienne de Beyrouth, amorce le lien entre féminisme, politique et démocratie ; le groupe Nissa qui, en 1984, crée l’évènement médiatique en fondant une revue indépendante d’expression féministe et appelle, en lien avec les émeutes du pain, à l’abolition de la peine de mort ; la Commission des droits des femmes au sein de la Ligue Tunisienne de défense des Droits de l’Homme qui, face à la campagne du mouvement islamique contre le CSP et les appels à sa révision par référendum, inscrit en 1985 la question des femmes dans le combat pour les droits universels ; l’Association tunisienne des femmes démocrates qui en 1989, sur la base de la séparation du politique et du religieux, se mobilise pour la réforme égalitaire du statut personnel ainsi que contre les discriminations et toutes les formes de violences envers les femmes ; l’Association des femmes tunisiennes pour la recherche et le développement qui, à la même date, se pose en lieu autonome de recherche féministe.
Nous voulons rendre hommage aux militantes qui, loin des projecteurs et en dépit du blocus policier et financier, au Centre des femmes victimes de violence de l’Atfd, travaillent inlassablement, depuis 1991, à faire tomber le mur du silence autour des violences multiformes envers les femmes, assurant écoute, soutien psychologique, orientation juridique, accompagnement social, hébergement et défense judiciaire.
Nous voulons rendre hommage à la ténacité de ces militantes qui, dans le cadre des groupes de travail de l’association, ont fait la lumière sur les discriminations et les injustices sociales appelant, sans plier aux mesures de rétorsion et à la diffamation, à la réforme égalitaire d’un code du statut personnel désormais insuffisant, à la levée des réserves sur les instruments internationaux relatifs à la non discrimination à l’égard des femmes, à l’égalité dans l’héritage des biens, au droit au logement décent pour les femmes, au droit à l’hébergement universitaire pour les jeunes étudiantes, à la définition d’une politique publique de l’Etat contre le harcèlement et les violences d’où qu’elles viennent, au dévoilement de la féminisation de la pauvreté et de la vulnérabilité sociale, au respect des règles du jeu démocratique, à la libération de la vie politique et publique, au respect des libertés.
Nous voulons rendre hommage à toutes les féministes autonomes, adhérentes de l’association ou sympathisantes qui, bravant le siège policier, se sont mobilisées sans compter pour assurer à leur démarrage les formations aux jeunes de l’université féministe Ilhem Marzouki, permettant ainsi de renouer le lien social entre les générations et de redonner à cette jeunesse que guette l’enfermement, le goût de la conquête et du vivre ensemble.
Nous voulons rendre hommage aux luttes des femmes du Bassin minier de Rdayef dont la résistance est pour toutes et tous, une source inépuisable de courage et de force.
Nous voulons rendre hommage aux syndicalistes qui, partout dans les régions du pays et dans tous les secteurs du travail, œuvrent à restaurer la dignité et à défendre les droits fondamentaux économiques et sociaux
Nous voulons rendre hommage aux défenseures et défenseurs des droits humains qui, au sein de leurs associations ou dans leur réseau, à l’intérieur comme à l’extérieur, en leur qualité individuelle ou à titre collectif, oeuvrent contre vents et marrées à construire une société civile plurielle et active dans laquelle sont respectées la citoyenneté, la dignité et l’égalité
Nous voulons rendre hommage aux combats de ces jeunes, filles et garçons qui, rejetant le désespoir, l’exil et la peur, se posent en acteurs autonomes de leur devenir et tissent sur la toile et le web, en lien avec les combats pour les droits, les libertés et la démocratie dans notre pays, l’avenir d’une autre Tunisie.
Nous voulons rendre hommages à toutes et tous ceux qui par la plume, le journalisme, le théâtre, la danse, le chant, le cinéma, la poésie, la musique, la peinture, la photographie, la caricature, construisent avec goût et intelligence, les lumières du pays
Nous leur rendons hommage à toutes et à tous pour leur impertinence et leur vouloir être égaux et libres, vivant dans leur pays en dignité et en droit, participant pleinement de son histoire et de son devenir.
Ce sont ces femmes et ces hommes que notre association veut célébrer aujourd’hui le 13 août 2010, en portant haut et fort leur message… le notre, pour les droits universels sans réserve, pour l’égalité de droit et de chance entre les sexes, pour la justice sociale et le renforcement des capacités et de l’autonomie des femmes, pour la démocratie et l’alternance, pour les libertés publique et privées. Ce combat nous continuerons à le mener sans concessions, malgré tout, malgré les blocus et les sièges, malgré les diffamations et les outrages, contre les asservissements et les tutelles… pour une citoyenneté pleine et entière.
Pour l’ATFD
La Présidente
Sana Ben Achour
Tunis, le 13 août 2010