Sénégal: Le silence met les filles en danger
La sécurité des filles dépend de la volonté des familles à parler des violences sexuelles, ont dit des chercheurs en Casamance, dans le sud du Sénégal, lors de la publication d’une étude révélant l’étendue des violences à l’égard des filles âgées de 10 à 13 ans. Cette étude, réalisée par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et l’université de Ziguinchor, a constaté qu’à Kolda, Sédhiou et Ziguinchor, les pressions familiales, sociales et culturelles étaient source de silence et d’impunité.
Ayant eu vent de nombreux cas de grossesse précoce et de violence dans et autour des écoles en 2008 et 2009, l’UNICEF a financé et mené cette étude pour avoir une vision plus précise de la nature, de l’étendue et des causes de cette situation, a dit à IRIN Christina de Bruin, responsable de l’organisation à Ziguinchor.
« Il devient urgent que le tabou sur la violence sexuelle soit levé auprès du groupe social et avant tout au sein de la famille », estime le rapport.
Selon Diatta Yadicone Sané, enseignante fonctionnaire dans la région de Sédhiou, l’honneur de la famille est un facteur important. « Dans cette culture, l’honneur de la famille passe avant tout », a-t-elle dit à IRIN. « La première préoccupation des adultes est de sauver la face. [Les gens] ne pensent pas à la jeune fille qui est victime de quelque chose qui entraîne des conséquences inconcevables ».
Les chercheurs ont découvert que les pressions sociales « désarment » les familles face au viol. « Même si la volonté d’agir existe, les parents se tournent le plus souvent vers la solution traditionnelle c'est-à-dire le règlement familial ou par l’intermédiaire du chef de quartier », dit le rapport.
Par ailleurs, les familles ne veulent pas parler de ces arrangements entre les membres de la famille et le coupable, a dit à IRIN Mohamed Azzedine Salah, directeur adjoint du bureau régional de l’UNICEF. « Il est donc difficile d’avoir des discussions ouvertes dans la communauté au sujet de ce problème et de son impact ».
« Le silence est l’une des principales causes de cette violence ».
Des spécialistes locaux et des habitants ont dit que les affaires de viol n’étaient pas portées devant les tribunaux principalement à cause de la peur qu’ont les familles de la réprobation sociale.
« Une fille est appelée à être [mariée] », a dit Mme Sané. « Sa famille ne veut donc pas qu’elle soit exclue ou marginalisée ».
Dans de nombreux cas, a-t-elle ajouté, l'assaillant est un membre de la famille, ce qui rend encore moins probable le recours à la justice.
« Lorsqu'une fille est violée ou battue par un membre de sa famille ou un proche, les gens essayent de trouver un compromis entre eux, car cette société désapprouve ceux qui poursuivent un proche en justice », a dit Moussa Sané, un habitant du département de Bignona, en Casamance.
Ce n'est pas seulement dans les cas de viol que la culture a un impact négatif sur les filles, ont dit à IRIN des experts en protection infantile et des éducateurs. Ils ont désigné d'autres pratiques qui, selon eux, constituent également des violences : mariage précoce forcé, grossesse précoce et excision.
« Quand certains rites font partie de croyances religieuses ou traditionnelles, il n'est pas facile de les éradiquer du jour au lendemain », a dit à IRIN Oumar Diatta, expert en éducation à Kolda. Il a dit que le manque de volonté de parler jouait également un rôle dans ce cas.
« Le fait que ces pratiques soient profondément implantées dans la société et la culture [signifie] qu'il existe une réticence à les dénoncer. Cela entrave la compréhension de la réalité, du mal potentiel. C'est une situation délicate ».
Dans leur rapport, l’UNICEF et l'université de Ziguinchor ont dit que les organismes de santé, d'éducation et des services sociaux devaient collaborer pour lutter contre toutes les formes de violence à l'égard des enfants.
Ils ont notamment recommandé de renforcer l'éducation – des enfants et des adultes – concernant les violences sexuelles et les droits de l'enfant, d'offrir une assistance juridique aux victimes et d'améliorer les services sociaux pour les filles traumatisées par la violence.
15 juin 2010