Iran: Entretien avec Zahra Rahnavard: "L'Iran, une immense prison"
Foulard fleuri sous le tchador noir et sourire déterminé, la présence de Zahra Rahnavard sur les podiums électoraux, la main dans celle de son mari, l'ex-premier ministre Mir Hossein Moussavi - du jamais-vu en Iran - avait été la première surprise de la campagne pour l'élection présidentielle du 12 juin 2009.
A ceux qui la critiquaient, elle répondait : "L'homme a besoin de la femme. Il faut deux ailes à l'oiseau pour voler..."
Depuis, M. Moussavi, l'un des candidats malheureux soutenus par les réformateurs, n'a cessé de contester la réélection du président Ahmadinejad, prenant rapidement la tête du grand mouvement "vert" d'opposition. Et, de discours en manifestation de rue, Zahra Rahnavard a pris une place croissante à ses côtés.
Cette intellectuelle de 65 ans, artiste et féministe au caractère bien trempé qui fut la première femme recteur d'université après la révolution, partage aujourd'hui, après un an de répression féroce, le "huis clos" de surveillance constante auquel son mari est assujetti.
A quelques jours de l'anniversaire de l'élection du 12 juin, elle a pourtant pris le risque de répondre à quelques questions du Monde, par l'intermédiaire d'une journaliste iranienne. Ses réponses, pour des raisons de sécurité évidente, pour une femme à qui le pouvoir en place enjoint de ne pas parler à la presse occidentale, n'abordent pas certains sujets trop sensibles. Mais elle témoigne de la force intacte d'un engagement.
Comment avez-vous passé tous ces mois, sous pression constante ?
Lorsque j'ai décidé d'être au côté de mon mari, pendant la campagne présidentielle, je savais que je me plaçais moi-même dans une position difficile, voire suicidaire. Je savais que tous les groupes intégristes qui sont très misogynes, et le gouvernement, concentreraient sur moi de violentes attaques. La cause des femmes, je lui ai consacré trente ans de ma vie.
A mes idéaux de liberté, démocratie, état de droit, j'ai toujours associé celui de voir arriver la fin de la discrimination pour les femmes iraniennes. Avant la révolution, j'étais aux Etats-Unis et je tenais déjà ce discours dans d'innombrables débats. J'avais même écrit un livre sur le rôle de la femme musulmane. Les intégristes l'ont attaqué, il n'a pu être publié en Iran.
Alors, tout naturellement, en mars 2009, j'ai publié un communiqué intitulé "Les Revendications féministes et les élections présidentielles", pour dire que les femmes ne doivent plus être l'objet de violence. Et je dois dire que ma présence dans cette campagne avait attiré l'attention de beaucoup de jeunes Iraniens et de femmes. Mais ensuite, nous avons été victimes d'un coup d'Etat électoral et l'Iran s'est transformé en une immense prison. Beaucoup de ceux qui se sont battus pour la liberté se sont retrouvés dans des centres de détention connus, comme Evin ou Kahrizak. Et cette fois, les femmes ont été à égalité avec les hommes, pour les mauvais traitements, les tortures ou les exécutions fondées sur des accusations sans preuves.
Le pouvoir ne nous a pas fait arrêter, mon mari et moi, malgré sa politique de répression policière, il ne voulait pas, je crois, provoquer davantage le peuple iranien. Mais il a utilisé d'autres moyens de pression. Ainsi, ils ont arrêté mon frère Chapour Kazemi, un ingénieur en électronique apolitique qui a passé six mois en isolement total, soumis à des pressions physiques et morales. Même son enfant a été arrêté pendant un mois. Ensuite, le neveu de mon mari a été tué lors des manifestations de la célébration de l'Achoura.
Depuis, les médias gouvernementaux ont lancé contre moi et d'autres personnalités du mouvement "vert" une politique de "terreur morale" : on nous abreuve de calomnies et d'insultes. Mais mon mari, ainsi que M. Karoubi (ex-président du Parlement et figure du mouvement "vert") et M. Khatami (ex-président de la République, réformateur) résistent à tout pour que les revendications du peuple iranien soient satisfaites.
Vous sentez-vous en danger ?
Après les élections, j'ai été attaquée physiquement, lors d'un rassemblement à l'université de Téhéran, par des personnes en civil qui m'ont arrosée de gaz au poivre. Ensuite, lors des manifestations du 11 février, anniversaire de la révolution, les forces spéciales m'ont frappée avec une matraque électrique. Depuis, j'ai mal à la tête et j'ai des problèmes de poumons. Mais je suis prête à ce que l'on me tue si cela peut épargner tous ceux qui se battent pour la liberté. Je suis prête au sacrifice, à la prison, à la torture, au nom de la liberté. Je n'ai pas peur, je suis croyante et je me sens protégée par Dieu. Mais sachez que si ma famille devait être victime d'un problème grave, ou d'un complot, je l'affirme dès maintenant, c'est le régime qui en serait responsable.
Comment qualifiez-vous le mouvement "vert" ?
C'est un mouvement qui s'est fait l'écho de revendications du peuple iranien qui remontent en fait à plus de cent ans, à la révolution constitutionnelle de 1906. Et l'élection présidentielle était l'occasion de les rappeler : liberté, état de droit, démocratie. Le mouvement "vert" ne souhaite pas la chute du régime, ce qu'il veut, c'est des réformes. Il vient de la société civile et se veut pacifique. J'insiste, pacifique, même si la partie adverse ne manque pas d'armes, et utilise la violence.
Ce mouvement s'exprime de diverses façons à travers des réunions, des rassemblements de la société civile, il a même une expression que je dirais littéraire et artistique. Toutes les composantes de la société en font partie : enseignants, ouvriers, sportifs, artistes, représentants de minorités ethniques... Les femmes, qui représentent la moitié de la population, et les étudiants ont joué un rôle particulier et ont une place importante au sein du mouvement.
Mon message aux femmes iraniennes, c'est de leur dire : "Progressez, élevez votre niveau de connaissances et d'études pour être enfin considérées comme des citoyens à part entière." Je milite pour ça, contre la polygamie, la violence et des décennies de discrimination. Les femmes iraniennes n'ont pas le choix, elles doivent continuer le combat.
Votre mari a beaucoup évolué, de candidat discret à leader charismatique de l'opposition...
Moi, je l'ai toujours vu très décidé dans l'affirmation de ses idées, et très courageux pour les faire appliquer. Il ne renoncera pas facilement à son but. S'il s'est lancé dans la campagne électorale, c'est parce qu'il trouvait la situation du pays délicate, voire dangereuse. Et s'il a continué après, c'est en raison de son courage et de sa personnalité. Mais je veux souligner à nouveau qu'il n'est pas le seul responsable, il y a Karoubi, Khatami et beaucoup d'autres qui continuent la lutte pour la démocratie. Et je suis à leur côté.
Le pouvoir peut-il aujourd'hui vous écouter ?
Malheureusement, le pouvoir ne pense qu'au pouvoir et à maintenir son autorité sur le pays. Pourtant, les revendications du mouvement "vert" entrent toutes dans le cadre de la Constitution (fin de la censure, élections libres, liberté des partis politiques...). Nous demandons aussi à présent la libération des prisonniers politiques. Mais le pouvoir n'a pas écouté notre message. Pourtant, s'il le veut, il peut le faire à tout moment. Nous, nous allons multiplier les actes commémoratifs pour l'anniversaire de l'élection présidentielle. Je pense que la victoire finale reviendra, un jour, au peuple.
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25 mai 2010
Propos recueillis par Marie-Claude Decamps et Fereshteh Ghazi