Algérie: Massacres de femmes à Hassi Messaoud : que s’est-il réellement passé ?

Source: 
AWID

Au cours du mois d’avril 2010, des attaques criminelles ont eu lieu pendant plusieurs semaines contre les femmes de Hassi Messaoud - migrantes dans leur majorité, travailleuses dans les industries et structures économiques ; ces attaques ont donné lieu à des protestations internationales et à l’intervention des Rapporteurs Spéciaux auprès des Nations Unies. Pour comprendre ce qui s’est vraiment passé et pourquoi, l’AWID a interviewé Dalila Iamarene Djerbal, membre du Réseau Wassila, un regroupement d'associations et de professionnels qui luttent contre les violences faites aux femmes et aux enfants depuis 10 ans en Algérie. Le Réseau Wassila est très active sur cette histoire et fait partie du comité de soutien pour les femmes de Hassi Messaoud. Par Massan d’ALMEIDA 

AWID: Parlez-nous un peu de Hassi Messaoud : il semblerait que c'est l'une des grandes villes d’Algérie et la plus sécurisée du pays, en quoi et pourquoi l'est-il? Dites-nous un peu plus sur sa population, leurs activités et les atouts qu'offre la ville. 

Dalila Iamarene Djerbal (DID): Hassi Messaoud, c'est la ville du sud d’Algérie où sont exploités les plus grands gisements de pétrole. Sont donc présentes les plus grandes entreprises pétrolières du monde et aussi le plus grand nombre de sociétés de surveillance et de sécurité pour protéger les installations et les étrangers qui y travaillent. La ville attire par conséquent beaucoup de chercheurs d'emplois, femmes et hommes. Sa population a été multipliée par 10 depuis le développement des gisements et ces mutations sont venues donc perturber une société loin d'être préparées à ce bouleversement sur tous les plans : afflux de population d'autres régions, absence de logements, de services, multiplication des bidonvilles, conflits sociaux, visibilité plus grande des femmes au statut précaire. 

AWID: Nous avions appris que le mois dernier et pendant des semaines des attaques criminelles ont eu lieu contre les femmes d’Hassi Messaoud en Algérie, pouvez-vous nous dire ce qui s’est réellement passé ? Quand cela a-t-il commencé ? 

DID: Ce sont des attaques contre des femmes migrantes essentiellement des femmes du nord, venues individuellement ou avec leurs enfants à la recherche d’un emploi. Elles habitent les bidonvilles ou louent collectivement auprès de l’habitant. 
Jusqu’à présent heureusement il n’y a pas eu de décès, mais plusieurs ont été attaquées chez elles, par des bandes encagoulées qui ont fracturé leur porte, armés de sabres et de couteaux, ils les ont battues, volé tout ce qui avait un peu de valeur et vandalisé le reste. Plusieurs maisons ont été attaquées, uniquement celles où logeaient des femmes seules. La plupart ont été blessées et fortement traumatisées mais elles sont surtout terrorisées, d’abord parce qu’elles n’ont pas été protégées par la police quand elles sont allées se plaindre, et aussi que de telles attaques reprennent. 
Cette attaque est une réplique des événements de 2001, à une autre échelle, sans doute un test pour voir les réactions de la société. Cette fois-ci les criminels sont masqués et agissent par petits groupes alors qu’en 2001 c’était une foule qui avait lynché les femmes. 

AWID: Qui sont les femmes attaquées ? Et pourquoi sont-elles les cibles de ces attaques? 

DID: Ce qui caractérise ces femmes c’est d’abord qu’elles ne sont pas de la région, ce sont des travailleuses au statut précaire, dans des emplois peu qualifiés : femmes de ménages, cuisinières, etc. et qui sont employées par des sociétés pétrolières. Elles sont ciblées en tant que femmes et de plus ne bénéficiant d’aucune protection, ni familiale, ni sociale. 
Ce sont des femmes poussées par la crise qui ont eu le courage d’aller dans d’autres régions, à la recherche de travail alors que l’emploi féminin reste faible et encore cantonné dans les grandes villes du nord. Elles sont sans tutelle masculine donc livrées à tous, elles vivent seules, elles gagnent leur vie ce qui est à l’encontre des principes de la société conservatrice. 

AWID: Pourquoi dites-vous qu’elles sont sans tutelle masculine donc livrées à tous et elles vivent seules, elles gagnent leur vie ce qui est à l’encontre des principes de la société conservatrice ? Quelle est la situation des femmes en Algérie et quels sont les principes auxquelles vous faites allusion ? À votre avis, quels autres facteurs ont contribué à augmenter la vulnérabilité des femmes de Hassi Messaoud victimes des récentes agressions?

DID: La société algérienne est conservative et fonctionne dans des règles au niveau de l'imaginaire social: les femmes sont sous tutelle masculine, en tant que fille, mère ou épouse et protégées par les parents mâles qui sont les garants de leur protection et de leur honorabilité, et ce sont les hommes qui entretiennent économiquement les femmes, ce qui est en fait de plus en plus remis en question par la réalité. Des femmes seules -célibataires, divorcées, veuves avec enfants- vont là où elles peuvent gagner leur vie, et par conséquent loin de leur famille, elles deviennent des femmes sans "attaches" donc non contrôlées et non protégées par les hommes de leur communauté. Elles sont doublement fragilisées, par l'absence de leur famille à proximité et par leur statut social précaire, d'où la facilité de les agresser car elles cristallisent les conflits liés au chômage, à la violence dans la rue pour ne citer que ceux-là. Il existe des femmes qui travaillent et vivent dans des quartiers tranquilles à Hassi Messaoud, et elles sont protégées dans ce cas par leur statut social ou par leur entreprise, ce qui n'est pas le cas des "femmes de ménage" femmes de peine, etc. vivant en habitat précaire. 

AWID: Comment les organisations locales algériennes se mobilisent-elles pour venir en aide aux femmes agressées ? 

DID: Une déclaration des associations de femmes a été immédiatement faite dans les medias pour dénoncer et informer les citoyens de ces événements scandaleux. Les associations de femmes, d’autres associations, et ligues de droit de l’homme, se sont constituées en Collectif de Solidarité avec les femmes de Hassi Messaoud. Le collectif a interpellé les autorités et les institutions locales sur leur responsabilité dans la protection des citoyennes et citoyens. Le collectif est en contact avec les femmes victimes et suit leurs demandes. Il exige qu’une protection des femmes soit assurée, et nous avons appris que des rondes de police sont effectuées la nuit depuis peu. 

AWID: Il semblerait que les autorités algériennes n’aient rien fait pour protéger les femmes – du moins au lendemain de ces attaques. Comment expliquez-vous ce silence ‘‘coupable’’ des autorités algériennes ? 

DID: Les autorités n’ont jamais été sensibles à la condition subalterne des femmes, légitimant par la loi et des règlements discriminatoires leur minorisation légale. La violence est encore considérée comme étant un comportement « normal » des hommes et les femmes sont rendues responsables de toutes les violences qui s’exercent sur elles. 

AWID: Vous aviez organisé le samedi 24 avril une conférence de presse à propos de ces massacres. Quelles sont les informations que vous avez partagées ? Quelles sont vos stratégies pour gérer cette affaire et vous assurer du succès de vos actions? 

DID: Nous avons partagé avec les journalistes les dernières informations transmises par téléphone avec les femmes de Hassi Messaoud qui demandent à ce que nous faisions pression sur leurs employeurs de crainte qu’elles perdent leur poste de travail, car c’est une menace constante et sans doute le moyen de les faire partir de la ville. Elles nous demandent de ne pas nous déplacer pour les voir craignant également des représailles de leurs agresseurs. 

AWID: Quelles sont les demandes qu'ont formulées les femmes victimes de ces agressions jusqu'ici? Pourquoi ne veulent-elles pas que vous vous déplaciez pour les voir ? 

DID: Des femmes nous ont demandé de faire quelques chose pour faire cesser ces agressions qui en fait existent depuis des années, de manière sporadique et d'intensité variable. Elles nous ont demandé de ne pas venir pour ne pas attirer l'attention sur elles, leur famille, sur leurs logements, craignant également des représailles de la part de leurs employeurs qui ne veulent pas de problèmes. Deux personnes sont quand mêmes allées sur place et vont donner leur vue de la situation. 

AWID: Dans vos exigences vous réclamiez des autorités algériennes « qu’elles fournissent aux victimes l’assistance matérielle et psychologique nécessaire, qu’elles assurent leur réintégration dans leur travail une fois leur convalescence terminée, qu’elles entreprennent immédiatement les investigations nécessaires et traduisent les assaillants en justice. » Avez-vous pris d’autres dispositions pour vous assurer que vos exigences seront satisfaites ? Car déjà en 2001, lorsque des évènements similaires ont eu lieu, il semblerait que jusqu’à présent ces crimes sont restés largement impunis et la plupart des victimes en souffrent toujours n’ayant pas pu refaire leur vie. 

DID: La seule disposition est de rester vigilants et de continuer à interpeller les institutions sur leurs responsabilités vis-à-vis de la sécurité des citoyens, à s’informer de l’évolution de la situation, et à essayer de répondre aux demandes des femmes, à les accompagner dans leurs démarches car rien dans le fonctionnement social n’est à leur avantage. A la différence des événements de 2001 qui ont été médiatisés, ce n’est pas le cas aujourd’hui où le plus grand silence persiste et où l’on voit la « société civile locale » aux ordres démentir et nier toute agression, et traiter d’une manière infâme les victimes. 

AWID: Vos actions vont/iront-elles au-delà du secours et de l’assistance immédiate aux femmes victimes de ces massacres et incluront-elles: des moyens matériels et financiers et surtout le soutien moral et psychologique à long terme dont elles ont besoin pour pouvoir refaire leur vie et continuer à travailler pour subvenir aux besoins de leurs familles ? 

DID: Le développement de la situation et les demandes des femmes nous détermineront quant aux actions futures à mener; notre rôle actuellement est de harceler les institutions afin qu’elles assurent leur mission de garantir la sécurité des personnes et des biens inscrits dans la Constitution. 
La lutte est longue, les événements de 2001 nous l’ont montré, il s’agit de ne jamais faiblir quant à la dénonciation publique des crimes et l’exigence de justice, tandis que l’aide matérielle ou financière est secondaire par rapport à la reconnaissance de leur statut de victime. 

AWID: Les autorités ont commencé à réagir à travers les patrouilles de la police - ce qui est vraiment positif - avez-vous reçu des garanties que cela va continuer? Faites-vous pression dans ce sens? Comment harcelez-vous actuellement les institutions? Et quelles types d'appui pensez-vous que les organisations de femmes en Afrique et dans d'autres parties du monde pourraient vous apportez dans vos actions? 

DID: La campagne continue puisque nous avons fait une conférence sur la création du collectif de solidarité avec les femmes de Hassi Messaoud, des lettres aux autorités ont été remises, d'autres sont sur le point d'être remises, et la sollicitation des autorités pour une plus grande sécurité est faite selon leur demande. La situation semble plus calme maintenant mais bien sûr nous restons vigilantes et le collectif agira comme organe de veille car cette violence reste endémique.

Pour ce qui concerne l'aide que pourraient apporter les femmes du monde, je crois que la manifestation de leur solidarité, faire circuler l'information dans les plus larges cercles est un moyen très efficace de faire réagir les autorités.


Pour en savoir plus et/ou suivre l’évolution de la situation des femmes à Hassi Messaoud, visitez : http://hassi-messaoud.over-blog.com/categorie-11432089.html et http://www.wluml.org/fr 


L’auteure remercie sa collègue Saira Zuberi, du Programme Résister et s'opposer aux fondamentalismes religieux de l’AWID, ainsi que Fatou Sow, Aisha Shaheed et Samia Allalou du WLUML pour leur précieuse collaboration à la rédaction de cet article. 

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