Burkina Faso: Ecole coranique ou école publique ?

Source: 
IRIN
Dans la région essentiellement musulmane du Sahel, dans le nord du Burkina Faso, moins de la moitié des quelque 150 000 enfants en âge d’être scolarisés sont inscrits à l’école primaire, contre 72 pour cent, en moyenne, à l’échelle nationale.
Malgré les efforts déployés par les autorités publiques en vue de promouvoir la scolarisation, les familles du nord envoient leurs enfants aux cours du soir des écoles coraniques, ou bien ne les scolarisent pas du tout.
« La religion a un certain pouvoir dans notre culture », a expliqué Judithe Tapsoba, directrice générale du service d’éducation de base, au ministère de l’Education. « Les parents choisissent, trop vite, d’envoyer leurs enfants prendre des leçons de prière, parce que la religion est au cœur de ces communautés ».

A quelque 300 kilomètres au nord de Ouagadougou, la capitale, les provinces de Soum, Séno, Yagha et Oudalan affichent des taux d’alphabétisation bien inférieurs à la moyenne nationale de 28 pour cent, selon les statistiques publiques 2003.

« Ils pensent qu’en confiant leur enfant au [dignitaire religieux] marabout, pour qu’il travaille pour lui et lui permette de s’enrichir, ils iront au paradis » A l’école de Koupel, dans la région du Sahel, quatre élèves ont passé l’examen d’entrée à l’école secondaire, en 2005 ; aucun d’entre eux n’a réussi. Deux ans plus tard, dans le même établissement, huit élèves ont passé le même examen ; un seul l’a réussi. Dans les écoles de la province de Séno dont les données ont été communiquées, huit pour cent des quelque 200 élèves qui ont passé l’examen ont eu une note suffisante pour être admis au secondaire.

Selon Mme Tapsoba, l’Etat a amélioré et augmenté ses salles de classe pour tenter d’attirer davantage d’élèves, sans grand succès. Ainsi, dans la région du Sahel, le nombre d’établissements scolaires a augmenté, passant de 327 en 2004, à 1 549 en 2009, mais les enfants continuent d’arrêter l’école, d’après Mme Tapsoba.

A l’école de Kirgou, dans la province de Yagha, 150 élèves s’étaient inscrits, au début de l’année, en octobre 2008 ; ils ne sont plus que 50 aujourd’hui. De même, les 46 élèves de l’école voisine de Kollakoye ont abandonné avant la fin de l’année. L’enseignant de l’école a été muté dans un autre établissement.

Selon les directeurs d’établissement avec lesquels IRIN s’est entretenu, certains parents retirent leurs enfants des écoles pour les faire travailler dans les champs ou avec le bétail, tandis que d’autres deviennent de plus en plus méfiants à l’égard de l’enseignement public à mesure que l’année s’écoule.

En général, les parents de la région font plus confiance aux écoles coraniques, selon Diallo Idrissa, directeur d’un établissement d’enseignement de base de la province de Yagha. « Ils pensent qu’en confiant leur enfant au ?dignitaire religieux] marabout, pour qu’il travaille pour lui et lui permette de s’enrichir, ils iront au paradis ».

Ainsi, vers la deuxième moitié de l’année scolaire, il ne reste plus dans chaque classe que 10 élèves en moyenne, selon Mme Tapsoba. « On est amené à se demander quelle stratégie [permettra] de faire comprendre aux parents que l’instruction formelle est nécessaire ».

Des avantages différés

En raison du faible taux de fréquentation scolaire au primaire, les mariages précoces sont plus nombreux et davantage d’enfants travaillent dans les champs ou les mines d’or, selon Boureima Sawadogo, directeur d’une école primaire. D’après Mme Tapsoba, du ministère de l’Education, le travail des enfants donne des résultats plus immédiats que l’instruction. « Les activités comme [l’agriculture] ou l’élevage donnent des résultats concrets et immédiats, tandis qu’avec l’instruction, il faut attendre six ans ou plus avant que l’enfant devienne productif ».

Les repas scolaires financés par le gouvernement américain et l’organisme à but non-lucratif Catholic Relief Services (CRS) dans toutes les écoles du Sahel sont le seul avantage immédiat de la scolarisation, selon Oumarou Nourridine, de l’Association des parents et des élèves d’Oudalan. « Ces repas, offerts exclusivement aux filles, ont permis de multiplier le nombre d’écolières. Les parents savent que leurs filles ramèneront au moins des rations alimentaires à partager avec la famille ».

Pagbelgem Pegdwendéle, directeur de l’école de Dambam, a indiqué à IRIN que sur les 168 élèves de son établissement, 100 étaient des filles.

Mais si la gratuité des repas incite les parents à inscrire leurs filles à l’école, a-t-il expliqué, ils continuent, en revanche, à en retirer leurs fils, sans doute pour que ceux-ci puissent s’occuper du bétail.

La solution

Ismaël Kiendrébéogo, chef religieux musulman, membre de l’Association des élèves et étudiants musulmans du Burkina Faso, a expliqué à IRIN que les parents musulmans du nord du pays étaient inquiets à l’idée que leurs enfants puissent perdre la foi musulmane au sein du système scolaire formel, que les populations associent au christianisme depuis l’époque de la colonisation française.

Bien que les établissements publics soient théoriquement séculaires, a-t-il ajouté, les élèves catholiques forment des groupes d’étude dans l’enceinte des écoles. « Nous devrions donner aux élèves musulmans la possibilité d’en faire autant et de suivre des formations semblables. Nous devrions par exemple consacrer au moins un jour par semaine à l’enseignement de l’Islam et du Coran au sein d’une structure formelle », a recommandé M. Kiendrébéogo.

A l’heure actuelle, les cours du soir dispensés par les écoles coraniques, qui durent deux heures et se terminent à 20 heures, ne comprennent aucun enseignement de la lecture et de l’écriture. Bien que ces classes n’aient pas été officiellement recensées, selon Mme Tapsoba, il existe environ 1 000 écoles privées franco-arabes, où l’on enseigne à la fois le programme scolaire formel et l’islam.

L’Etat transmettra le message suivant aux dignitaires religieux, a-t-elle ajouté : « L’instruction formelle peut permettre à la religion de prospérer, car elle ouvre [à l’enfant] de nouveaux horizons. Pour suivre le développement d’une religion, il faut savoir lire et écrire ».

23 avril 2009

Source : IRIN