France: L'imam de Drancy s'investit dans le rapprochement des religions
Le lendemain, la maison du jeune imam de Drancy est saccagée. Les auteurs de ce cambriolage à l'allure de représailles ne seront pas identifiés. Pour avoir reconnu publiquement la singularité de la Shoah, Hassen Chalghoumi est devenu «l'imam du rapprochement». Reçu à l'Élysée en janvier. Invité au dîner du Crif en mars. Félicité par Nicolas Sarkozy. Mais parfois décrié dans sa communauté, où ses détracteurs l'appellent «l'imam des Juifs». Soupçonné de trahison, Chalghoumi est mis à l'index dans certaines mosquées.
«Ce n'est pas très confortable», reconnaît-il. «Mais avec le temps, on y arrivera, regardez la France et l'Allemagne», répète-t-il, tout empreint d'un messianisme réconciliateur, que son parcours ne laissait pas présager. Tunisien de 35 ans, formé à l'islam en Syrie et au Pakistan, Chalghoumi arrive en France en 1996. Il rencontre celle qui deviendra sa femme, s'installe, prêche à mi-temps dans la salle de prière d'un foyer situé à Bobigny. Un lieu surveillé par les Renseignements généraux, qui soupçonnent une dérive radicale. L'autre imam fera l'objet d'une procédure d'expulsion en 2003, enrayée par les associations musulmanes de Seine-Saint-Denis. Chalghoumi intrigue les policiers. «Je n'ai pourtant jamais été un fondamentaliste», assure-t-il. «J'ai pris un crédit pour acheter ma maison (ce que réprouve l'islam), je ne porte pas la barbe, je serre les mains des femmes et mes enfants sont dans le privé catholique», résume-t-il. Il s'établit à Drancy avec ses cinq enfants, monte une société de sécurité. Il s'instaure médiateur dans son quartier.
Lorsque le maire centriste, Jean-Christophe Lagarde, rencontre les associations musulmanes qui souhaitent édifier un lieu de culte, Chalghoumi est l'imam pressenti. Le maire décide d'avancer l'argent, 1,8 million, pour construire «cet équipement municipal, qui peut être reconverti. C'était la solution pragmatique et légale pour permettre aux musulmans de pratiquer dignement» , justifie Jean-Christophe Lagarde. Très vite, la mosquée rassemble des milliers de personnes chaque semaine, des enfants, les mercredi, samedi et dimanche, et les 4 000 euros de loyer sont dûment versés. La «mosquée municipale» fonctionne… avec un imam taillé sur mesure pour une ville symbole comme Drancy. «Je n'ai donné aucune consigne», assure le maire, avant de concéder : «si ce n'est l'ouverture aux autres religions».
L'imam prend contact avec l'église et la synagogue voisines. Invite les responsables juifs dans sa mosquée, favorise les rencontres entre fidèles. Dans un crissement de dents : «Certains croyants n'étaient pas contents, raconte Chalghoumi. Je leur ai dit, faites connaissance et on verra.» Quelques mois plus tard, le maire assure que «les relations entre communautés se sont grandement améliorées». Localement, le bouillonnant Chalghoumi a réussi son pari. Mais ne s'arrête pas là. «Il en fait trop», susurrent ces opposants, qui lui prêtent une ambition exacerbée. «Dès que l'on agit, on est accusé d'être à la solde du maire, des Juifs, de Sarkozy», rétorque l'imam. À l'automne, il intervient dans le XIXe arrondissement de Paris, après l'agression du jeune Rudy, laissé presque mort après une rixe entre bandes communautaires. Lorsque débute l'offensive israélienne à Gaza, fin décembre, Chalghoumi s'inquiète de voir les actes antisémites se multiplier. Il prône le contrôle des manifestations pro-palestiniennes craignant que «les radicaux ne détournent l'émotion légitime» vers la haine. «Les citoyens français juifs doivent pouvoir vivre en paix.» Ses fidèles de Drancy l'appuient. Mais ses positions agacent ailleurs. Sa voiture est recouverte d'huile de vidange. Il reçoit insultes et menaces téléphoniques. Et le soutien chaque jour plus explicite des organisations juives.
«C'est un homme sincère et indépendant», défend Samy Gozlan, du Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme. «Lui n'est pas influencé par des autorités étrangères.» Le ministère de l'Intérieur et des Cultes, en peine avec son Conseil français du culte musulman, l'observe avec circonspection. «Il est isolé, glisse-t-on, n'a pas vraiment d'influence.»
Chalghoumi sait d'ailleurs, que seul, il s'épuisera. «Beaucoup d'imams veulent tendre la main aux juifs mais craignent d'être mal vus. Il faut se regrouper», répète-t-il. À l'occasion d'un dîner débat organisé par le Conseil des communautés juives du Val-de-Marne, il annonce en mars la création d'une association des imams de France. «Avec une trentaine d'imams venus principalement d'Ile-de-France et de l'Est, nous voulons échanger des expériences de terrain dans une dimension interreligieuse et citoyenne», explique-t-il. Parmi les convives, la ministre du Logement, Christine Boutin, le Grand Rabbin, Gilles Bernheim, les présidents du Consistoire et du Crif, l'évêque de Créteil, Mgr Michel Santier, et plusieurs imams du département. Mais point de Lhaj Thami Breze, le président du Conseil régional du conseil des musulmans d'Ile-de-France. Ce proche des Frères musulmans a été désinvité après ses attaques virulentes contre «la barbarie israélienne» à Gaza. Entre le Crif et l'UOIF, la guerre est ouverte désormais. Mais la relation n'est guère plus florissante avec la Mosquée de Paris. Son représentant, Djelloul Seddiki, a quitté le groupe d'amitié judéo-musulmane pendant l'opération «Plomb durci». Désormais, sur les terres brûlées du rapprochement, il ne reste que Chalghoumi. La semaine dernière, il était en Israël et à Gaza, avec un prêtre et un rabbin. Pour un nouvel exercice d'équilibriste qui force l'admiration. Sans toujours convaincre.
27 mars 2009
Cécilia Gabizon
Source : Le Figaro