Sénégal : Emprisonnés pour homosexualité - les organisations anti-sida condamnent
L’IAS et la SAA, partenaires de l’organisation de la dernière Conférence internationale sur le sida et les infections sexuellement transmissibles en Afrique (ICASA), organisée en décembre 2008 au Sénégal, ont rappelé que « les responsables gouvernementaux sénégalais, en tant qu’hôtes [d’ICASA], ont également publiquement promis leur soutien pour réduire le VIH parmi les minorités sexuelles ».
Criminaliser des groupes de personnes ne sert qu’à alimenter l’épidémie de sida en barrant l’accès à des services de prévention et de traitement du VIH, ont prévenu les organisations. Un point de vue partagé par le professeur Cheikh Ibrahima Niang, anthropologue à l’Université de Dakar, la capitale sénégalaise, auteur d’études sur la sexualité et le sida au Sénégal.
« La sévérité de la sentence a créé une atmosphère de panique parmi les associations qui travaillent dans le domaine de la prévention et du traitement du VIH pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes [MSM, en anglais] », a-t-il dit à IRIN/PlusNews. « C’est contreproductif. La peur de la répression a pour conséquence de forcer les activistes de la lutte contre le sida à l’exil et de mettre un terme aux activités VIH [avec les MSM] ».
« Pornographie »
Michel Bourelly, de l’organisation française AIDES, qui travaille aussi au Sénégal, a précisé que les neuf hommes avaient été arrêtés alors qu’ils assistaient à une séance de prévention du VIH, où des brochures, des préservatifs et des modèles de pénis, destinés à la démonstration de l’utilisation du préservatif, avaient été confisqués comme ‘matériel pornographique’.
« Les préservatifs qui ont été qualifiés de matériel pornographique durant le procès avaient été fournis par le gouvernement sénégalais », a dit M. Bourelly à IRIN/PlusNews.
Mamadou*, un jeune Sénégalais membre d’une organisation qui fournit des services VIH/SIDA aux MSM, a dit que le climat général à l’encontre de la communauté gay, déjà fortement dégradé au cours de l’année 2008 suite à une véritable chasse à l'homme lancée contre les MSM après la publication dans la presse locale de photos d’une cérémonie gay, s’était encore détérioré depuis l’arrestation, en décembre, et le procès, début janvier, des neuf hommes.
« La violence physique est plus répandue maintenant. Avant, il y avait des groupes qui nous aidaient – ils nous donnaient le courage de nous réunir. Nous travaillions sur la prévention. Mais maintenant c’est trop dangereux », a-t-il dit.
Accusé d'hypocrisie
Les neuf condamnés ont été arrêtés moins de deux semaines après la fin de la conférence ICASA, dont le thème était « Réponse de l’Afrique : Faire face aux réalités ».
Dans un entretien accordé à IRIN/PlusNews en novembre, le professeur Souleymane Mboup, scientifique sénégalais reconnu de la recherche contre le sida et président d’ICASA, avait souligné que l’existence des MSM ne pouvait plus être ignorée en Afrique.
« [C’]est une réalité que l’on doit forcément prendre en compte si on veut aller de l’avant… on ne peut pas fuir éternellement », avait-il dit. « Beaucoup de pays, dont le Sénégal… ont eu à ouvrir les yeux et à apprendre… Il faut réfléchir à quelle stratégie [adopter] ».
Mais Mamadou, qui a participé à la conférence, a estimé que l’approche du Sénégal face à l’homosexualité était hypocrite. « A ICASA, la communauté gay était représentée, mais dans ce pays, on peut être jeté en prison pour homosexualité », a-t-il dit.
''...Le Sénégal a reçu des sommes d’argent considérables pour répondre aux besoins des MSM. Mais maintenant, il met en prison les gens qu’il est censé aider ...'' Sur les lieux mêmes d’ICASA, les activistes ont été verbalement agressés, a-t-il dit. « Des jardiniers [du centre de conférence] sont venus au stand d’AfricaGay [une organisation africaine] et ont insulté les gens, les traitant de tous les noms. Donc les gays sénégalais n’ont pas osé se montrer ».
Des sommes considérables
En 2007, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a accordé au Sénégal une subvention VIH/SIDA de plus de 32 millions de dollars sur cinq ans pour lutter contre l’épidémie notamment parmi les « groupes très vulnérables », parmi lesquels les MSM. Selon le projet, 5 000 MSM devaient bénéficier de services VIH/SIDA.
« Le Sénégal a reçu des sommes d’argent considérables pour répondre aux besoins des MSM. Mais maintenant, il met en prison les gens qu’il est censé aider », a déploré M. Bourelly, d’AIDES.
Contacté à plusieurs reprises, le Conseil national de lutte contre le sida, l’un des principaux bénéficiaires de la subvention du Fonds mondial, n’a pas donné suite. Le directeur de la division IST (infections sexuellement transmissibles)/VIH/SIDA du ministère sénégalais de la Santé, Abdoulaye Sidibé Wade, a seulement affirmé que des services VIH/SIDA pour les MSM étaient toujours disponibles.
Alors que le taux de prévalence du VIH est faible parmi la population générale au Sénégal (0,7 pour cent selon les autorités), les MSM affichent un taux d’infection de 21,5 pour cent, selon une étude menée en 2005, et 80 pour cent de ces hommes ont également des relations sexuelles avec des femmes, d’après une étude de l’Université de Dakar.
« C’est une erreur énorme de penser qu’il s’agit seulement d’un ‘problème homosexuel’ – la plupart des MSM ont eu, ou continue d’avoir, des relations sexuelles avec des femmes. Donc l’impact de l’arrêt des programmes pour les MSM sera considérable pour toute la population », a dit M. Bourelly.
Changer la loi
L’homosexualité est passible d’une peine d’emprisonnement allant de un à cinq ans de prison, selon le Code pénal sénégalais. Dans le cas des neuf hommes, le juge a ajouté trois ans pour association de malfaiteurs. Leurs avocats ont fait appel.
Des groupes de défense des droits humains et les organisations de lutte contre le sida ont appelé à la libération immédiate des condamnés, mais également à une révision du Code pénal.
« La loi est assez ancienne », a noté M. Niang, de l’université. « Il est maintenant nécessaire de commencer à poser les vraies questions en relation avec la prévention du VIH. Sanctionner l’orientation sexuelle est contreproductif et dangereux parce que cela accroît la vulnérabilité des personnes ».
« Cela ne sert à rien de dire que l’homosexualité n’existe pas… dans nos sociétés », a-t-il dit. « Cela existe, et c’est un phénomène ancien. En ignorant son existence, nous ne répondrons pas de manière appropriée [à l’épidémie de VIH] ».
15 janvier 2009