L’analyse de Jean Ziegler, membre du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies et auteur de la Haine de l’Occident (Albin Michel, 2008).
Jean Ziegler. La bande de Gaza compte 1,5 million d’habitants sur 363 kilomètres carrés, ce qui en fait un des bouts de terre le plus peuplé du monde. Dans cette situation, des bombardements massifs sont un massacre inévitable. Selon l’ONU, le gouvernement israélien est en violation du droit international et du droit international humanitaire. La première de ces violations par Israël est le blocus de Gaza : l’application d’une punition collective à une population entière, et l’utilisation de la privation d’alimentation et de médicaments comme une arme de guerre sont contraires aux conventions de Genève. D’autre part, Israël a le droit de déclarer la guerre à une instance politique, militaire comme le Hamas, dans le cadre de son droit de légitime défense. Par contre, prendre le risque de bombarder une population civile est inadmissible et contraire au droit international.
De nombreux organismes et représentants des Nations unies dénoncent depuis longtemps la politique d’occupation israélienne, sans résultat. Cette impuissance est-elle inéluctable ?
Jean Ziegler.
Israël est membre de l’ONU mais refuse l’application de la très grande majorité de ses résolutions. Il justifie cela par son droit à la sécurité dont la réalisation unilatérale primerait sur tout. Aujourd’hui, il sert probablement à peu de chose d’adopter une énième résolution qu’Israël n’appliquera pas, comme cela vient de se passer.
La seule chose à faire est de placer des casques bleus à la frontière. Dans 27 pays du monde, les Nations unies disposent de forces armées dont le mandat est de maintenir la paix, de séparer les parties en conflit, comme au Sud-Liban, à Chypre, en Érythrée, au Congo… Avec près de 100 000 hommes et femmes de 112 pays servant sous ses drapeaux, l’ONU aurait donc sans aucun doute les moyens matériels et humains de mettre en place rapidement une force d’interposition internationale entre Israël et Gaza. Bien entendu, la solution de fond, ce sont des négociations, la fin de l’occupation, la naissance d’un État palestinien et la garantie des frontières israéliennes. Mais dans l’immédiat, il faut envoyer des casques bleus, de préférence des contingents européens, pour arrêter le massacre. L’Europe et la France, comme membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, devraient en faire la proposition.
Comment Israël a-t-il pu et peut-il encore aujourd’hui violer ainsi le droit international ?
Jean Ziegler.
Les Européens sont particulièrement responsables. Il y a aujourd’hui une situation absurde : en juin 1999, a été conclu un accord de libre-échange entre l’UE et Israël. Comme dans tout accord européen de ce type, l’article 2 fait du respect des droits de l’homme par les deux parties la condition de la validité du contrat. Or, selon le constat officiel du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, les gouvernements successifs d’Israël ont violé de nombreux droits de l’homme : tortures, exécutions extrajudiciaires, occupation avec colonisation, emprisonnement sans jugement, punition collective des populations, expropriation des terres dans les territoires occupés. Mais les gouvernements d’Israël affirment que leur besoin de sécurité est primordial. Selon John Dugard, rapporteur spécial de l’ONU pour les territoires occupés, Israël pratiquerait donc ce qu’il appelle « le terrorisme d’État ».
Que cet article 2 n’ait jamais été invoqué par les Européens est incompréhensible ! Il faut savoir que 65 % des exportations israéliennes vont sur le territoire des 27 pays de l’UE. Les observateurs pensent que si l’accord était même temporairement suspendu, des négociations effectives auraient lieu avec les Palestiniens. Non seulement il n’a jamais été suspendu, mais il vient même d’être « rehaussé » alors que la punition collective de Gaza était en cours. La solution au conflit actuel est claire : il faut deux États souverains dans les frontières de 1967.
Entretien réalisé par Charlotte Bozonnet
30 décembre 2008
Source: L'Humanité