Mondiale: "L’Islam entre unicité et pluralité", par Zyed Krichen
La démarche du séminaire était didactique : exposer la pluralité dans la réalité historique de la culture musulmane dans un premier moment et en tirer les conséquences théoriques par la suite..
Durant deux jours, l’auditoire, composé essentiellement d’enseignants et d’étudiants de l’Université Zitouna, a eu droit à une série de conférences sur les traces visibles de la pluralité musulmane : le Chiisme, le Soufisme, le féminisme, l’Ibadhisme et même des formes limites de cette pluralité tels que les Druzes, secte hétérodoxe qui s’inscrit politiquement dans la communauté arabo-musulmane tout en étant assez éloignée des principes religieux majoritairement admis par les Musulmans.
Le deuxième moment se voulait comme une récapitulation théorisée de cette pluralité dans les différentes disciplines de ce que l’on appelle communément les sciences religieuses.
Certaines conférences ont été une véritable délectation pour l’esprit. On peut citer notamment celle du Syrien George Jabbour “Rapprochement entre les Ecoles islamiques”, du Libanais Abbas Halabi “Les Druzes : l’aboutissement ultime d’un aspect de la pluralité de l’Islam”, de l’Iranienne Shahrazad Zadeh “La doctrine de l’homme parfait dans le Chiisme duodécimain”, de l’Allemand Christian Troll “Islam vécu et perçu dans le contexte d’une nation et un monde pluraliste : l’exemple de Maulana Abdul Kalem Azad” et surtout de la Tunisienne Iqbal Gharbi “L’Islam féministe : enjeux et paradoxes”.
Par contre la plupart des intervenants tunisiens ont souvent cherché à minimiser la dimension plurielle de l’Islam. On a souvent entendu dire : l’Islam est unicité dans son essence. Les divergences ne peuvent que porter sur les détails et jamais sur les fondements. Il semble que ce crédo est tellement ancré dans les esprits que certains conférenciers n’ont pas pu supporter d’écouter “La parole chiite“ de Shahrazad Zadeh alors que son texte était d’une beauté mystique de haute voltige. Certains ont vu dans l’intitulé même du séminaire une tentative occidentale (ou occidentalisée) pour diluer l’essence de l’Islam dans une pluralité factice.
Mais le plus intéressant, et le plus surprenant aussi, est ce consensus qui consiste à dire que la pluralité des lectures est due à une différenciation des niveaux de compréhension.
En d’autres termes, si l’on est de bonne foi, si l’on a une culture religieuse solide et si l’on est suffisamment intelligent, alors on ne peut qu’être d’accord sur l’essentiel, à l’instar des grands jurisconsultes de l’Islam sunnite.
Mais comment se fait-il que les premiers Musulmans (les Compagnons du Prophète) se soient entretués ? Comment expliquer les divergences fondamentales entre les différentes communautés (sectes, firaqs) de l’Islam ? A quoi référent les différences de lecture et d’interprétation ?
Sur ces questions de fond la plupart des participants tunisiens n’ont apporté que des réponses traditionnelles. Ils ont même critiqué l’un des leurs, leur confrère Mohamed Khadraoui, pour son usage immodéré à leurs goûts des penseurs et philosophes occidentaux, pour développer une nouvelle approche herméneutique (science de la critique et de l’interprétation des textes sacrés). Quand on pense que des enseignants universitaires estiment pouvoir parler d’exégèse et de commentaire coranique sans aucune connaissance de l’herméneutique et des sciences du langage, on comprend l’étendue du déphasage de la pensée religieuse institutionnelle dans notre pays et dans le reste du Monde arabe.
Si l’expérience historique des Musulmans, dès la mort du Prophète, n’a connu que la pluralité des interprétations et des Ecoles, pourquoi chercher aujourd’hui une unicité qui transcende l’histoire et la pensée concrète des Musulmans durant quinze siècles ? La pluralité est-elle un mal dont il faut se prévenir ? Et l’unicité a-t-elle engendré autre chose que le fascisme, qu’il soit laïque ou religieux ?
Se réclamer d’une Ecole tunisienne modérée en matière de pensée religieuse est intéressant. Encore faut-il que les voix réformatrices, telle que celle du Professeur Iqbal Gharbi sur le féminisme musulman, soient plus écoutées et que nos universitaires séparent nettement les exigences de la recherche scientifique, neutre et distanciée par définition, de l’engouement sans discernement des prédicateurs."
Par: Zyed Krichen
29 novembre 2007
Source: Réalités Magazine