Mondiale: "L’islamisme entre vision politique et vision policière" par journaliste de l'humanité, Hassane Zerrouky

Source: 
Benchicou
"Mais, il n’en reste pas moins, que l’islamisme, sous ses diverses versions, est un. Qu’il soit présent au Maroc, en Algérie ou en Indonésie, il poursuit un seul et même objectif: instaurer un Etat basé sur la chariâa."
S’agissant de l’islamisme et, particulièrement de la Qaïda, il faut se garder d’avoir une vision policière du fait islamiste. Certes, il est normal que l’on s’interroge sur un phénomène qui perdure, sur des attentats revendiqués ou pas, sur le fait qu’aucun pays ayant affaire au terrorisme islamiste, ne soit parvenu à en venir à bout.
De même qu’il est normal que l’on se demande pourquoi les solutions mises en œuvre en Egypte, en Algérie, en Irak et ailleurs, consistant à intégrer les islamistes au jeu politique, n’ont donné aucun résultat. Mais, il n’en reste pas moins, que l’islamisme, sous ses diverses versions, est un. Qu’il soit présent au Maroc, en Algérie ou en Indonésie, il poursuit un seul et même objectif: instaurer un Etat basé sur la chariâa. Les différents islamismes se réfèrent aux mêmes sources doctrinales, celles du pakistanais Mawdudi, de l’égyptien Sayd Kutb, du saoudien El Baz ou du palestinien, père spirituel des « afghans rabes », Abdelallah Azzam. A côté, il y a ceux que la presse occidentale présente comme des islamistes modérés, qui ne représentent pas une menace pour les intérêts occidentaux, tels les Frères musulmans, le PJD marocain, le MSP algérien qui rejettent la violence comme moyen de parvenir au pouvoir. En réalité, ces derniers qui se réclament de l’Islam politique, ont compris que l’islamisme djihaddiste, sauce Ben Laden, nuit au projet islamiste car, estiment-ils, par ses exactions, il mène tout droit à l’échec en détournant les « musulmans » du vrai projet islamiste, le leur!

Certes, d’aucuns estiment – c’est leur droit – que les islamistes ( je pense au GSPC) sont manipulés par les services secrets. Cette thèse véhiculée par des islamistes algériens qui se sont rendus compte, après coup, que certains attentats desservaient leur cause, thèse relayée de surcroît par certains médias, procède d’une vision policière et non d’une vision politique du fait terroriste islamiste. Il est, en effet, possible de noyauter un groupe armé, mais manipuler tout un mouvement, de la base au sommet, est impossible. Affirmer que cela est possible, c’est sous-entendre que les islamistes radicaux sont des simples d’esprit que l’on peut facilement instrumentaliser : or, ce sont des gens convaincus politiquement et idéologiquement. De plus, la thèse de la manipulation et de l’instrumentalisation de l’extrémisme religieux fait l’économie de la réflexion sur les vrais causes du développement de ce phénomène tout en le sous-estimant dangereusement. Que des régimes aient laissé ce phénomène se développer en pensant qu’ils pourraient l’instrumentaliser contre les forces de la démocratie et de la modernité, est un fait évident. Le régime égyptien d’Anouar Sadate en est une parfaite illustration: il a été celui qui a le plus utilisé les religieux islamistes pour se débarrasser de ses adversaires. Or, l’histoire nous a montré les limites de telles pratiques: le résultat aura été une propagation sans précédent de l’islamisme et qu’aujourd’hui l’Egypte est au bord d’une révolution islamique. Toute chose égale par ailleurs, cela est vrai pour l’Algérie. C’est la raison pour laquelle aucun service secret au monde, y compris la puissante CIA, n’est parvenue à les manipuler. La CIA a cru pouvoir le faire quand elle a financé et armé les moudjahidin afghans et un certain Oussama Ben Laden lorsque ce dernier avait oganisé les « afghans arabes ». Pour mémoire, à cette époque, en 1977, Zbignew Brzinsky, conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, avait imaginé la stratégie dite de « La ceinture verte » (Green Belt) destinée à opposer l’islamisme au communisme soviétique considéré par Washington comme la principale menace. Elle consistait à aider les mouvements islamistes à prendre le pouvoir dans les pays arabes et musulmans suspectés d’être proches de l’URSS. Dix ans plus tard, en 1998, en réponse à une question du Nouvel Observateur, lui demandant s’il ne regrettait pas que la stratégie de la Ceinture verte ait favorisé « l’intégrisme islamiste », il se félicitait au contraire de son succès en ces termes: « Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ? » Le problème est qu’en trente ans, les « quelques excités islamistes » ont fait du chemin au point où même la CIA a été incapable d’y faire face quand ils ont commencé à s’attaquer aux régimes alliés des Etats-Unis.

En vérité et plus généralement, ce retour médiatisé du religieux, sous sa forme radicale ou dite modérée, prouve une chose: l’incapacité de la pensée islamique religieuse à se renouveler et à aborder sereinement son époque. Prenons un exemple. Nos religieux et certains intellectuels arabes s’offusquent que l’on caricature grossièrement la religion musulmane. Mais, il suffit d’écouter les prêches diffusés le vendredi par les médias arabes pour s’apercevoir qu’ils ne véhiculent nullement un message de paix et que, dans beaucoup de cas, ils véhiculent la haine pour tout ce qui n’est pas musulman. Autre exemple, la chariâa présentée comme œuvre divine alors qu’elle n’est que le fruit de la création des hommes à partir d’une interprétation des textes sacrés élaborée au Moyen-âge. Et à propos de l’Etat (Algérien, égyptien ou autre) qui fait la promotion de l’Islam, par le biais de l’enseignement, la construction des mosquées, Soheib Bencheikh, qu’on ne présente plus, faisait déjà remarquer en septembre 2001que cet « Etat musulman enseigne sa propre négation à travers l’enseignement d’un Islam qui ne se réforme pas et reste compris pour une société tribale, patriarcale, traditionnelle ». Ajoutant à propos de la chariâa : « faire d’un droit musulman issu des sociétés patriarcales une sorte de droit universel, c’est ce que j’appelle la bédouinisation de l’Islam » et d’indiquer que « toute tentative de réformer l’islam - et le droit musulman en particulier - passe par une désacralisation, par une relecture des textes à la lumière de l’intelligence moderne ». Car concluait-il, ou l’islam « marche avec son siècle, ou il reste en marge de la société moderne ». Soheib Bencheikh n’est pas seul à penser ainsi, l’irakien Madjed al-Gharbaoui, les tunisien Mohamed Charfi et Abdelwahab Medeb, le Jordanien Chaker Naboulsi, les Algériens Mohamed Arkoun, Malek Chebel et Ghaleb Bencheikh, le Marocain Filali Ansary, l’indienne Irshad Manji [elle est canadienne, ed.], pour ne citer que ceux-là, partagent la même préoccupation.

Pour conclure, le problème est que les pouvoirs politiques en place dans le Maghreb et ailleurs ne font rien pour médiatiser le discours de ces penseurs musulmans, voire leur accorder un temps d’antenne, comme ils le font pour Qaradawi. Ils ne le font pas, non pas par peur de leurs peuples, mais par crainte de voir la pensée rationaliste se propager, induisant dans l’esprit du plus grand nombre les valeurs de modernité, de tolérance, de liberté et de respect de l’autre, ouvrant à terme la voie à la séparation du religieux et du politique. Pour ces régimes, cette pensée rationaliste est autrement plus dangereuse que l’islamisme radical dont ils pensent venir à bout par la seule répression. La lutte antiterroriste n’est pas seulement de nature sécuritaire et répressive. Elle est aussi et surtout politique."

Par: Hassane Zerrouky

27 septembre 2007