Algérie: La résurgence des salafistes algériens
Le rêve d'Abdelmalek Droudkel, alias Abou Moussab Abd el-Ouadoud, serait-il de devenir l'al-Zarqaoui du Maghreb? Sous la houlette de cet ingénieur de 35 ans, formé à l'université de Blida et aussi à l'aise dans le maniement de la langue française que dans celui des explosit (Groupe salafiste pour la prédication efs, le GSPC le combat) vient de prouver qu'il n'était pas le groupuscule à bout de souffle présenté jusqu'ici par les autorités algériennes. Les opérations kamikazes du 11 avril, une première en Algérie où ce mode opératoire n'a jamais été vraiment appliqué, semblent prouver que, non content d'adopter le label al-Qaida, le GSPC s'est aussi rallié aux objectifs et aux méthodes de cette internationale terroriste. «Il y a environ un an, se souvient le journaliste Hamida Layachi, spécialiste de l'islamisme, le GSPC a ouvert un débat sur un site Internet pour déterminer si ce moyen d'action inauguré au Liban par des chiites était ou non conforme aux préceptes de l'islam» (qui condamne le suicide). L'efficacité d'al-Qaida a visiblement convaincu les salafistes algériens. Entre l'organisation d'Oussama Ben Laden et le GSPC, rebaptisé depuis le 11 septembre 2006 al-Qaida au Maghreb, l'alliance idéologique, sinon opérationnelle, ne fait plus aucun doute.
Un tremplin idéal pour le terrorisme en Europe
Ce mariage de raison guidé par des intérêts mutuels a une longue histoire. L'organisation d'Ous-sama Ben Laden cherchait depuis longtemps à s'implanter au Maghreb, tremplin idéal pour des actions terroristes en Europe. Dès 1996, elle prend langue avec Djamel Zitouni, à l'époque «émir» national des Groupes islamiques armés (GIA). Zitouni, plus ou moins retourné, dit-on, par les services secrets, lui opposera une fin de non-recevoir. Deux ans plus tard, Ben Laden renouvelle son offre de coopération auprès de deux autres chefs du GIA, Ali Benadjar (à Médéa) et Mustapha Kartali (dans la plaine de la Mitidja). En vain. En 2001, un proche de Ben Laden, le Libyen Abou Ayman, fait de nouvelles avances aux salafistes algériens en vantant sur un site islamiste les mérites du GSPC, un groupe dissident du GIA né en 1998, qu'il a côtoyé. Mais Hassan Hattab, fondateur et chef du GSPC, a d'autres visées. En désaccord avec la politique de la terre brûlée menée par le sanguinaire Zitouni, il tente à cette époque de réhabiliter la cause salafiste, discréditée par les massacres de civils, en concentrant ses attaques sur des cibles militaires algériennes.
Une bataille désespérée. Les coups de boutoir des militaires et la politique de réconciliation nationale menée par le président Bouteflika vont laminer les groupes islamistes armés. Les effectifs du GSPC se réduisent comme peau de chagrin (5 000 combattants en 1999, moins d'un millier aujourd'hui). En 2004, Hattab est évincé par ses lieutenants, qui prêtent une oreille attentive aux homélies vengeresses d'Ayman el-Zahawiri, l'éminence grise de Ben Laden. Des liens sont noués à coups de communiqués ou à travers les nombreux djihadistes algériens revenus d'Irak.
L'actuel émir du GSPC, Abdelmalek Droudkel, a lui-même combattu en Afghanistan. Il a approuvé publiquement l'exécution, en 2005, de deux diplomates algériens en Irak et délivré un long et vibrant éloge de Zarqaoui lorsque ce dernier a été éliminé. Le 10 décembre dernier, il réalise un premier coup de maître en s'attaquant à une filiale du groupe américain Halliburton à Bouchaoui, dans la périphérie d'Alger, un quartier hautement sécurisé qui abrite la nomenklatura algérienne et un hôtel de luxe. C'est le premier attentat du GSPC contre une cible occidentale. Dans le même temps, il désigne dans un communiqué son nouvel ennemi: les «croisés» occidentaux et en particulier la France.
«L'alliance entre al-Qaida et le GSPC relève du troc, explique Hamida Layachi. L'une offre au GSPC un formidable impact médiatique, l'autre peut se prévaloir d'une longue expérience en matière de lutte armée, unique dans les pays du Maghreb.» Le GSPC est d'ores et déjà devenu une école du terrorisme. Venus du Maroc, de Tunisie, de Libye ou des pays du Sahel, les apprentis djihadistes viennent se former dans ses maquis de haute Kabylie ou dans des camps mobiles du Grand Sud algérien.
Un groupe rongé par des luttes intestines
Le GSPC lui-même a fait peau neuve en se réorganisant. Une structure pyramidale digne d'une multinationale. L'organigramme qu'il a rendu public révèle notamment que la moitié des membres de son «conseil exécutif» - 27 personnes - ont suivi des études supérieures dans des domaines scientifiques ou technologiques. L'émir Abdelmalek Droudkel est épaulé par deux adjoints chargés l'un des opérations militaires, l'autre des questions religieuses. L'organisation comprend un service de communication, un service de santé, un département en charge des fatwas... Hamida Layachi raconte qu'à la suite d'un article consacré au GSPC, un «attaché de presse» du groupe salafiste lui a aimablement téléphoné pour corriger certaines informations!
Le GSPC a-t-il pour autant un avenir ? Le scénario noir des années 1990 a peu de chances de se reproduire tant le mouvement salafiste s'est discrédité par ses excès auprès de la société algérienne. Qui plus est, le GSPC semble rongé par des luttes intestines, propices aux infiltrations des services secrets algériens. Hassan Hattab a condamné ainsi les attentats d'Alger. Mokhtar Belmokhtar, contrebandier notoire et responsable de la zone sud, aux confins des pays du Sahel, aurait pris ses distances avec Droudkel.
Il n'empêche que le terreau sur lequel le terrorisme a prospéré est toujours là: le chômage, la pauvreté, la corruption des élites dirigeantes. S'y ajoute désormais un nouvel ingrédient: l'aura d'al-Qaida auprès de jeunes peu éduqués, privés de perspectives et fascinés peut-être par l'apocalypse irakienne retransmise en direct sur Al-Jeezira. Dans les bidonvilles d'Algérie, ces recrues potentielles sont légion.
Par: Arielle Thedrel
le 21 avril 2007