Algérie: Chérifa Kheddar: "Le plus dure était de ne pas être soutenus à l'extérieur"
Cherifa Kheddar,vous êtes Présidente de l’association algérienne de victimes du terrorisme "Djazairouna". Pouvez-vous nous présenter votre association?
Elle compte 5000 adhérents. Seuls peuvent en être membres, les proches de victimes algériennes du terrorisme. Pour veiller à ne pas créer de déséquilibre, professionnels et experts peuvent être sympathisants mais non adhérents. Les victimes ont besoin d’aide, de conseils très concrets pour défendre leurs droits et le travail est énorme pour notre équipe qui manque beaucoup de moyens.
N’avez-vous pas de subventions pour faire fonctionner une organisation aussi vaste?
On en reçoit quelques-unes mais seulement sur des projets précis.
Comment en êtes vous venue à vous engager dans cette tâche immense?
J’ai toujours été une féministe opposée à l’intégrisme. Et puis il y a eu l’assassinat de mon frère et de ma soeur.
Pouvez-vous nous en parler si ce n’est pas trop douloureux?
C’était le 24 juin 1996, à 21 h 30. Les islamistes sont entrés dans notre maison, à Blida. J’ai réussi à m’échapper pour aller chercher du secours. A mon retour mon frère était mort sous la torture, ensuite ils l’ont égorgé, pour empêcher son âme de rejoindre le paradis, ma mère et ma soeur étaient blessées. Ma soeur avait reçu deux balles dans la tête. Elle est morte 2 heures plus tard à l’hôpital. Elle avait 33 ans. Ma mère avait été blessée plus légèrement. Elle avait ses voiles, elle revenait de la Mecque.
Votre mère était donc une Musulmane pratiquante. Quelle raison les islamistes avaient-ils de s’en prendre à votre famille?
Ils avaient plusieurs "raisons"... D’abord ils reprochaient à ma mère d’être une Musulmane hypocrite qui tolérait que ses filles ne soient pas voilées. Ensuite, trois mois plus tôt, lorsque mon oncle avait été assassiné, ma mère avait crié haut et fort que les islamistes étaient des assassins. Elle était donc portée sur la liste des condamnés à mort, comme mon frère et ma soeur. Mon frère était industriel et il refusait de financer les islamistes qui le disaient milliardaire. Ma soeur était avocate. Elle refusait absolument de défendre des islamistes, non pour des raisons idéologiques mais parce qu’elle n’acceptait pas que l’on tue des innocents au nom d’une cause. Et moi j’étais responsable de la cellule des élections au niveau de la wilaya de Blida. Aux yeux des islamistes nous avions commis cinq crimes qui nous condamnaient à mort.
Votre combat a dû être très difficile.
C’est peu dire! On m’a accusée d’être un suppôt du régime! On refusait de nous écouter. Il fallait que les islamistes soient les vraies victimes et les services secrets les vrais instigateurs du terrorisme. Le plus dur était de ne pas être soutenus à l’extérieur. Nous avons eu des expériences très négatives avec la Ligue des Droits de l’Homme et la FIDH, ou des ONG comme Amnesty International et Human Rights Watch. On me faisait remarquer que les islamistes avaient été élus démocratiquement.
Que répondiez-vous?
Qu’Hitler aussi avait été élu démocratiquement! Que l’on était en face d’un nouveau fascisme. Nous alertions sur le fait que les bases arrière du terrorisme islamiste se trouvaient en Europe, en Allemagne et surtout en Grande-Bretagne où ils pouvaient tout dire et commanditer impunément des meurtres contre les femmes et les bébés en Algérie. Comme vous le savez, nous n’avons pas été entendus. Les victimes algériennes du terrorisme étaient accueillies en France avec suspicion, au point qu’on leur conseillait de ne pas désigner les islamistes comme responsables!
"Nous n’acceptons pas le déni de justice!"
Et aujourd’hui?
Après le 11 septembre, les lois ont été modifiées et le laxisme envers les islamistes a été abandonné. Deux poids deux mesures... Mais je suis entièrement solidaire de toutes les victimes du terrorisme. Human Rights Watch et Amnesty International ont aussi révisé leurs positions.
Et en Algérie?
Nous poursuivons notre combat pour la défense des victimes. Nous n’acceptons pas le déni de justice et l’impunité des assassins dans le cadre de l’amnistie. Le discours négationniste est insupportable. Il y a même un islamiste qui préside...une association d’aide aux victimes du terrorisme! Quant au dernier attentat il a été médiatisé car les terroristes s’en sont pris aux employés d’une compagnie américaine. Pour la première fois, ils ont frappé très près de la zone protégée...
Le 11 septembre 2007, le Mouvement Pour la Paix et Contre le Terrorisme projette d’organiser une conférence internationale de la société civile contre le terrorisme. Qu’en pensez-vous?
J’ y suis favorable. Le problème se pose à l’échelle internationale, il appelle une prise de conscience à l’échelle internationale. On sait que les islamistes ont décidé de financer les journaux européens qui n’ont pas publié les caricatures. Mais il ne suffit pas de condamner le terrorisme, il faut lutter contre l’intégrisme; condamner la base du terrorisme, les prêches contre les femmes, les prêches contre les non-Musulmans, les prêches contre les musulmans non conformes à leur vision de l’islam...
Propos recueillis par Huguette Chomski Magnis le 22 décembre 2006
Mise à jour 12 avril 2007
MPCT - Mouvement Pour la Paix et Contre le Terrorisme (www.mpctasso.org)
Publié le jeudi 12 avril 2007
Mise à jour le dimanche 15 avril 2007