France: «Parler d'islam radical et montrer des gens en train de faire la prière, c'est dramatique»

Source: 
Libération
Abdelhak Eddouk, 45 ans, président de l'association des musulmans de Grigny II. Dimanche soir, il vient de rompre le jeûne au vingt-septième jour du Ramadan dans la salle de prière de l'association.
«Pendant des années, on n'a traité avec le musulman qu'en tant que musulman, on ne voyait que sa religion. Il a bien fallu travailler cette image pour expliquer que, en France, un musulman, c'est d'abord un citoyen.
La partie religieuse ne concerne que l'individu. Un Jacques, un Pierre, on ne voit pas en lui s'il est chrétien, juif ou autre. On voit l'individu qui s'appelle Jacques ou Pierre. C'est malheureusement pareil quand un délit est commis.

Lorsque l'auteur présumé est d'origine maghrébine, on le précise, on dit «Français d'origine maghrébine», mais, lorsque le délit est commis par Jacques ou Pierre, on ne cherche pas ses origines italiennes, espagnoles, bretonnes ou autres. On en a assez d'entendre ce type de propos. Un citoyen, quelles que soient ses origines, est soumis à des lois. L'islam n'est pas un produit importé, il existe à travers les citoyens français. La présence des musulmans n'est pas ici seulement physique, elle existe aussi à travers nos âmes, le futur que nous voulons construire. Les musulmans ne peuvent pas concevoir leur présence en France sans vivre leur spiritualité mais tout en respectant leur pays. Je dis «leur pays» car nous sommes fatigués d'entendre «leur pays d'accueil». On ne se permettra pas de demander à un Corse, un Basque ou à un Breton où sont ses racines.

Les musulmans n'ont pas fait suffisamment l'effort de s'ouvrir et d'aller vers l'autre. Il ne suffit pas de dire «je suis musulman» car, finalement, l'autre n'a pas besoin de nous en tant que tel. Parfois, les non-musulmans et certains musulmans n'arrivent pas à faire la différence entre l'islam en tant que religion et la pratique religieuse qui relève de certains aspects culturels hérités de la famille, du clan, du village. Actuellement, lorsque l'on critique l'islam, ce n'est pas à travers le dogme, la pratique cultuelle, mais toujours à travers les pratiques sociales. Sur le mariage forcé, par exemple, il n'y a aucun texte religieux, aucun savant musulman qui n'a favorisé cette pratique. C'est comme ces maris qui pensent que, au nom de l'islam, leur femme ne doit pas être auscultée par un médecin homme. L'islam dit tout à fait le contraire car la vie humaine est plus importante qu'autre chose. Nous, musulmans, on doit avoir la force d'exprimer le fait que ces pratiques sociales et culturelles n'ont rien à voir avec la religion.

Lorsque l'on parle de l'islam, il faut faire très attention au vocabulaire utilisé. Bien entendu, on a le droit de parler de l'islam radical, de l'islam extrémiste. Mais ceux qui ont le pouvoir de la parole, les médias, doivent mettre des guillemets, donner des exemples précis pour expliquer aux gens de quoi on parle. Parler d'islam radical et montrer des images de gens en train de faire la prière, c'est dramatique, on ne voit pas le rapport.

Evoquer des gens dont on pense qu'ils ont des propos extrémistes et filmer en même temps un coran, ça n'a pas de sens. C'est vrai qu'actuellement la majorité de la jeunesse française d'origine musulmane ne connaît pas sa religion, n'arrive pas à avoir les réponses à ses questions à travers les institutions existantes. Cette jeunesse a perdu tous ses repères et certains jeunes veulent exprimer leur ras-le-bol à travers la religion. Ils peuvent quelque part se tromper. On doit faire la part des choses. Une recherche spirituelle, une envie de pratique religieuse, est une chose. Une revendication autre doit être exprimée autrement, à travers une requête, un dialogue, une manifestation, une association. Afficher un certain désarroi au nom de la religion musulmane, c'est dangereux. Je ne pourrais pas dire que l'islam en tant que religion va apporter des réponses parce que ce que les cités vivent actuellement dépasse tout le monde : le chômage, l'échec scolaire, le problème de l'autorité. Les organisations musulmanes peuvent jouer un rôle mais elles ne sont pas là pour remplacer les lois, les institutions de la République. Elles peuvent apporter des éléments de réponse, dans l'instauration de la confiance, du dialogue. Mais la meilleure des réponses que l'on peut apporter à un jeune ou à un moins jeune, c'est qu'il puisse réfléchir par ses propres moyens.

par Jacky Durand