France: L'UOIF s'oppose à la parution d'un recueil de fatwas
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Le Monde Les éditions musulmanes Tawhid de Lyon s'apprêtaient à publier un Recueil de fatwas, c'est-à-dire d'avis juridiques, rédigés par le Conseil européen de la fatwa et de la recherche, principale autorité en matière de droit musulman pour l'Europe.
Problème : le livre ne paraîtra pas. Le Conseil européen de la fatwa a fait savoir qu'il s'en remettait à la décision de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) en ce qui concerne la publication en français.
Or, cette fédération musulmane, proche des Frères musulmans, s'oppose obstinément à la parution de ce recueil, le deuxième depuis la création du Conseil de la fatwa, en 1997.
Tout était pourtant prêt : les textes, rédigés en arabe, ont été traduits en français. La maison d'édition lyonnaise, proche de Tariq Ramadan, a demandé à l'intellectuel suisse de préfacer ce recueil, comme il l'avait déjà fait pour le premier recueil de fatwas, paru en 2002. Celui-ci a commencé à rédiger son texte d'introduction et ses commentaires.
Le premier Recueil de fatwas avait connu un vif succès auprès du public musulman français. Au point que l'UOIF l'avait fait paraître à son tour dans sa propre maison d'édition, Gedis.
Interrogé sur son actuel veto, Fouad Alaoui, le secrétaire général de l'UOIF, élude le sujet. "Ce projet de livre ne nous a pas été soumis." Il avoue cependant que les éditions Gedis ne publieront pas ce deuxième recueil de fatwas : "Il contient une série de fatwas très générales, dont certaines ne concernent pas le public français" , justifie-t-il. M. Alaoui prend également ses distances avec le Conseil européen de la fatwa, présidé par le célèbre ouléma qatari Youssouf Al-Qaradawi : "C'est une référence canonique européenne. Mais cela ne veut pas dire que nous n'avons pas des réserves à son égard..."
De leur côté, les éditions Tawhid affirment que l'UOIF, très engagée dans un processus de reconnaissance institutionnelle à travers le Conseil français du culte musulman (CFCM), craint que cette publication n'affecte son image auprès des pouvoirs publics et de l'opinion non musulmane. La fédération musulmane vient d'ailleurs de confirmer sa participation à l'instance représentative du culte musulman, en annonçant, dimanche 22 mai, qu'elle reprenait "sa participation au bureau exécutif du CFCM" , dont elle avait claqué la porte il y a deux semaines.
Le recueil de fatwas inédit, dont Le Monde a eu copie, comprend 37 avis juridiques portant sur les sujets les plus divers : règles de la mixité, transplantation d'organes, affectation de la zakat (aumône légale), possibilité de consommer du vinaigre fabriqué à partir d'alcool, etc. Sur toutes ces questions, le conseil fournit des réponses inspirées par une lecture conservatrice de l'islam, mais avec quelques ouvertures et dérogations destinées à faciliter la pratique des prescriptions de l'islam dans le cadre européen.
Deux fatwas gênent particulièrement l'UOIF. L'une concerne la polygamie, qui est présentée par le conseil comme un "droit" qu'il faut tolérer, sans l'encourager. "Plutôt que d'appeler à la suppression de ce droit, il serait plus juste de réprimer, dans la limite du possible, tous les abus auxquels se livrent parfois certains musulmans" , conclut la fatwa sur ce sujet.
SOUS LE BOISSEAU
L'autre fatwa en cause a pour thème "le soutien à la cause palestinienne" . Elle demande aux musulmans de tous les pays de fournir "tous les efforts pour résister à l'occupation et libérer Al-Quds -Jérusalem-" . Beaucoup de militants musulmans voient à travers l'attitude de l'UOIF une volonté de remiser sous le boisseau la défense de la cause palestinienne. Son engagement en la matière se limite à la distribution d'aide humanitaire à travers le Comité de secours et de bienfaisance pour les Palestiniens.
Déjà, la fédération musulmane a pris ses distances publiquement avec Youssouf Al-Qaradawi, le président du Conseil européen de la fatwa. Cet ancien frère musulman, âgé de 77 ans et formé à l'université d'Al-Azhar, au Caire, est devenu une figure très populaire dans le monde musulman, en animant, chaque dimanche sur la chaîne Al-Jazira, une émission intitulée "La charia et la vie" , dans laquelle il répond en direct aux questions posées par des téléspectateurs appelant du monde entier (Le Monde du 31 août 2004).
A plusieurs reprises, le cheikh Qaradawi a justifié les attentats-suicides en Israël et dans les territoires, qu'il considère comme "des opérations de martyre" . Le Conseil de la fatwa ne s'est pas prononcé sur ce sujet. Dans une fatwa sur le terrorisme émise en juillet 2003, lors de sa 11e session, tenue à Stockholm, il précise : "Le terrorisme ne s'applique pas à la résistance légale (ou défense légale) contre l'occupation étrangère, par tous les moyens disponibles, y compris la résistance armée, en tenant compte du fait que toutes les lois internationales le confirment."
Cependant, dans une déclaration reprise par le quotidien en langue arabe Al-Sharq Al-Awsat, Youssouf Al-Qaradawi a de nouveau justifié, au cours de cette session, les attentats-suicides.
La décision de l'UOIF risque de contribuer à affaiblir son crédit auprès de sa base, et cela juste avant les élections destinées à renouveler le CFCM, qui auront lieu le 19 juin.
Xavier Ternisien
Article paru dans l'édition du 24.05.05
Tout était pourtant prêt : les textes, rédigés en arabe, ont été traduits en français. La maison d'édition lyonnaise, proche de Tariq Ramadan, a demandé à l'intellectuel suisse de préfacer ce recueil, comme il l'avait déjà fait pour le premier recueil de fatwas, paru en 2002. Celui-ci a commencé à rédiger son texte d'introduction et ses commentaires.
Le premier Recueil de fatwas avait connu un vif succès auprès du public musulman français. Au point que l'UOIF l'avait fait paraître à son tour dans sa propre maison d'édition, Gedis.
Interrogé sur son actuel veto, Fouad Alaoui, le secrétaire général de l'UOIF, élude le sujet. "Ce projet de livre ne nous a pas été soumis." Il avoue cependant que les éditions Gedis ne publieront pas ce deuxième recueil de fatwas : "Il contient une série de fatwas très générales, dont certaines ne concernent pas le public français" , justifie-t-il. M. Alaoui prend également ses distances avec le Conseil européen de la fatwa, présidé par le célèbre ouléma qatari Youssouf Al-Qaradawi : "C'est une référence canonique européenne. Mais cela ne veut pas dire que nous n'avons pas des réserves à son égard..."
De leur côté, les éditions Tawhid affirment que l'UOIF, très engagée dans un processus de reconnaissance institutionnelle à travers le Conseil français du culte musulman (CFCM), craint que cette publication n'affecte son image auprès des pouvoirs publics et de l'opinion non musulmane. La fédération musulmane vient d'ailleurs de confirmer sa participation à l'instance représentative du culte musulman, en annonçant, dimanche 22 mai, qu'elle reprenait "sa participation au bureau exécutif du CFCM" , dont elle avait claqué la porte il y a deux semaines.
Le recueil de fatwas inédit, dont Le Monde a eu copie, comprend 37 avis juridiques portant sur les sujets les plus divers : règles de la mixité, transplantation d'organes, affectation de la zakat (aumône légale), possibilité de consommer du vinaigre fabriqué à partir d'alcool, etc. Sur toutes ces questions, le conseil fournit des réponses inspirées par une lecture conservatrice de l'islam, mais avec quelques ouvertures et dérogations destinées à faciliter la pratique des prescriptions de l'islam dans le cadre européen.
Deux fatwas gênent particulièrement l'UOIF. L'une concerne la polygamie, qui est présentée par le conseil comme un "droit" qu'il faut tolérer, sans l'encourager. "Plutôt que d'appeler à la suppression de ce droit, il serait plus juste de réprimer, dans la limite du possible, tous les abus auxquels se livrent parfois certains musulmans" , conclut la fatwa sur ce sujet.
SOUS LE BOISSEAU
L'autre fatwa en cause a pour thème "le soutien à la cause palestinienne" . Elle demande aux musulmans de tous les pays de fournir "tous les efforts pour résister à l'occupation et libérer Al-Quds -Jérusalem-" . Beaucoup de militants musulmans voient à travers l'attitude de l'UOIF une volonté de remiser sous le boisseau la défense de la cause palestinienne. Son engagement en la matière se limite à la distribution d'aide humanitaire à travers le Comité de secours et de bienfaisance pour les Palestiniens.
Déjà, la fédération musulmane a pris ses distances publiquement avec Youssouf Al-Qaradawi, le président du Conseil européen de la fatwa. Cet ancien frère musulman, âgé de 77 ans et formé à l'université d'Al-Azhar, au Caire, est devenu une figure très populaire dans le monde musulman, en animant, chaque dimanche sur la chaîne Al-Jazira, une émission intitulée "La charia et la vie" , dans laquelle il répond en direct aux questions posées par des téléspectateurs appelant du monde entier (Le Monde du 31 août 2004).
A plusieurs reprises, le cheikh Qaradawi a justifié les attentats-suicides en Israël et dans les territoires, qu'il considère comme "des opérations de martyre" . Le Conseil de la fatwa ne s'est pas prononcé sur ce sujet. Dans une fatwa sur le terrorisme émise en juillet 2003, lors de sa 11e session, tenue à Stockholm, il précise : "Le terrorisme ne s'applique pas à la résistance légale (ou défense légale) contre l'occupation étrangère, par tous les moyens disponibles, y compris la résistance armée, en tenant compte du fait que toutes les lois internationales le confirment."
Cependant, dans une déclaration reprise par le quotidien en langue arabe Al-Sharq Al-Awsat, Youssouf Al-Qaradawi a de nouveau justifié, au cours de cette session, les attentats-suicides.
La décision de l'UOIF risque de contribuer à affaiblir son crédit auprès de sa base, et cela juste avant les élections destinées à renouveler le CFCM, qui auront lieu le 19 juin.
Xavier Ternisien
Article paru dans l'édition du 24.05.05