International: 'Lettre ouverte à Kenneth Roth, directeur executif de Human Right Watch
Cher Kenneth Roth,
Dans votre introduction au Rapport mondial 2012 de Human Right Watch, “Time to Abandon the Autocrats and Embrace Rights” vous exhortez à soutenir les gouvernements nouvellement élus qui ont porté au pouvoir les confréries musulmanes en Tunisie et en Égypte. Dans votre désir « d’engager de manière constructive » les nouveaux gouvernements, vous exhortez les États à cesser de soutenir les autocrates. Mais vous n’êtes pas un État ; vous êtes le chef d’une organisation internationale de droits humains dont le rôle est de rendre compte des violations des droits humains, une tâche honorable et indispensable, que votre essai délaisse largement.
Vous dites : « il est important de promouvoir les droits respectueux des éléments de l’islam politique, tout en s’opposant fermement à la répression en son nom », mais vous omettez de demander la garantie la plus importante des droits – la séparation de la religion de l’État. Des foules de salafistes ont fouetté des femmes dans des cafés en Tunisie et des boutiques en Égypte ; elles ont attaqué des églises en Égypte, se sont emparé de villages entiers en Tunisie et fermé l’Université Manouba pendant deux mois, afin d’exercer une pression sociale pour le port du voile. Et, alors que les chefs « islamistes modérés » clament qu’ils protègeront les droits des femmes (sinon les homosexuels), ils n’ont pas fait grand-chose pour contrôler ces foules Vous, néanmoins, vous êtes si peu concerné par les droits des femmes, des homosexuels et des minorités religieuses que vous ne les mentionnez qu’une fois ainsi : « De nombreux partis islamiques ont effectivement pris des positions inquiétantes qui réduiraient les droits des femmes et restreindraient les libertés religieuses, personnelles et politiques. Mais c’est ce qu’ont fait tant de régimes autocratiques que l’Occident appuie ». Allons-nous vraiment mettre la barre si bas ? C’est la déclaration d’un zélateur et non celle d’un défenseur de haut-rang des droits humains.
Vous ne signalez pas, non plus, l’une des menaces les plus flagrantes aux droits – en particulier ceux des femmes et des minorités religieuses et sexuelles – la menace d’établir la soi-disant “loi de la shari’a”. Ce n’est tout simplement pas assez de dire que nous ne savons pas quelle sorte de loi islamique, s’il en existe, en résultera, quand il est déjà évident que les libertés d’expression et de religion – sans parler du choix de ne pas porter le voile - sont menacées. Et même s’il est vrai que les confréries musulmanes n’ont pas été au pouvoir depuis longtemps, nous pouvons nous faire une idée de ce à quoi s’attendre en examinant leur palmarès. Au Royaume Uni, où ils se sont exilés pendant des décennies, délivrés de toute persécution politique, du joug des gouvernements ou des pressions revendicatives populaires, les confréries musulmanes ont systématiquement promu l’apartheid sexuel et les systèmes légaux parallèles défendant la version la plus rétrograde de la « shari’a ». Yusef al-Qaradawi, un éminent érudit qui leur est associé, maintient publiquement que l’homosexualité devrait être punie de la peine de mort. Ils ont soutenu les négationnistes de l’holocauste et du génocide du Bangladesh de 1971, et partagé des plates-formes avec les jihadistes salafistes, propageant leurs appels à un jihad militant. Mais plutôt que d’examiner le bilan des intégristes musulmans en Occident, vous continuez à exiger des gouvernements occidentaux qu’ils « s’engagent »…
Les gouvernements occidentaux se sont déjà engagés ; si soutenir les autocrates était leur plan A, cela fait longtemps que les confréries musulmanes sont leur plan B. La collaboration de la CIA avec les confréries musulmanes remonte aux années 1950 and a été relancée sous l’administration Bush, tandis que le soutien apporté aux confréries musulmanes comme à la Jamaat e Islaamia été crucial pour la stratégie d’un contre-terrorisme « laxiste » de l’État britannique. Avez-vous entendu les phrases « d’extrémisme non violent » ou « d’islamisme modéré » ? Ce langage est développé pour aseptiser les mouvements qui peuvent avoir remplacé les élections par des bombes afin de prendre le pouvoir, mais sont encore attachés aux discriminations systématiques.
Comme vous, nous soutenons les appels à démanteler la sécurité d’État et à promouvoir la règle de droit. Mais nous ne croyons pas qu’un ensemble de structures autocratiques devrait être remplacé par un autre se réclamant de sceau du divin. Et alors que renverser des gouvernements despotiques était une victoire et que des élections libres constituent, en principe, un pas vers la démocratie, le dirigeant d’une fameuse organisation des droits humains, ne devrait-il pas être en train d’appuyer les aspirations populaires à prévenir les contre-révolutions et à sauvegarder leurs droits fondamentaux ? En d’autres mots, plutôt que préconiser un appui stratégique à des partis qui peuvent utiliser les élections pour mettre fin aux demandes de changement durable et saper les droits fondamentaux, ne devriez-vous pas supporter les voix qui exigent à la fois la liberté et l’égalité et soutiennent que les révolutions doivent se poursuivre ?
Tout au long de votre essai, vous ne mettez l’accent que sur les aspects politiques habituels de l’agenda des droits humains. Vous dites, par exemple, que « les soulèvements arabes étaient inspirés par une vision de liberté, un désir d’avoir une voix sur sa propre destinée, et une quête pour des gouvernements qui soient tenus de rendre compte au peuple, plutôt d’être confisqué par une élite dirigeante ». Bien que dans une certaine mesure ce soit vrai, cela exclut complètement le rôle des demandes économiques et sociales dans les soulèvements. Vous semblez n’être capable d’entendre que les voix de la droite – les politiciens islamistes - et non les voix des gens qui ont initié et porté ces révolutions – les sans-emplois et les pauvres de Tunisie, dans leur recherche de moyens de survie, les milliers de femmes égyptiennes mobilisées contre les forces de sécurité qui ont déchiré leurs vêtements et les ont soumises à des violences sexuelles connues comme « tests de virginité ». Ces brutalités sont une forme de torture étatique, qui est habituellement une question centrale pour les organisations des droits humains. Pourtant vous fermez les yeux sur ces agressions, car elles arrivent aux femmes.
Votre façon d’ignorer les droits sociaux et économiques fait partie de votre manque d’attention aux femmes, aux droits sexuels et aux minorités religieuses. Votre vision est encore enracinée dans la période précédant la Conférence de Vienne et des grandes percées faites en rendant les acteurs non étatiques responsables et en considérant les droits des femmes comme des droits humains. Votre essai fait comprendre que, tandis que les chercheurs, les militants et les spécialistes des pays qui sont les bras, les jambes et le corps de Human Rights Watch peuvent défendre les droits des femmes, des minorités et des pauvres, le chef de leur organisation est surtout intéressé par les relations entre les États.
Ont signé :
Organizations:
Canadian Council of Muslim Women (CCMW)
Centre for Secular Space (CSS), global
Marea, Italy
Muslim Women's Research and Action Front (MWRAF), Sri Lanka
Nijera Kori, Bangladesh
One Law for All, UK
Organisation Against Women's Discrimination in Iran, UK
Secularism Is a Women’s Issue (SIAWI), global
Southall Black Sisters, UK
Women's Initiative for Citizenship and Universal Rights (WICUR),global
Women Living Under Muslim Laws (WLUML), global
Žene U Crnom, Women in Black, Belgrade
Individuals (organizations listed for identification purposes only)
Dorothy Aken'Ova, Exercutive Director, INCRESE, Nigeria
Codou Bop, Coordinator, Research Group on Women and the Law, Senegal
Ariane Brunet, Co-Founder, Urgent Action Fund, Canada
Lalia Ducos, Women’s Initiative for Citizenship and Universal Rights (WICUR)
Laura Giudetti, Marea, Italy
Asma Guenifi, President, Ni Putes Ni Soumises, France
Lilian Halls-French, Co-President, Initiative Féministe Européenne pour Une Autre Europe (IFE-EFI)
Anissa Helie, Assistant Professor, John Jay College, US
Marieme Helie Lucas, Secularism is a Women’s Issue
Alia Hogben, Canadian Council of Muslim Women
Hameeda Hossain, Bangladesh
Khushi Kabir, Nijera Kori, Bangladesh
Sultana Kamal, Executive Director, Ain O Salish Kendra (ASK), Bangladesh
Frances Kissling, Visiting Scholar, University of Pennsylvania Center for Bioethics
Maryam Namazie, One Law for All and Equal Rights Now; Organisation Against Women’s Discrimination in Iran, UK
Pragna Patel, Southall Black Sisters, UK
Gita Sahgal, Centre for Secular Space, UK
Fatou Sow, Women Living Under Muslim Laws (WLUML)
Meredith Tax, Centre for Secular Space, USA
Faizun Zackariya, Cofounder, Muslim Women's Research and Action Front (MWRAF), Sri Lanka
Afiya Zia, Journalist, Pakistan
S'il vous plaît signer la pétition qui accompagne cette lettre a: http://www.petitionbuzz.com/petitions/tohrw%20