Gambie: Conférence de presse de la Coalition pour les droits humains

Compte-rendu de la Conférence de presse de la Coalition pour les droits humains en Gambie (18/10/2010): ONG signataires du communiqué de presse présentes : Amnesty International section Sénégal; AFIJ, Fédération internationale des Journalistes; Famedev, Réseau Inter Africain pour les femmes, Médias, Genre et Développement; Raddho Sénégal, Rencontre Africaine pour la défense des droits de l’Homme; Article 19, Global campaign for freedom of expression.

Extrait de l’Interview de Mme Amie Joof, ancienne Directrice de Gamcrotrap, diffusée sur les ondes de Radio Alternative Voice, émettant depuis Dakar, avant le démarrage de la Conférence de Presse. 

« L’Etat n’a pas à trainer devant les tribunaux une organisation ayant un contrat avec une autre organisation, car c’est contraire à la Constitution. Gamcotrap a reçu un montant d’une ONG Espagnole dans le cadre d’un projet mené pour le financement de la reconversion professionnelle d’anciennes exciseuses ayant renoncé à cette pratique. Gamcotrap a rempli leur mission et a envoyé un rapport financier et des justificatifs au bailleur de fonds. Gamcotrap est une association partie de rien, qui grâce au sérieux et aux compétences de ses membres a pu acquérir ses propres locaux. Les populations sont conscientes du travail effectué sur le terrain. L’Etat fait tout pour intimider GAMCORAP mais nous croyons en nous et ils ne peuvent pas nous arrêter ». 

Mot de bienvenue du représentant du représentant de l’AFIJ : 

Nous avons mis en place une Coalition pour les Droits Humains en Gambie, car depuis 1994 une série de dérives a attiré notre attention. Aujourd’hui nous avons convoqué cette conférence de presse dans le but de mettre à la disposition de la presse des informations concernant :

· La motivation de cette double arrestation

· Les conditions de détention de ces 2 militantes des droits humains

· Les charges retenues contre elles

· Actions que peut mener la Société civile pour les soutenir 

Déclaration de Mme Amie Joof (Directrice Exécutive de Famedev) : J’aimerais vous remercier pour votre soutien. J’aimerais adresser mes salutations à Mme Fatou SOW ici présente qui, tout comme le Dr Isatou Touray est membre du Comité de Direction du Réseau de Femmes sous lois musulmanes. Mme Amie Bojang est également membre de ce réseau. Il s’agit de deux femmes qui ont accompli un travail extraordinaire en Gambie, et au-delà des frontières gambiennes pour la défense des femmes, des enfants…

En Afrique des millions de fillettes sont excisées chaque année, ce qui entraine des conséquences désastreuses pour elles et pour leurs communautés : risques d’hémorragie, d’infections, traumatismes, abandon scolaire, stérilité, frigidité, complication lors des grossesses etc…

25 Etats africains ont mis en place un comité national contre les Pratiques Traditionnelles néfastes. En 1984 s’est tenu pour la première fois, ici à Dakar, une rencontre sur les Pratiques traditionnelles néfastes. Cette rencontre a abouti à la création du COSEPRAT au niveau régional et de GAMCOTRAP (en Gambie) qui a pour mandat de lutter contre les Pratiques traditionnelles néfastes. Le travail de cette organisation ne se limite pas à la lutte contre l’excision. Mme Isatou Touray est docteur en sociologie, elle a servi pendant de longues années dans des institutions telles que le « Community développement », le « Women’s Bureau » avant de rejoindre Gamcotrap. Mme Amie Bojang est journaliste de profession, elle maitrise plusieurs langues nationales (le socé, le wolof, le diola) ce qui est un atout dans le travail de terrain effectué. 

Aujourd’hui cela fait 8 jours que ces deux femmes sont détenues à la Maison d’arrêt de « Mile Two » qui se trouve entre Banjul et Bakau. 

Les questions que je souhaiterais soulever sont la suivante : 

· De quel droit l’Etat les arrête alors qu’elles ont coopéré et que la Commission mise sur place a conclu à leur innocence ?

· De quel droit les Espagnoles n’ont pas prévenu Gamcotrap de leur volonté de mener un audit. Gamcotrap ayant été surpris des accusations portées contre elle, par le Président et les Espagnoles pendant une conférence de presse ?

· Quel intérêt le Président Jammeh à t-il à s’en prendre à GAMCOTRAP ?

Malgré la pression exercée par le NIA (National Intelligence Agency, équivalent de la DIC sénégalaise), Dr. Isatou Touray a mis toute la bonne volonté pour coopérer avec la Commission ad hoc mise sur pied, et qui au terme de son enquête a abouti à un non lieu. 

Le rapport d’audit remis au Président Yaya Jammeh ne lui a visiblement pas plu. Car il a dissous la commission et a nommé de nouveaux membres de Commission. 

Dr Isatou Touray et Mme Amie Bojang ont subi des pressions et on leur a même retiré leurs passeports avant de le leur restituer. 

Lundi on les a convoquées à la police, avant de leur notifier leur détention préventive. Leurs avocats ont demandé leur libération sous caution, mais celle-ci a été rejetée. 

Elles doivent comparaitre mercredi devant les tribunaux.

Ce n’est pas la première fois que l’Etat Gambien s’en prend à la GAMCOTRAP. Le Président Yaya Jammeh a déjà menacé les femmes militant contre l’excision. Un imam a été interdit de prêche car il a reconnu les effets de l’excision. 

Le Chef de l’Etat a également interdit la diffusion d’émissions télévisées ou radiophoniques portant sur les conséquences médicales des mariages précoces.  

Plus de 100 femmes ont publiquement renoncé à l’excision grâce à la sensibilisation de GAMCOTRAP qui leur a démontré qu’il s’agit d’une coutume dépassée et non d’une prescription religieuse. De nombreuses filles menacées de mariages précoces ou d’excision trouvent refuge à GAMCOTRAP. Les hautes instances de l’Etat sont impliquées dans cette arrestation et personne n’ose en parler. 

Il existe une agence en charge des ONG, celle-ci aurait pu légitiment agir ou l’ONG espagnole, mais que vient faire l’Etat dans cette affaire. 

Représentant Amnesty Sénégal : Le régime en place est allergique à la liberté d’expression. Il y a 2 ans le Président gambien avait publiquement proféré des menaces à l’encontre des ONG, en disant qu’il ne garantissait pas leur sécurité sur le territoire gambien. 

Il est réfractaire à toute alternative, à toute contraction. Depuis 1994, le nombre d’arrestations arbitraires ne se comptent pas. 

Représentant FIJ (M. Dia) : Mme Joof a bien contextualisé la situation qui prévaut en Gambie. L’Etat gambien ne respecte pas les droits civiques. Récemment 8 personnes ont été arrêtées pour une tentative présumée de coup d’état. De plus en plus, on constate que les magistrats ne sont pas gambiens mais nigérians et qu’ils tranchent selon le bon vouloir du régime et sans aucun fondement juridique. Les droits de l’homme sont régulièrement bafoués par  le gouvernement. Les leaders religieux encouragent ces derrières, car ils affirment que l’excision est un précepte religieux et qu’elle n’a aucune conséquence médicale ou autre.

Dans ce cas précis, il s’agit d’une affaire civile intéressant 2 ONG et non d’un délit pénal. L’Etat n’est pas concerné par cette affaire. Ces deux femmes sont très respectées en Gambie, en raison de leurs actions. 

Amnesty International : La situation des Droits de l’Homme est préoccupante. Il faut se rassembler au nom de la solidarité, même si au Sénégal aussi on observe une restriction des libertés individuelles, nous avons la chance de nous exprimer plus ou moins librement. Depuis 1994, les autorités gambiennes essaient d’étouffer les exactions commises. Cette cause doit nous mobiliser tous, au même titre d’autres causes telles que Guantanamo, le Darfour, etc. Nous devons nous impliquer, car nous sommes attachés à la justice et nous sommes frontaliers. 

Cette coalition a été créée dans le but de faire avancer la situation en Gambie. 

Nous avons rédigé ensemble un  communiqué de presse, qui a été signé par une dizaine d’organisations. 

Raddho (M.Sy) : La Raddho est membre de ce collectif de défense des droits de l’homme en Gambie. 

Une fois de plus, nous sommes là pour parler des exactions commises en Gambie. Depuis 02 ans la répression s’est intensifiée. 

Le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies a adressé une réclamation à la Gambie en 2002 ; suite à des menaces. 

    Le paradoxe est que le siège de la Commission Africaine des Droits de L’Homme se trouve en Gambie. C’est pour cette raison que M. Tine appelle à une relocalisation du siège de cette commission. 

     Article 19 (M. Faye) : Cette affaire nous inquiète car malheureusement, rien n’augure que ces militantes des droits humains auront un procès juste et équitable. 

    Or, toute personne a droit au respect des droits de la défense, quelle que soit la charge retenue contre elle. Or, ce n’est pas le cas. La détention provisoire ne doit pas excéder 48 h. Par ailleurs, elle doit être motivée par l’existence d’un faisceau de preuves concordantes incriminant la personne détenue. Il faut que nous posions des actes et que nous mettions la pression sur l’Etat gambien. Que font les autres Chefs d’Etat ? Rien. Ce sont les journalistes et les membres de la société civile qui doivent garantir un procès équitable à ces femmes. 

     Représentant AFIJ : L’AFIJ est membre fondateur de la Coalition pour les droits humains en Gambie. L’année dernière, 06 journalistes ont été arrêtés en Gambie. Nous pensons qu’il faut une condamnation et une relocalisation du siège de la CDH de l’UA. La Coalition s’est rendue en Afrique du Sud, pour démontrer que les menaces du  Président Jammeh sont vaines. Nous avons présenté un rapport à la Commission Justice et droits de l’Homme de l’Union Africaine qui nous a demandé d’apporter des preuves. Nous leur avons apporté un film qui a été visionné par ladite commission. Les parlementaires membres de cette commission nous ont demandé de patienter 72h. Suite à cela, pour la première fois on a demandé à l’UA d’avoir une attention particulière sur la situation en Gambie. 

     GAMCOTRAP a organisé des activités génératrices de revenus pour inciter d’anciennes exciseuses à déposer les lames, or il s’est posé un problème d’orientation. L’une des membres de l’ONG ayant financé le projet a voulu que Gamcotrap fasse de la microfinance en octroyant des prêts à des femmes. GAMCOTRAP a refusé en expliquant que ses statuts ne l’autorisaient pas à le faire. 

    Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui la Gambie possède le taux de journalistes exilés le plus important de l’Union Africaine, alors qu’il s’agit d’un petit pays faiblement peuplé. 

     Amnesty Sénégal (M. Seck) : Il faut reconnaitre qu’il y a une hypocrisie, les gens ne peuvent pas fuir leur pays sans raison, de gaieté de cœur. L’information ne manque pas sur les violations des droits humains, c’est la volonté politique de faire bouger les choses qui fait défaut. C’est notre rôle d’être la courroie de transmission entre la répression en Gambie et l’opinion publique internationale. Le Président Jammeh a clairement donné deux options aux Gambiens et aux étrangers résidant sur le sol gambien : soit on reste en Gambie et on se tait, soit on rouspète et on quitte. Le Président Yaya Jammeh n’a aucun respect pour les autres chefs d’Etats africains, mais il prête attention à ce qui se dit dans les médias et à la position des leaders religieux. Nous devons nous en servir pour accroitre la pression et permettre la libérer de nos deux consœurs. 

     WLUML (Fatou Sow) : Je suis venue prendre la défense de deux sœurs, amies et consœurs. Je dirige depuis 3 ans la Coordination du Réseau de Femmes sous Lois Musulmanes. J’ai beaucoup travaillé sur les discriminations, sur les violences basées sur le genre, la position des femmes en Islam, les lois et normes culturelles (ex : le port du voile) et la recrudescence du fondamentalisme ces vingt dernières années, la laïcité. C’est dans ce cadre que j’ai fait la connaissance de ces deux femmes membres de ce réseau depuis plus d’une dizaine d’années. Dr Isatou Touray est membre du Comité de Direction, et participe à la prise de décision, quant à Mme Amie Bojang elle est membre du Comité de Communication, et accomplit un travail remarquable de réseautage et de dissémination des informations. Il s’agit de femmes de conviction qui auraient pu choisir l’exil, mais qui ont pris la décision de rester travailler chez elles. Elles réalisent un travail extraordinaire, reconnu du public. Pour moi c’est une obligation politique et morale d’être présente à cette rencontre. Sinon je n’aurais pas rempli le contrat moral qui me lie à elles au sein de cette communauté de cœur qu’est le Réseau de femmes sous lois musulmanes. 

     Nous avons reçu la nouvelle de leur arrestation jeudi, dès le lendemain j’ai traduit personnellement le communiqué en français et nous avons lancé une pétition en ligne pour alerter l’opinion. Nous avons copié des autorités gambiennes, de l’UA etc. 

     Notre organisation n’est pas contre la religion, elle compte une majorité de musulmanes, mais milite pour le respect du caractère personnel de la religion, nous  souhaitons ouvrir le débat. Le Sénégal et la Gambie ne sont pas des pays musulmans mais des Etats Laïcs. Il est important de démystifier les justifications religieuses des pratiques qui portent atteinte à l’intégrité physique des femmes. Il y a un an, WLUML a levé des fonds au profit de GAMCOTRAP pour soutenir leurs actions. 

     Questions de la presse: 

     Soukeyna Diouf (journal l’AS) : J’aimerais savoir si, outre cette campagne de communication, vous avez prévu des actions concrètes ?

     Journaliste Sud Quotidien : Avez-vous tenu des rencontres similaires en Gambie ?

     Serigne Mansour Cissé (Le SOLEIL) : Possédez- vous des informations concernant leurs conditions de détention ? 

     Amnesty Sénégal (M.SECK) : Ce qui est important dans cette affaire c’est de la médiatiser. On ne peut pas généraliser pour ce qui est de la stratégie à adopter. Car les cas diffèrent parfois. En fonction de chaque cas, nous essayons d’adopter la position la plus appropriée. 

     Dans les cas ou la détention est illégale, nous réclamons la libération pure et simple, dans les cas ou la détention est légale nous demandons un procès équitable. On mobilise des personnes. Il y a toute une catégorie de personnes détenues en Gambie en secret, e pour ces personnes nous faisons en sorte que la détention soit connue du public. 

    Même si l’action vient de l’extérieur, les changements se feront en Gambie, nous avons une délégation d’Amnesty qui a été arrêtée avant d’etre expulsée de la Gambie. C’est également le cas de la représentante d’Unicef. Nous ne sommes pas restés à ne rien faire. On peut mener un combat de l’extérieur. La situation en Gambie intéresse le monde et Yaya Jammeh s’intéresse au monde. 

     Représentant AFIJ : L’année dernière on organisait avec la présidente du Syndicat de journalistes gambiens une rencontre de ce genre à Dakar. Un journaliste sénégalais lui a posé la même question. C’est votre patron, M. Madiambal Diagne (Sud quotidien) qui a tenu à répondre à sa place. Il a répondu qu’il ne sert à rien de jeter de l’huile sur le feu. Souvent la présence de personnes à l’extérieur a plus d’échos. Il faut faire connaitre le contexte Gambien. 

     L’important ce n’est pas le lieu ou l’on se trouve, mais de travailler avec efficacité. Nous préparons une mission en Gambie le mois prochain en marge de la rencontre de la Commission Africaine des Droits de l’Homme. Nous avons des officiels dont le Rapporteur pour l’Union Africaine sur les libertés qui a mis 06 mois à obtenir un visa pour la Gambie. Les fonds destinés à l’organisation de cette mission sont disponibles ce qui manque c’est le eu vert des autorités gambiennes, qui tarde à être donné. 

     Amie Joof (FAMEDEV) : Ce dont nous sommes surs c’est que la population gambienne suit les informations diffusées par les médias sénégalais, notamment Walf, 2STV, et la presse écrite. J’aurais aimé que ce message soit relayé dans les langues nationales telles que le pulaar et le mandingue, afin que les femmes qui sont dans les zones rurales ou intervient GAMCOTRAP puissent accéder à l’information. Le Président a une peur bleue des médias. 

    Nous avons lancé une pétition et nous mettrons en copie les autorités gambiennes. Nous connaissons nos droits et nous sommes en contact avec l’ONG espagnole. Nous sommes prêts à saisir les autorités espagnoles, notamment le Premier Ministre Espagnol. 

     Le régime en place a commencé à intimider les journalistes, aujourd’hui ils s’en prennent aux défenseurs des droits humains, demain à qui le tour ? Nous devons mettre un terme à cette terreur. 

     Nous bénéficions du soutien de nombreuses personnalités gambiennes, notamment l’Honorable Député Sidia Jatta. Il a beaucoup de poids au sein du Parlement africain ou il siège. Nous sommes également soutenus par l’Imam Baba Ly. Les membres de GAMCOTRAP sont plus déterminés que jamais.  D’ailleurs au lendemain de l’Arrestation du Dr Isatou Touray et de Mme Amie Bojang un jeune de GAMCOTRAP a accordé une interview à la BBC. 

     Si vous regardez les photos prises au moment de l’arrestation sur aucune d’elles on ne les voit flancher. Les conditions de détention sont mauvaises comme partout en Afrique. Manque d’hygiène, manque de confort, manque d’accès à des soins et prestations médicales, manque d’intimité, traitements dégradants mais leurs familles et leurs collègues ont accès à elles et je reçois leurs nouvelles par le biais de leurs proches. 

     Nous comptons sur votre soutien afin qu’elles puissent être libérées.