Mondiale: AI Synthèse des enseignements tirés de la campagne Halte à la violence contre les femmes

Source: 
Amnesty International

La campagne Halte à la violence contre les femmes (HVCF) a été la première campagne mondiale de longue durée d'Amnesty International. Elle s'est déroulée sur six ans, de 2004 à 2010. C'était une campagne très ambitieuse tant en raison de son thème que des changements importants qu'elle nécessitait dans les méthodes de travail de l'organisation. Son rapport d'évaluation est donc extrêmement détaillé et complexe ; les différents aspects relatifs à la performance et aux résultats d'Amnesty International sont pour la plupart liés entre eux.

Cette synthèse ne prétend pas en résumer tous les détails ni rendre compte pleinement de cette complexité. Elle entend plutôt en dégager les principales leçons et en présenter, avec quelques recommandations, les aspects les plus importants pour l'avenir d'Amnesty International, tant en ce qui concerne les droits des femmes que les grandes campagnes mondiales.

Malgré la valeur et l'importance de ce travail, l'idée de mener une campagne centrale de longue durée sur les droits des femmes s'est heurtée à une certaine opposition interne de la part du personnel (et de certains membres) :

  • certains n'étaient pas d'accord avec le fait de s'éloigner des thèmes traditionnels relatifs aux droits civils et politiques ;

  • certains étaient partagés sur l'opportunité d'accorder une si grande importance aux droits des femmes ;

  • certains n'appréciaient pas le passage d'un travail guidé par la recherche à un travail guidé par les actions de campagne. L'organisation avait été créée pour mener des recherches sur des pays, recherches qui façonnaient ensuite les campagnes ; ils voulaient conserver ce mode de travail malgré l'adoption d'une nouvelle mission.

Les tensions, les sentiments ambivalents et la résistance au changement (visibles aussi dans d'autres évaluations) ont rendu la tâche très ardue pour le personnel.

Les succés de la campagne et les résultats qui ont eu le plus d'influence sur la vie des femmes

Les succès de la campagne sont décrits de manière détaillée dans le rapport d'évaluation pour chaque étude de cas. En voici quelques exemples.

  • Le travail sur son propre pays a été très efficace : les recherches locales associées à des campagnes WOOC ont permis d'obtenir de réels changements dans plusieurs des pays étudiés (États-Unis, pays nordiques, Irlande, Royaume-Uni). Chaque pays a soigneusement répertorié et prouvé ces résultats, parmi lesquels on peut citer : la signature par le gouvernement britannique de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains ; l'augmentation des fonds destinés aux femmes autochtones et une plus grande sensibilisation à la nécessité d'une loi sur la violence contre les femmes aux États-Unis ; une meilleure prise de conscience et l'adoption de mesures concernant le viol en Irlande ; l'obligation de proposer des foyers d'accueil aux femmes battues en Suède, et une protection renforcée des femmes victimes de viol dans les pays nordiques ; une nouvelle Loi relative aux crimes sexuels au Kenya ; l'intégration dans le programme de plusieurs candidats aux élections municipales d'un engagement à mettre un terme à la violence contre les femmes au Venezuela.

  • Le travail en étroite collaboration avec des partenaires et dans des réseaux, comme aux États-Unis, en Suède et au Kenya, a permis d'obtenir un certain nombre de résultats, notamment en ce qui concerne les politiques, les lois et les financements pour les femmes autochtones et les femmes victimes de viol. Les réseaux ont soulevé un certain nombre de questions, sensibilisé l'opinion et mené directement un travail de pression, par exemple sur les codes de conduite pour le personnel de maintien de la paix, les politiques conjointes des gouvernements à propos de la violence contre les femmes, la promotion des foyers d'accueil, etc., comme au Royaume-Uni et en Irlande.

  • Le travail d'Amnesty International a donné plus de visibilité aux préoccupations soulevées par les défenseurs des droits des femmes et des droits humains dans plusieurs pays.

  • Les méthodes de travail participatives – comme celles utilisées dans de nombreuses régions d'Afrique – ont permis de sensibiliser l'opinion et de remettre en cause les comportements par le biais, par exemple, du théâtre, des jeux de rôle et des rencontres directes avec des groupes de femmes. Les méthodes de campagne plus classiques telles que les envois de lettres et de cartes-pétitions et les actions en ligne sont généralement moins efficaces en Afrique, où la tradition orale prévaut.

  • Le fait de disposer de plusieurs rapports et actions sur la violence contre les femmes dans différents pays d'Europe a permis au SI et aux sections et structures de faire pression efficacement sur l'Union européenne pour obtenir une redéfinition du crime de viol.

  • Le travail avec les municipalités et la police, par exemple au Venezuela, a été efficace en termes de sensibilisation.

  • Le travail de sensibilisation autour du droit des femmes à une protection a contribué à accroître le nombre de plaintes pour violence déposées par des femmes auprès de la police vénézuélienne.

  • Un travail de pression efficace a été mené auprès des Nations Unies sur les femmes dans les conflits et leur besoin de protection, ainsi qu'auprès de l'UE sur la redéfinition du crime de viol.

Il y a très certainement de nombreux autres exemples de changements positifs obtenus à travers le mouvement. Cependant, en l'absence de remontée satisfaisante des informations, de base de données commune et de recueil systématique des preuves de changement, ces succès ne peuvent être recensés qu'en se rendant dans chaque pays. Les informations existantes sont malheureusement incomplètes.

Beaucoup de réalisations ont eu lieu dans les pays du Nord, qui ont entrepris leurs propres recherches, ont fait campagne avec leurs membres sur des sujets qu'ils connaissaient et comprenaient bien, ont fait pression sur des gens qu'il leur était facile de contacter et qui avaient la même langue et la même culture qu'eux, et ont disposé de moyens pour réaliser des outils et mener campagne. Ces conditions n'étaient généralement pas réunies dans les pays du Sud, même si les exemples du Kenya et du Venezuela montrent que, lorsque le travail de campagne est conçu, mis en œuvre et soutenu par des recherches sur le plan local, il est possible d'obtenir des résultats.

Ce qui a moins bien marché

  • Les rapports de recherche ont parfois été en retard et l'objet des recherches a changé au fil du temps, ce qui fait que les chargés de campagne se sont parfois retrouvés sans outils satisfaisants pour travailler sur les campagnes dans lesquelles ils avaient commencé à s'engager.

  • Les liens entre les recherches menées et les stratégies de campagne ont été assez faibles ; on ne sait pas si des actions de campagne ont été menées sur tous les rapports de recherche, ni quelles recherches ont été les plus appréciées ou les plus ignorées.

  • Il n'y a pas eu de collaboration pour le travail de campagne autre que le WOOC, en conséquence de quoi le seuil nécessaire pour faire entendre largement la voix d'Amnesty International sur tel ou tel sujet n'a pas été atteint. De fait, il est très difficile de savoir quelles sections et structures ont fait campagne sur quels thèmes et dans quels pays.

  • En l'absence de fil directeur dans la campagne HVCF, le travail de recherche et de campagne a été, dans certains cas, très dispersé et fragmenté.

  • Les membres du personnel d'Amnesty International dans les pays du Sud n'ont pas beaucoup d'influence sur les rapports de recherche et les messages de campagne utilisés dans leur propre pays. Cela limite l'efficacité de l'organisation sur des questions comme la violence contre les femmes, qui doivent être traitées à la fois sur le plan local et sur le plan national et international.

  • Compte tenu des politiques nord-sud actuelles, les messages de campagne provenant d'autres pays peuvent faire plus de tort que de bien dans certains États.

  • Bien que quelques méthodes participatives aient été utilisées (par exemple dans certaines régions d'Afrique), Amnesty International s'appuie essentiellement sur un éventail limité de techniques de campagne – comme l'envoi de lettres ou de cartes-pétitions – qui ne sont pas forcément les plus efficaces pour obtenir des changements en matière de violence contre les femmes.

  • La communication entre le SI et les sections et structures n'a pas toujours été très bonne.

  • L'absence de stratégie de sortie pour la campagne a laissé de nombreuses sections et structures perplexes quant à la manière d'arrêter ou de poursuivre leur travail sur la violence contre les femmes et leurs partenariats, dont beaucoup avaient été soigneusement renforcés au fil du temps. Les chargés de campagne n'ont reçu des conseils sur la manière de mettre un terme à la campagne que lorsque celle-ci était presque finie, ce qui a suscité beaucoup d'inquiétude parmi le personnel des sections et structures. Ils craignaient de perdre leur réputation et de donner l'impression de s'être servi de leurs partenaires s'ils les abandonnaient soudainement après s'être donné tant de mal pour les « séduire ». Quoi qu'il en soit, on ne sait pas bien comment le travail sur la violence contre les femmes va se poursuivre ni comment les partenariats existants vont pouvoir être financés.

Il est difficile de comprendre comment Amnesty International entend obtenir des changements dans le comportement des agents gouvernementaux et non gouvernementaux à propos de la violence contre les femmes en faisant campagne par une communication écrite depuis des pays lointains. Une réflexion beaucoup plus poussée doit être menée pour analyser les liens possibles entre les actions de campagne et les changements attendus. Pour travailler sur les DESC, Amnesty International va devoir repenser certaines de ses stratégies de campagne fondamentales et élargir l'éventail des mesures et démarches utilisées.

La campagne HVCF a permis d'obtenir – ou contribué à obtenir – de nombreux changements sur le plan local ou national. Cependant, très peu d'éléments permettent de conclure qu'Amnesty International a su utiliser sa « puissance » (son nom et sa réputation, ses ressources, et son travail de recherche et de campagne) pour « faire évoluer le discours mondial », rendre la violence contre les femmes inacceptable ou faire en sorte que les États assument leur responsabilité pour les actes commis par des agents gouvernementaux et non gouvernementaux (diligence requise).