Maroc: Les marocains évaluent les progrès de la Moudawana

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Magharebia

Le Roi Mohammed VI avait, l’année dernière, décrété le 10 octobre Journée Nationale de la Femme en commémoration de l'anniversaire de la réforme du Code de la Famille. Mais, après plus de cinq ans d’application de la Moudawana, les opinions sont encore partagées sur le fait de savoir si ce nouveau Code est parvenu ou non à atteindre ses nobles intentions.

Lorsque le Maroc avait pour la première fois dévoilé la Moudawana, le 10 octobre 2003, les citoyens s'étaient montrés optimistes. Le Code de la Famille avait pour objectif de mettre un terme aux injustices imposées aux femmes, de protéger les droits des enfants et de sauvegarder la dignité des hommes.

La parlementaire et avocate Fatima Moustaghfir accompagne ses cadeaux pour les nouveaux mariés d’un livret du Code de la Famille appelant le couple à bien en assimiler toutes les dispositions avant de commencer la vie conjugale.

Mais la mise en oeuvre de ces dispositions n'est pas facile pour le système légal. Le Code de la Famille, déclare-t-elle, souffre d'une mauvaise compréhension tant de la part des avocats et des magistrats que des citoyens.

"Nos magistrats et nos avocats n’ont pas accordé à la Moudawana l’importance nécessaire et n’ont pas, ainsi, travaillé sur sa profondeur", ajoute Moustaghfir. "En outre, les citoyens souffrent d’une ignorance juridique alors que les dispositions du code doivent être intégrées dans le cursus de l’enseignement secondaire".

Une jeune femme raconte à Magharebia que son époux s’est marié à une autre femme, alors que la loi stipule son consentement par écrit. Ce n’est que trois ans après ce second mariage qu'elle a découvert la vérité.

"Il a présenté un faux certificat de célibat se remarier", dit Halima, âgée de 28 ans. "Que puis-je faire maintenant ? Intenter un procès contre lui l’accusant de falsification d’un document officiel ? Je suis perplexe car j’ai deux enfants et je ne peux pas être la cause de l’emprisonnement de leur père", dit-elle, les larmes aux yeux. N’ayant aucune ressource financière, la jeune femme a opté, contrainte, pour le silence.

D’autres femmes critiquent la manière dont la loi est appliquée par les tribunaux, et en particulier la lenteur des procédures.

Fatimazohra Bahri souffre depuis des années à cause de la séparation de ses enfants. Son mari lui a "volé" ses trois filles âgées de 6, 8 et 11 ans et s’est installé dans une autre ville sans pour autant qu’ils soient divorcés. Elle a intenté contre lui un procès de garde. Mais elle n’a pas pu obtenir gain de cause.

"Mon avocat m’a expliqué que mon cas est très difficile car il existe une lacune dans la loi en la matière. En effet, le code parle de la garde mais dans le cas du divorce", dit-elle.

Afin de résoudre les nombreuses lacunes légales subsistant dans la Moudawana, le secteur associatif appelle à sa réforme. Fatima Maghnaoui, directrice du centre Annajda de Rabat, déclare à Magharebia que le Code de la Famille qui constitue un acquis important pour le Maroc se confronte à la problématique de sa mise en œuvre.

Elle signale qu’en dépit des grands efforts pour la formation des juges et les fonctionnaires qui travaillent dans le domaine, on constate que l’application se fait d’une manière "patriarcale, souvent au profit de l’homme".

"On peut changer les lois, mais pour les appliquer, il faut des mentalités ouvertes. On doit organiser des campagnes de sensibilisation ciblant toutes les catégories à commencer par les juges."

Elle affirme qu’à titre d’exemple, le mariage des mineures a augmenté considérablement alors que le nouveau texte avait pour objectif de limiter le phénomène. "Les juges sont censés donner des autorisations exceptionnelles. Mais, l’exception donne lieu à des milliers de cas", indique Maghnaoui.

La tutelle légale est un autre point soulevé par la militante associative. Elle affirme qu’au moment où la Moudawana était censée instaurer l’égalité entre les époux, les femmes n’ont toujours pas le droit de donner des autorisations à leurs enfants mineurs pour élaborer des documents officiels tels que le passeport.

Elle ajoute que la nafaqa doit également être mise en oeuvre. Ce sera une caisse destinée à accorder une pension alimentaire aux femmes qui ne peuvent obtenir le soutien de leur époux .

"Le gouvernement nous pose toujours la question du financement de ce fonds," dit Mme Maghnaoui. "Il suffit de réfléchir à quelques solutions comme la zakat ainsi que l’application de taxes symboliques pour les contrats de mariage."

Zhor el Hor, magistrate, souligne qu’en effet, la mise en place du fonds de la solidarité familiale mettra fin à la souffrance de bon nombre de femmes qui n’ont pas de ressources financières. "Quand le mari ne dispose pas de la somme de la pension alimentaire, il risque la prison. La femme et ses enfants, dans ce cas-là, ne vont tirer aucun bénéfice de son emprisonnement. Le fonds pourra octroyer la pension aux femmes dans le cadre de la solidarité sociale", dit-elle.

El Hor tient à souligner l’importance de la communication et la sensibilisation pour que chacun connaisse ses droits et ses devoirs.

"Parfois on se plaint de la non-application de la loi, alors que la procédure n’a pas été suivie par ignorance des plaignants", ajoute-t-elle.

Toutes les lacunes du Code de la Famille ne sont pas forcément en faveur de l’homme. Celui-ci se trouve également, parfois, victime des vides juridiques.

Salim, 32 ans, déclare qu’il a peiné pendant des mois à obtenir le droit de visite de son enfant alors qu’il n’est pas encore divorcé avec sa femme.

" Elle m’a enlevé mon fils et elle est partie chez ses parents en demandant le divorce. Je tiens toujours à elle. Mais je ne peux rien faire au niveau juridique", dit-il à Magharebia.
Malgré les avancées réalisées en termes d'égalité entre hommes et femmes par la Moudawana, Abdelouahed Radi, Ministre de la Justice, constate encore la nécessité de nouvelles réformes. En mars dernier, à l'occasion du cinquième anniversaire du Code de la Famille, Radi avait rappellé la nécessité d’améliorer le rendement de la justice familiale et l’amélioration de la qualité des services pour répondre aux attentes des justiciables.

Il avait signalé que le Ministère tentait autant que faire se peut d'assurer une bonne application de la Moudawana, citant le rôle des assistantes sociales qui cernent les réalités des condition des familles, et les mettent à la disposition de la justice. De nouvelles études se focaliseront sur les pensions alimentaires, le système de la médiation au sein des sections de la famille, le partage des biens acquis pendant le mariage, ainsi que la création d’une cellule de formation continue au profit des personnels de la justice de la famille.

"Une mise en oeuvre juste de la Loi exige la sensibilisation des autorités administratives et des tribunaux, avec pour objectif d'informer les gens de leurs droits quand ils sont touchés par le Code de la Famille", dit Fatna Serhane, professeur de Droit à l'Université Hassan II de Casablanca et membre de l'Association Marocaine des droits de l'Homme.

"Je me sens fondamentalement très optimiste, et je pense que les choses vont évoluer positivement", ajoute-t-elle

Par Siham Ali pour Magharebia à Rabat – 09/10/09