Algérie : l’opposition étouffée avant les élections

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Le Monde diplomatique
Pas un mot sur les attentats quotidiens d’Al-Qaida au Maghreb, et le « candidat indépendant » n’écarte pas l’idée d’« une amnistie générale » pour tous les terroristes.
Pour cela, Mme Chérifa Kheddar, présidente de l’association des victimes du terrorisme Djazaïrouna, rejette ce scrutin : « Nous ne pouvons contribuer à perpétuer un système qui fait voter une loi par les élus et une Charte par référendum au profit des criminels de la décennie rouge. »
Cela fait plusieurs semaines que l’Algérie n’a ni président ni gouvernement. Les autorités du pays et ses institutions sont toutes en campagne électorale pour convaincre la population d’aller voter. Le jeudi 9 avril se tiendra une élection présidentielle déjà gagnée par M. Abdelaziz Bouteflika, qui se présente sous l’étiquette de candidat indépendant.

Le président sortant-rentrant est soutenu par l’alliance présidentielle – Rassemblement national démocratique (RND), Front de libération nationale (FLN), Mouvement de la société pour la paix (MSP) – et par une farandole d’associations et de syndicats officiels hantés par le spectre de l’abstention.

Cinq candidats « défient » M. Bouteflika pour légitimer son élection. Peu mobilisateurs pour certains, complètement inconnus pour d’autres, les « lièvres », comme les surnomme la presse algérienne, sont soupçonnés de convoiter les 15 millions d’euros mis à la disposition de chaque parti en lice pour mener campagne. Quant aux poids lourds de l’opposition, ils ont appelé à l’abstention. Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) a gelé ses activités publiques après avoir établi le diagnostic cinglant d’une « Algérie mugabisée » et constaté l’échec de l’opposition démocratique à exister sur la scène politique (1). Le leader de l’Alliance nationale républicaine (ANR.), M. Réda Malek, est allé jusqu’à mettre un terme définitif à une carrière politique de cinquante années. Pour M. Karim Tabou, secrétaire général du Front des forces socialistes (FFS), autre parti abstentionniste, « ce scrutin est un défi lancé à la société. M. Bouteflika se déplace avec une vingtaine de bus de citoyens payés pour remplir ses salles.

Des habitants des bidonvilles sont menacés d’expulsion et les salariés de licenciement s’ils ne prouvent pas qu’ils ont voté. Le ministre de l’Intérieur évaluera les préfets en fonction des taux de participation au vote qu’ils auront enregistrés, créant ainsi une concurrence à une fraude qui a déjà commencé. En dix ans, l’Algérie a fait un bond démographique de huit millions de personnes, et le nombre des nouveaux inscrits sur les listes électorales pour la même période dépasse ce chiffre. »

La politique de la chaise vide ne satisfait pas tous les militants de l’opposition. « M. Bouteflika a une stratégie monstrueuse, nous dit un jeune commerçant. Il nous [les démocrates] a complètement éteints, et les partis qui boycottent nous enlèvent la seule occasion d’exister sur la scène politique. Ainsi, tout est clair : il n’y a plus que lui, le Zaïm [le chef], comme tout le monde l’appelle ici. » Mais en quoi consiste cette stratégie ? « Après la présidentielle de 2004, tous ceux qui l’ont soutenu ont été récompensés financièrement. Du coup, la convoitise est telle que même des opposants ont rejoint ses bureaux de soutien. Juste avant le lancement de cette campagne, il a distribué des lots de logements dans des cités huppées aux habitants de bidonvilles… »

En fait, le président s’est permis une précampagne pour lancer quelques projets. « La population, explique ce professeur d’une université de l’Est algérien – qui n’ira pas voter – montre un certain dégoût face aux visites du président dans les villes de l’intérieur pour l’inauguration de prétendus projets déjà inaugurés par des ministres ou par lui-même. »

« Je suis porteur des mêmes idées et je ne suis pas venu (…) pour présenter mon programme, que vous connaissez depuis une dizaine d’années », a lancé le président sans projet à Batna, et d’ajouter à Tlemcen : « Les nouvelles idées viendront lors des réalisations (2) ». En d’autres termes, l’Algérie des cinq prochaines années sera la même que celle des deux derniers mandats. Perspective peu réjouissante (3).

Toutefois, M. Bouteflika a promis la construction de un million de logements et la création de trois millions d’emplois. Il est même passé aux actes. Il a effacé les dettes des agriculteurs et augmenté les bourses étudiantes de 50 %. Pour ratisser large, il a satisfait une revendication historique des Berbères avec le lancement de la première chaîne en tamazight. Une chaîne de diffusion de programmes religieux, Saint Coran, a été créée dans la foulée pour gagner le camp islamiste.

En revanche, rien n’est dit sur les différentes grèves qui touchent l’ensemble des secteurs publics et privés depuis plusieurs mois. Pas un mot non plus sur les attentats quotidiens d’Al-Qaida au Maghreb, et le « candidat indépendant » n’écarte pas l’idée d’« une amnistie générale » pour tous les terroristes. Pour cela, Mme Chérifa Kheddar, présidente de l’association des victimes du terrorisme Djazaïrouna, rejette ce scrutin : « Nous ne pouvons contribuer à perpétuer un système qui fait voter une loi par les élus et une Charte par référendum au profit des criminels de la décennie rouge. »

Une fraude massive est prévisible pour que le troisième mandat de M. Bouteflika ne commence pas par un fiasco. Le taux de participation atteindrait 65 à 70 %, chiffres déjà annoncés par le premier ministre, M. Ahmed Ouyahia. Cette élection aura toutefois eu son utilité. Elle aura mis sous les feux de la rampe certains cadres politiques de l’opposition qui ont viré de bord et rejoint le camp présidentiel. Au grand désarroi de leurs électeurs.

07 avril 2009

Par Ali Chibani

Source: Le Monde diplomatique

(1) Lire « Remise en cause des acquis démocratiques », février 2009.

(2) Liberté, le 22 mars 2009.

(3) Lire « Remise en cause des acquis démocratiques », op. cit.