Egypte: Des femmes qui se cherchent via l’Histoire

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Al-Ahram Hebdo
« Pour une nouvelle lecture de l’Histoire », c’est le slogan majeur de l’Association de la femme et la mémoire qui travaille sur terrain depuis 1995.
C’est un groupe de chercheurs de diverses spécialités, droit, sciences politiques, lettres anglaises et histoire, qui a fait le tour des centres de recherches, des tribunaux et des bibliothèques, etc.
Sur www.wmf.org.eg/, cette ONG explore un panorama du rôle de la femme dans l’histoire arabe, égyptienne et musulmane. L’idée est née suite aux réformes des lois du statut personnel dans les années 1990. « On entendait toujours le même refrain, à savoir que les droits de la femme sont un agenda imposé par l’Occident. On a dû donc recourir à l’histoire de notre pays pour une relecture du statut de la femme qui a subi un recul. Il était question de prouver que les droits de la femme ne sont pas importés, mais ont des racines authentiques orientales. Le but étant de créer une documentation made in Egypt, inspirée de l’histoire des femmes qui ont participé à la renaissance égyptienne avant même la révolution de 1919 », explique Amina Al-Bendari, membre de l’association.

C’est un groupe de chercheurs de diverses spécialités, droit, sciences politiques, lettres anglaises et histoire, qui a fait le tour des centres de recherches, des tribunaux et des bibliothèques, etc. « Lors du travail de recherche, on a découvert l’existence de contrats de mariage datant du XIXe siècle sur lesquels des femmes ont eu le droit d’imposer leurs propres conditions, comme par exemple le fait d’exiger que le mari ne prenne pas une seconde épouse ou ne s’éloigne pas de la ville où réside sa famille et ainsi de suite. Des conditions que la jurisprudence islamique admettait à l’époque », explique Al-Bendari, qui ajoute que cette lecture du passé encourage la femme à se lancer dans la vie pratique, à assumer ses responsabilités et à venir à bout des idées qui empêchent son émancipation.

Et pour répandre cette nouvelle culture, l’association a lancé plusieurs projets. Le premier étant de rendre compte du rôle de la femme égyptienne dans le développement du pays. Il existe une tendance qui fait tout pour exclure le rôle de la femme de notre mémoire collective. Le second but est celui d’encourager les associations arabes à faire des recherches sur la femme. « On organise alors des conférences sur le rôle des féministes dans différentes époques, à l’exemple de Nabawiya Moussa, Aïcha Taymour, Qadriya Hussein et d’autres auxquelles l’Histoire a accordé peu d’intérêt et dont les noms risquent de tomber dans l’oubli. On tente alors de faire focus sur le rôle qu’elles ont joué en mentionnant le contexte et les conditions dans lesquels elles travaillaient ».

Et pour atteindre un large public, ces activistes ont découvert que la narration est la formule la plus efficace, s’agissant de l’histoire ou même des contes. Il est question de relire le patrimoine égyptien pour corriger l’image de la femme dans les proverbes, les contes, etc. « On a remarqué qu’en racontant à nos filles les contes de fées traditionnels comme celui de Cendrillon, l’image qui en ressort est celle d’une fille soumise qui attend le prince charmant pour la sauver. On rejette cette image, on veut que Cendrillon agisse autrement. Et c’est ce qu’on a fait quant à certaines histoires du patrimoine arabe », explique Amina. Et d’ajouter : « On a relu les contes des Mille et une nuits pour les réécrire autrement et avec une vision plus attentionnée à l’égard de la femme ». De nouveaux contes que les citoyens ont l’occasion d’écouter dans les soirées organisées dans des espaces culturels tels que Saquiet Al-Sawi ou Maison Al-Séheimi.

Leur cheval de bataille c’est la loi

« Les droits de la femme sont une partie intégrante des droits de l’homme », c’est le flambeau de l’Association égyptienne des droits de la femme. Créée il y a 13 ans, l’association a entamé son action après les élections parlementaires de 1996. « Une véritable catastrophe, puisque le taux de participation de la femme n’a pas dépassé les 2,4 %. 4 femmes seulement sur les 444 députés ont pu siéger au Parlement », explique Nihad Aboul-Qomsane, présidente de cette association. D’où le slogan de l’association qui se concentre sur les droits politiques et juridiques de la femme. « On a constaté que l’Egypte figure parmi les pays les plus rétrogrades par rapport au statut de la femme. On a pu le remarquer en tant qu’activistes lors des préparatifs de la conférence sur la population qui a eu lieu en 1994 », poursuit-elle.

L’équipe est composée de 7 activistes, dont 5 avocates. Ces dernières ont suivi une formation et un stage à l’Organisation égyptienne des droits de l’homme. « Nous sommes les filles légitimes de cette ONG. Nous devons relever un double défi : faire admettre la culture des droits de l’homme, relativement nouvelle dans notre société, et inscrire les droits de la femme parmi les droits de l’homme ». Et c’est la raison pour laquelle l’association se considère comme une organisation de défense qui œuvre pour le concept du droit sans présenter un service direct. « On n’essaie pas d’ouvrir une crèche ou de lutter contre l’analphabétisme, mais plutôt de sensibiliser les femmes à leurs propres droits. Et si l’on doit aborder les problèmes de la santé, de l’excision ou de l’éducation, nous faisons automatiquement appel à la loi ».

De la revendication du droit à la nationalité pour les enfants de mère égyptienne en passant par les réformes du Code civil, sans oublier les procès de viol, l’association a trouvé un terrain fertile pour faire appliquer son slogan. Mais d’après l’expérience pratique, les obstacles ne manquent pas et il reste beaucoup à faire. L’ONG travaille donc selon une stratégie bien déterminée. L’action sociale a lieu à plusieurs niveaux. Le premier est de travailler en se basant sur des faits. Depuis sa création, l’association a tenu la défense devant les tribunaux égyptiens dans plus de 12 000 procès intentés par des femmes et a accordé 70 000 consultations juridiques. « On étudie à travers les causes présentées les obstacles qui entravent l’accès de la femme à ses droits juridiques et politiques. Par exemple, en ce qui concerne les procès de viol ; bien que ce crime soit passible de la peine de mort, il existe une lacune en ce qui concerne l’application. Ce sont souvent les rapports de médecine légale qui sauvent le criminel. On essaye donc de rechercher les lacunes afin de prouver le contraire », poursuit Aboul-Qomsane.

La deuxième étape est la sensibilisation. « Nous avons découvert que lorsque nous aidons une femme issue des couches défavorisées à avoir accès à ses droits, nous réalisons des résultats incroyables. Car celle-ci devient à son tour ce qu’on appelle un exemple et elle joue plus tard un rôle dans son milieu pour répandre la culture des droits de la femme. Grâce à celle-ci, le slogan a un sens » .

Un slogan qui en dit long, mais qui doit surtout prendre en considération plusieurs facteurs. « Quand on s’adresse à la large foule, on essaie de ne pas être choquant, il faut surtout respecter les traditions des gens simples et apprendre à parler leur langage ». Pour le cas d’excision, l’association a étudié les motifs de cette pratique. « On a remarqué que les gens n’admettaient pas l’idée de la mutilation et rejetaient tous les discours qui tournaient autour de cette pratique. Mais pour protéger leurs filles, ils y ont recours. Notre rôle est donc de les convaincre que la protection peut se faire autrement ».

Les défis sont nombreux car le taux de participation de la femme lors de la dernière élection de 2005 a été de 2,1 %. Mais l’association ne compte pas baisser les bras, surtout qu’il y a de bons indices. Et Nihad Aboul-Qomsane de conclure : « Sans l’effort du mouvement féministe égyptien, on ne pouvait pas avoir une Noha Rouchdi qui a eu le courage d’intenter le premier procès contre un homme pour harcèlement. Aujourd’hui, le harcèlement est une affaire qui intéresse l’opinion publique et personne n’ose plus fermer les yeux et suivre la politique de l’autruche ».

Des voix à celles qui n’en ont pas

« Pas de concessions sur les droits de la femme », la Fondation de la femme nouvelle ne mâche pas ses mots. Un slogan porté depuis 1984 par un groupe d’activistes de gauche qui a commencé sa lutte dans des conditions difficiles suite à la politique de l’infitah et le départ des Egyptiens vers les pays du Golfe à cause de la mutation socio-économique de l’époque. Des appels conservateurs s’élevaient alors, réclamant le retour de la femme à la maison. « Nous sommes une fondation rebelle qui fait face aux nouveaux changements », explique Nawla Darwich, présidente de la fondation. Cette femme a rejoint l’équipe en 1989. Or, ce groupe fondateur a dû lutter pendant 20 ans pour imposer le statut juridique de la fondation qui a vu le jour en 2004. Lors des investigations sur terrain, la vision est devenue plus claire et le slogan est né autour d’une idée révolutionnaire « Take it or leave it ». « On a remarqué qu’il y avait une certaine liquidation de tout ce qui touchait aux droits de la femme. En lui accordant un droit, on lui en confisque un autre », explique Nawla, en ajoutant : « En 1994, suite à la conférence sur la population, il y a eu un grand scandale quand CNN a diffusé un film montrant l’atrocité de l’excision. Le ministre de la Santé a alors interdit cette pratique, mais pas dans les hôpitaux publics. On a donc intenté un procès contre lui car il fallait l’éradiquer complètement en condamnant tous ceux qui commettent ce crime ».

Aujourd’hui, l’association estime que l’Egypte traverse une période décisive. Une occasion que le mouvement féministe ne veut en aucun cas rater. « Le pays connaît une série de mouvements de protestation : grèves, manifestations, mais ce sont souvent des mouvements non organisés qui prennent forme puis s’arrêtent sans atteindre parfois leurs objectifs. Notre but alors est de prendre en main les femmes issues des couches marginalisées pour les aider à s’organiser et à mieux s’exprimer ».

Ouvrières, paysannes, femmes victimes de violence, la fondation va à leur rencontre, les soutient et les aide à se défendre. « On est certain que celle qui souffre est la seule à pouvoir décrire ses souffrances. Notre mission alors est de lui offrir une formation, lui donner la chance et les outils nécessaires pour que personne ne le fasse à sa place ».

Bien que l’objectif fondamental de la fondation soit de servir ces marginalisées sur terrain, d’autres objectifs se sont imposés sur leur agenda afin de rendre service à ce slogan. « Sur terrain, on a décidé de ne plus considérer ces femmes comme des cobayes pour nos recherches. On a dû faire des films sur les souffrances de chaque catégorie. Des films diffusés actuellement d’un village à l’autre afin de sensibiliser les femmes sur leurs droits ».

Et avec le principe « C’est à prendre ou à laisser », la fondation compte ne plus se limiter à son domaine. En effet, toutes les causes de la femme s’entremêlent. Un principe qui s’applique à tous les aspects de la vie. « Une femme battue par son mari ne peut pas participer à la vie politique. Une femme soumise chez elle ne peut pas être épanouie ailleurs », conclut Nawla.

La force du facteur économique

« Vers une indépendance économique de la femme ». L’Association de l’émancipation et du développement de la femme, une des plus anciennes et des plus importantes ONG présentes sur le terrain, a choisi le vecteur économique. 22 ans d’existence, grâce à un groupe de jeunes féministes et sociologues qui ont décidé de bouleverser le concept de l’action sociale qui signifiait autrefois charité. Sur le terrain, l’ONG a découvert que le taux de femmes soutien de famille est de 23 %. Un taux qui atteint 40 % dans certains bidonvilles où l’ONG opère. Des chiffres qui ont choqué l’opinion publique, accusant ces féministes d’adopter des idées occidentales et d’être loin de la réalité de leur société. « On aspirait à développer les compétences de ces femmes marginalisées. On a été l’une des premières ONG à attirer l’attention des responsables vers ces catégories. On a réussi à imposer la question de la femme soutien de famille, et dont le nombre atteint actuellement 2,5 millions, sur l’agenda du ministère de la Solidarité sociale », explique Iman Beibars, présidente de l’association, tout en estimant qu’au début, le discours de l’association visait « les droits », mais plus tard, il s’est étendu sur « l’existence et la protection », surtout après avoir remarqué que beaucoup de femmes ne possédaient pas de papiers officiels. « Nous avons été la première association à avoir aidé ces femmes, en leur faisant obtenir gratuitement des cartes d’identité ».

Or, pour garantir cette indépendance économique, l’association offre aux femmes des emprunts sans intérêts et une formation qui leur permet de gérer leurs petits projets. Le travail a lieu selon un concept bien étudié. « Au début, des membres de l’association allaient sur le terrain et tentaient de pénétrer chaque maison à travers un réseau de volontaires, qui ne sont en fait que des habitants des bidonvilles. En travaillant sur le terrain, on découvre les besoins des femmes de chaque région et on élabore un programme qui répond à leurs besoins, mais qui diffère d’un endroit à un autre », explique Beibars en poursuivant qu’en parallèle, l’association joue le rôle d’intermédiaire en faisant parvenir la voix de ces marginalisées aux responsables. Au cours de deux décennies, l’association a essayé d’élargir son plan d’action hors du bidonville de Manchiyet Nasser, en ouvrant un second siège au Vieux-Caire, rendant service à plus de 12 000 femmes.

Semaine du 4 à 10 mars 2009

Par Dina Darwich

Al-Ahram Hebdo