Allemagne: Commémoration: Il y a 70 ans, la nuit des pogroms

Source: 
l'Humanite
Le 9 novembre 1938, le régime politique nazi organise dans toute l’Allemagne la première étape de la violente persécution antisémite qui se prolongera ensuite jusqu’à la Shoah.
Le 9 novembre 1938. Ou plutôt la nuit du 9 novembre au 10 novembre 1938. « Nuit de cristal ». Ou plus justement dit, nuit de pogroms en Allemagne nazie. Des dizaines de synagogues et des milliers de biens appartenant à des juifs sont pillés et saccagés. Nuit de terreur organisée et préparée de longue date dans les moindres détails par le pouvoir. Une nuit de brouillard qui n’en finira plus et couvrira des cendres des fours crématoires la civilisation elle-même.
Date anniversaire comme une invitation à ne pas oublier. Et surtout à empêcher l’histoire de bégayer. À l’occasion de ce 70e anniversaire point de départ de l’Holocauste, le Mémorial de la Shoah organise une exposition temporaire jusqu’au 22 mars (1). Exposition, cycles de conférences, films, lectures autour de cette date centrale. Au même moment en Allemagne, la commémoration a donné lieu a de multiples initiatives. La chancelière conservatrice Angela Merkel a participé, aux côtés des survivants du pogrom, à une cérémonie à la synagogue de la Rykestrasse à Berlin, la plus grande d’Allemagne. Une des rares aussi à ne pas avoir été détruite par les nazis en raison du risque de dégâts collatéraux sur les immeubles situés à proximité. « En 1938, beaucoup en Allemagne n’ont pas voulu savoir, a déclaré Angela Merkel, mais nous connaissons des témoins de l’époque qui savaient quel était le sort que connaîtraient les juifs en Allemagne. » Le secrétaire général du Conseil central des juifs d’Allemagne, Stephan Kramer, a appelé les autorités allemandes à mieux expliquer la période nazie aux jeunes qui doivent « plus encore que jusqu’à présent être mis en garde contre les dangers, à l’avenir, d’un nouvel antisémitisme et de l’extrême droite », tout en renouvelant sa demande d’interdiction du parti néonazi NPD. Une Allemagne qui est aussi le théâtre d’un début de banalisation de l’antisémitisme. Récemment, avant de s’excuser, un économiste réputé, Hans-Werner Sinn avait comparé le climat anticapitaliste généré par la crise financière et économique à l’antisémitisme des années 1930. Un haut dirigeant de la CDU, parti de la chancelière, avait aussi soulevé quelque émotion après avoir affirmé que les grands patrons montrés du doigt en raison de leurs salaires élevés étaient victimes « d’un climat de pogrom ». Une Allemagne où l’on s’obstine à commémorer cette nuit honteuse sous l’appellation « Kristallnacht » (« nuit de cristal ») donnée par les nazis eux-mêmes en référence à la fois aux bruits des fenêtres d’appartements ou des vitrines cassées des commerces appartenant à des juifs et à la pureté du matériau. La vérité et l’intelligence sensible obligeraient à parler de nuit des pogroms.

9 novembre 1938. Présenté par les responsables nazis comme une réaction spontanée de la population suite à l’assassinat, le 7 novembre, du sous-conseiller de l’ambassade allemande à Paris par un jeune juif, Herschel Grynszpan (dont le procès n’aura jamais lieu), le pogrom est « mis en oeuvre par le ministre de la propagande du Reich, Joseph Goebbels, ordonné par le chancelier du Reich, Adolf Hitler, perpétré par des bandes composées de SA, de SS, de membres de la Jeunesse hitlérienne et d’autres organisations du Parti national-socialiste, surveillés et soutenus par la Gestapo et d’autres forces de police » (2). Mais les ordres prescrivaient que les exactions devaient être perpétrées par des hommes en civils pour faire croire à un mouvement spontané de la population furieuse contre « les profiteurs juifs ». Sur tout le territoire du Reich, plus de 250 synagogues sont détruites, 7 500 commerces et entreprises exploités par des juifs sont saccagés. Quelque 91 juifs sont assassinés, des centaines d’autres se suicideront ou mourront des suites de leurs blessures. La source est celle de la liste établie par les nazis eux-mêmes. Curieusement, soixante-dix ans après, cette liste-là fait toujours référence. Mais selon les historiens, il y aurait eu au moins 400 morts. À quoi il faut ajouter le nombre inconnu de viols de femmes juives. Ajouter aussi les 30 000 qui seront déportés en camp de concentration, dont 10 911 à Dachau, 9 845 à Buchenwald, 10 000 à Sachsenhausen. Les prémices de la Shoah avec aussi sa dimension de captation de leurs biens sont là : dès le 12 novembre, trois décrets antijuifs sont publiés. Ils interdisent aux juifs de diriger des entreprises et les obligent à faire jouer au profit du Reich leurs assurances pour compenser les dommages. Pis : la communauté juive se verra infliger une amende d’un milliard de Reichsmarks pour « réparation ». Des prémices comme un coup d’essai des rouages d’une entreprise d’extermination à grande échelle dont l’existence et le fonctionnement étaient jusqu’alors inconcevables en Europe.

9 novembre 1923. Hitler et les hauts dignitaires nazis participent à la commémoration des 8 et 9 novembre 1923, jour du « putsch de la brasserie ». Le futur dictateur, agitateur obscur d’origine autrichienne, tente de braver la police de Munich à la tête de plusieurs milliers de fanatiques et en compagnie du général Ludendorf, héros de la Grande Guerre. Ils investissent armes à la main un établissement où se tient une réunion politique. L’affaire tourne court. Le lendemain, ils tentent de prendre d’assaut le ministère de la Guerre du Land de Bavière. Les policiers ouvrent le feu, les agitateurs prennent peur. Hitler sera condamné à cinq ans de prison. Il n’en fera que neuf mois. Le temps d’écrire Mein Kampf. (« mon combat »). Où il énonce, entre autres choses, son programme visant à ce que l’Allemagne soit « libérée des juifs » (« Judenfrei »). Une politique que dès le 1er avril 1933, deux mois après son accession au pouvoir, Hitler concrétisera par de premières mesures antijuives, visant à leur exclusion économique et sociale. Beaucoup, en Allemagne comme dans le monde, n’ont pas voulu comprendre.

(1) Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy-L’Asnier 75004 Paris. Ouvert tous les jours (sauf le samedi) de 10 heures à 18 heures, le jeudi jusqu’à 22 heures.
(2) Kurt Pätzold, « La nuit de cristal » : les responsables, les victimes et la « majorité silencieuse ». Éditions Albin Michel, Paris, 1989.

Par: Dominique Bègles

Source: L'Humanité du 10 novembre 2008