E-U: N'oubliez pas les musulmans afro-américains

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Common Ground
"Dire qu'il faut créer un canal pour de meilleures communication entre les Etats-Unis et le monde musulman, quel euphémisme au regard des tensions qui opposent aujourd'hui ces deux cultures!"
La communauté américaine musulmane se compose de deux groupes distincts – les Américains 'indigènes' et leurs enfants, et les immigrants et leurs enfants.
Les musulmans indigènes ont l'impression d'avoir été essentiellement méconnus, ignorés, oubliés dans ce rôle de bâtisseurs de passerelles. D'une part, les musulmans immigrants et leurs enfants refusent de reconnaître l'existence des Américain musulmans en tant que représentants de l'islam américain, tout comme les Américains refusent de reconnaître leur présence en tant que musulmans. Cependant, étant le groupe ethniquement homogène le plus important de musulmans indigènes, les musulmans afro-américains semblent être le mieux équipés et le mieux placés pour combler le fossé grandissant entre les Etats-Unis et le monde musulman.

Les musulmans afro-américains ont des racines dans ce pays qui remontent à des siècles. Plus important encore, ils ont une histoire de participation sociale et politique tout au long des 20e et 21e siècles, par l'intermédiaire de leurs familles et de la communauté noire en général. A l'époque des Droits civiques, ils ont participé à divers organisations et mouvements, les ont parfois dirigés - on pense aux campagnes d'inscription sur les listes électorales, à Feed the Children et aux campagnes de secours aux indigents dans les quartiers. Un certain nombre de responsables élus ou désignés de notre pays viennent de familles afro-américaines musulmanes.

Disons-le: le gouvernement américain n'a guère jugé les Afro-américains dignes d'avoir une place dans la politique étrangère. Mais, une fois nommés, ils ont su se montrer à la hauteur. Cependant, l'arène dans laquelle s'est déployé le travail des Afro-américains a été, et reste, la scène nationale, avec ses hauts et ses bas, comme il va de soi.

Les Afro-américains dans leur ensemble, et les Afro-américains musulmans en particulier, ont beaucoup fait pour le confort de leurs coreligionnaires immigrants. Dès les années 1950s, les musulmans afro-américains ont commencé à modifier les noms, à introduire des noms arabes dans la société non musulmane. Ils ont également exigé que l'administration pénitentiaire fournisse des repas halal, autorisent les prières quotidiennes et l'office du vendredi - en fait qu'elle insère la pratique islamique dans le paysage fédéral.

Dans la décennie 70, les femmes afro-américaines musulmanes réglaient devant les tribunaux leur droit de porter le foulard dans les professions libérales - médecins, infirmières et pharmaciennes. Elles avaient beaucoup fait pour faire connaître la loi sur les droits civiques de 1964, qui prévoyait l'octroi de visas aux immigrants musulmans.

Depuis lors, les musulmans afro-américains ont vécu dans le monde musulman et y ont voyagé depuis un demi-siècle. Certains, qui avaient fait des études au Moyen-Orient, connaissent parfaitement le contexte. D'autres ont choisi de se faire les ambassadeurs pour faire connaître le monde musulman aux musulmans américains et vice versa. D'autres, encore, ont créé des communautés afro-américaines à l'étranger, leurs enfants passant l'été aux Etats-Unis et l'année scolaire dans le monde musulman. De nombreux musulmans afro-américains parlent un peu l'arabe, d'autres encore connaissent parfaitement et la langue et la culture.

Mais voilà: le racisme, et la prévalence de la voix des immigrés sur celle des musulmans indigènes, ont empêché qu'ils soient repérés comme messagers de choix dans la communication interculturelle ou comme conseillers en matière de cultures musulmanes.

Les musulmans afro-américains se sont investis dans leur pays et dans leur religion. Ils l'ont prouvé en mainte occasion, tout particulièrement depuis le 11 Septembre 2001. Leurs familles ne sont pas seulement chrétiennes. Ils ont des juifs, des bouddhistes, et des adeptes de diverses religions africaines traditionnelles dans leurs familles. Le choix confessionnel de leur famille peut être le résultat de mariages, de descendance, ce qui produit un dialogue interreligieux permanent et organique. Leur familiarité avec les religions et les cultures autres que les leurs les place en position de pointe pour lancer des passerelles.

Que peut-on déduire de tout ce qui précède? Il faut établir un passage entre les Etats-Unis et le monde musulman. Il faut des messagers qui soient en prise avec les deux cultures. Il faut que les Américains reconnaissent que les musulmans afro-américains ont toute légitimité pour être et américains et musulmans. Ils sont liés de diverses manières à l'ethos dans lequel ils sont nés, tout en étant bien décidés à rester musulmans, des musulmans qui respectent à la fois leur religion et leur pays.

Tout ce qu'ils ont à offrir, et c'est beaucoup, ne compromet ni leur héritage américain, ni leur héritage musulman, et cherche à valoriser les deux.

Toute cette richesse doit être reconnue pour devenir réalité. En fait, les musulmans afro-américains n'ont jamais raté une occasion d'y parvenir. Les ondes radio résonnent de leurs voix, naviguant sur les eaux politiques avec sensibilité et perspicacité. Sur les blogs, on les entend aussi, intervenant sur des questions particulièrement sensibles, comme les efforts de paix israélo-palestiniens, la situation au Darfour, et l'aggravation des tensions entre les Etats-Unis et l'Iran.

Eh bien, ils sont là, et leur bonne volonté n'est plus à démontrer. Pourquoi gaspiller cette ressource, présente, exceptionnelle?

Par: Aminah Beverly McCloud

30 mai 2008

* Aminah Beverly McCloud est directrice du Programme islamique d'études mondiales à l'Université DePaul, de Chicago. Cet article fait partie d'une série sur les musulmans afro-américains écrite pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews), accessible sur www.commongroundnews.org