Turquie: Bruxelles veut la peau de la laïcité

Source: 
Riposte Laique
"Février 2008, le Parti de la Justice et du Développement (AKP), au pouvoir en Turquie, permet aux femmes de porter le voile à l'Université, ce qu'interdisait jusque-là la Constitution, laïque, du pays."
"Mars 2008, le procureur de la cour de cassation turque saisit la cour constitutionnelle, accusant l'AKP "d'activités contraires à la laïcité" et de vouloir utiliser la démocratie pour instaurer la charia en Turquie. Il demande, ipso facto, l'interdiction du parti au pouvoir.
Samedi 29 mars : la Commission européenne met en garde les juges turcs : s'ils donnaient suite à la demande d'interdiction, ils pourraient remettre en cause le processus d'adhésion de la Turquie à l'U.E.(1)

Lundi 31 mars 2008 : les juges de la Cour constitutionnelle décident que la plainte est recevable et lancent la procédure, qui durera plusieurs mois, ce qui va rendre l'exécutif prudent et peut-être instable.

Edito du premier avril du Monde(2) : La Turquie n'en a décidément pas fini avec ses vieux démons. Suit un article qui n'honore pas son auteur, qui considère que l'interdiction d'un parti "qui a remporté haut la main les élections législatives en 2007 constituerait un véritable coup d'Etat juridique". Il ajoute que "la défense de la laïcité" serait "louable à condition qu'elle ne masque pas un "laïcisme" qui ne serait qu'une forme de baasisme à la turque". Enfin, la véritable raison des craintes du quotidien est dévoilée un peu plus loin, il ne faut surtout pas mettre en danger le parti au pouvoir, qui respecte si bien les diktats occidentaux qu'il "a fait preuve à la fois de libéralisme économique et de pragmatisme politique" et "s'est bien gardé de remettre en cause les alliances stratégiques avec les Etats-Unis et Israël, ce qui témoigne de sa maturité."

La Commission Européenne, quant à elle, considère que permettre à la justice de dissoudre un parti qui ne respecte pas la constitution est antidémocratique et elle pèse de tout son poids pour emporter l'adhésion des juges. Joli paradoxe ! Ainsi un parti qui remet en cause l'égalité hommes-femmes en permettant la discrimination féminine est-il encouragé par Bruxelles, qui se permet, cerise sur le gâteau, de s'immiscer dans les affaires intérieures et d'insister pour le maintien au pouvoir du parti islamique...Seules les affaires comptent, et les affaires, c'est la construction de l'Europe libérale, avec ou pas les islamistes, et qu'ils soient modérés ou fondamentalistes ne leur pose aucun problème !

On savait depuis longtemps, et cela a été confirmé par le Traité de Lisbonne, que Bruxelles craint les laïques et fait le maximum pour remettre en selle les religions, seules capables d'imposer aux Européens le respect de l'autorité imposée et l'absence de démocratie ; voici une preuve de plus dont on se serait bien passé !

Quelques fâcheux viendront nous seriner qu'en France aussi le voile est accepté à l'Université et qu'on n'en fait pas un fromage...sauf que la Turquie est un pays majoritairement musulman et que le poids des traditions va obliger de nombreuses jeunes Turques à porter un voile qu'elles exècrent puisque plus rien ne viendra les en empêcher...sauf que ni "Le Monde", ni Bruxelles ne prennent en compte les projets, avoués, de l'AKP, de proposer une nouvelle Constitution, qui remettrait sérieusement en question l'équilibre politique actuel ; dans cette perspective, l'affaire du voile à l'Université, associée au durcissement des règles sur la consommation d'alcool, n'aurait été qu'un ballon d'essai...sauf que, si le politique (et/ou le juridique) ne met pas le holà, le religieux va, peu à peu, envahir tout l'espace public : l'acte d'accusation, qui fait 162 pages précise que l'APK, avec cette nouvelle constitution, puise ses principes dans la charia(3) Š sauf que, en France, de nombreux laïques s'inquiètent de la prolifération du voile dans les facultés et qu'une pétition demandant à étendre à l'Université l'interdiction des signes ostensibles circule(4)...

Au fond, quel est le problème ? Il y a une Constitution, en Turquie, qui affirme que la laïcité est un des fondements du pays. Le parti au pouvoir, élu légitimement, fait voter par les représentants du peuple une modification de cette constitution qui remet en cause le susdit principe. Ça ne vous rappelle rien ? Ainsi, les technocrates bruxellois, relayés par les libéraux bon teint ont-ils, eux aussi, considéré que le traité de Lisbonne devait être entériné par les "représentants du peuple". Ce qui n'empêche pas la majorité du peuple d'en contester la légitimité. On n'élit pas des députés pour qu'ils s'octroient le droit de modifier dans un sens réactionnaire le texte référence de la constitution d'un pays ; celle-ci devrait, automatiquement, être soumise à referendum. Et le paradoxe est que Bruxelles, comme Le Monde, critique le procureur turc au nom de la démocratie. Or, ce qui est valable en France l'est aussi en Turquie. Depuis quand les élections priment-elles sur les institutions ? Si, en 2002, par la volonté populaire, le FN avait été gagnant à la présidentielle et aux législatives, cela lui aurait-il donné la légitimité de modifier la constitution pour qu'elle aille dans son sens, par exemple pour supprimer le pluralisme politique ? Depuis quand un parti, sous prétexte que ses représentants ont été légitimement élus, a-t-il tous les droits et peut-il imposer sa vision du monde ? On peut modifier une constitution, si cela représente une avancée dans la marche des peuples vers les lumières et la démocratie ; si c'est pour un retour vers l'obscurantisme, et l'islamisation en est un, c'est grave. Or, autoriser le port du voile à l'Université, c'est bien le premier pas vers une islamisation du pays. Que Bruxelles l'encourage en dit long sur ce qui nous attend si nous nous laissons faire et si l'adhésion de la Turquie à l'U.E. se réalise...

Bruxelles-Le Monde, même combat ; Bush-l'U.E., même combat ; l'OMC-les médias français, même combat : le libéralisme allié aux atteintes contre la laïcité.

Par: Christine Tasin

8 avril 2008

http://christinetasin.over-blog.fr

Notes:

(1) http://actualite.aol.fr/monde/l-ue-avertit-la-justice-turque-des-effets-a-long-terme-de-sa-decision-sur-l-akp/2352178/p-article_cat/article_titre/article_id/article.

(2) http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/04/01/demons-turcs_1029606_3232.html

(3) http://www.lepoint.fr/actualites-monde/dissoudre-l-akp-irait-contre-la-volonte-nationale-dit-erdogan/924/0/229623

(4) http://www.halteauvoile.fr/