Dossier 11-12-13: Les femmes dans les lois de statut personnel: un symbole privilégié de l’identité islamique

Publication Author: 
M.A. Hélie-Lucas
Date: 
juin 1996
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number of pages: 
262
Une perception a-historique du fondamentalisme ne ferait que réduire nos possibilités de l’affronter politiquement sous ses différentes formes et affaiblir nos propres forces.

Il n’y a pas un seul et unique monstre fondamentaliste, mais plutôt des fondamentalismes. Cependant, ce qu’ils ont effectivement en commun est au centre des politiques d’identité et affecte directement les femmes.

Identité menacée et trahison

Le discours des fondamentalistes est consensuel sur deux points qui sont étroitement liés : la quête de l’identité et la question des femmes.

Leur discours présente des similitudes frappantes dans des contextes politiques et historiques totalement différents : qu’il s’agisse d’une communauté musulmane majoritaire ou minoritaire, d’un Etat se proclamant socialiste ou capitaliste, d’une démocratie ou d’un royaume, d’un pays islamisé de longue ou de fraiche date, d’un pays marqué d’un long passé colonial ou d’un pays indépendant [2], -quel que soit le cas de figure, les fondamentalistes décrètent l’Islam en danger. L’Islam, en tant qu’identité religieuse et culturelle à la fois, est donc -toujours- en danger, que la menace vienne du colonialisme, de l’impérialisme, du socialisme, des idéologies étrangères ou d’autres religions dominantes.

Quand l’identité d’un groupe est menacée, quiconque ne consacre pas inconditionnellement son énergie à la survie, la défense et la résistance de cette identité, qui conteste quelque aspect que ce soit de la culture du groupe, est dénoncé comme traitre. Par conséquent, et bien que la menace soit généralement décrite comme extérieure (: l’Occident, l’impérialisme, d’autres groupes religieux, etc.)[3], ce sont toujours les élites nationales, -accusées d’aliénation, de perte d’identité et de jouer le rôle de Cheval de Troie-, qui seront désignées comme les pires ennemis.

Incapables de définir leur identité en termes positifs et de promouvoir une politique ou une économie qui soit spécifiquement islamique[4], les fondamentalistes n’ont identifié qu’un seul domaine porteur de l’essence de l’identité islamique : la sphère privée. Leurs efforts se sont donc concentrés sur la famille et les lois qui la régissent (codes de statut personnel ou codes de la famille), quintessence de la politique et de l’identité islamistes, en laquelle doit s’insérer, se fondre et trouver refuge toute autre identité. Quiconque conteste ce refuge, menace du même coup l’essence même de l’identité ; on peut aisément imaginer qu’un châtiment sévère devrait donc s’abattre sur le traître, la traîtresse.

La “menace extérieure” sur l’identité est perçue et décrite comme monolithique, dépourvue de contradictions internes, et donc d’alliés potentiels dans la place [5].

A ce monolithe, on oppose un autre monolithe.

Nos propres contradictions internes seront donc mises en veilleuse et leur résolution remise à un moment, utopique, où l’identité ne sera plus menacée : après la lutte de libération, après la reconstruction de la nation, après la guerre, après la remise en route de notre économie etc…[6]

La priorité est donc donnée, encore et encore, à d’autres problèmes, et exclut à la fois les exigences du peuple et les revendications des femmes pour un meilleur statut dans leur société.

En outre, le fait de soulever quelque problème que ce soit, hormis celui de la défense de l’identité menacée, est une manœuvre dilatoire, donc une trahison délibérée -de la nation ou de la communauté, de la culture, de la religion, etc…

Ainsi, l’identité est-elle défensive et refermée sur elle-même. Les concepts utilisés pour décrire cette identité recluse[7] se réfèrent explicitement à un mouvement en arrière : “retour aux sources”, “retour aux racines”, “retour aux valeurs authentiques”, “retour aux valeurs islamiques”, “retour aux traditions”, etc. Religion et traditions sont perçues comme a-historiques, figées et immobiles dans le passé. Cette quête d’une identité musulmane transculturelle et trans-historique nie totalement la diversité des traditions et des cultures au sein desquelles l’Islam s’est propagé, et leur histoire vivante.

Elle refuse toute ré-interprétation de l’Islam et ne prend pas en compte, par exemple, le fait que l’Islam se soit propagé et continue de se propager à travers tous les continents, y compris “l’Occident développé”[8].

Question de définition : Islam et musulmans

Les fondamentalistes parlent au nom de l’Islam, et malheureusement, on tend à confondre Islam et musulmans.

L’adjectif musulman devrait être utilisé pour qualifier les réalités du monde tel qu’il est -populations, lois et coutumes, pays, Etats, musulmans- sans préjuger du fait que ce que font les musulmans n’est pas nécessairement islamique. Le terme Islam doit être réservé à la religion en soi, aux réflexions et aux interprétations théologiques du Coran. En d’autres termes, nous ne pensons pas qu’il existe des états islamiques, il n’y a que des états musulmans.

Les musulmans discutent souvent de ce qu’est ou devrait être l’Islam. Abandonnant toute spéculation sur la nature du véritable et authentique Islam, nous croyons plus fécond le terme de musulman qui permet de décrire ce que font, dans la réalité des faits, ceux qui disent croire en l’Islam, vivre et construire des nations selon les règles édictées par leur Dieu.

En d’autres termes, l’Islam tel qu’il devrait être, les musulmans tels qu’ils sont…

Les femmes, piliers et points faibles de la construction de l’identité

En dépit de leur diversité, et bien qu’ils représentent un large éventail d’intérêts et de classes et qu’ils répondent à des besoins psychologiques et politiques différents suivant les circonstances, les fondamentalistes tiennent un discours étonnament commun en ce qui concerne l’identité : - l’identité est menacée,- l’identité est concue comme un retour à des sources mythiques,- l’identité est restreinte à la sphère privée. Et bien que la menace qui pèse sur elle soit extérieure, monolithique et l’incarnation du Mal, ce sont les élites éduquées et les femmes qui constituent les points faibles du système de défense intérieure, et donc les alliés potentiels de l’ennemi de l’extérieur. Ceci justifie à son tour le repli de l’identité sur elle-même, telle une forteresse, et l’enfermement des femmes à l’intérieur de cette forteresse.

Les conséquences pratiques de cette position idéologique façonnent la vie des femmes ainsi que leurs réactions face aux fondamentalistes:

sur le plan politique, elles craignent d’être accusées de trahison, car contester un aspect quelconque de l’identité équivaut à trahir l’ensemble;

sur le plan culturel, les traditions sont définies comme étant immuables;

sur le plan religieux, la fin de l’interprétation du Coran confine les femmes dans un modèle de société, des modes de vie, un code vestimentaire et de conduite qui sont aussi proches que possible du modèle historique né au Moyen-Orient il y a quatorze siècles;

et finalement, sur le plan juridique, l’accent est mis sur les Codes de la Famille (lois de statut personnel) en tant que moyen préférentiel de défense de l’identité.

Non contents de tenir un discours identique sur l’identité et sur les femmes, les fondamentalistes ont également réussi à atteindre, à court terme, les mêmes objectifs : les pressions qu’ils ont exercé sur les gouvernements pour adapter les lois sur le statut personnel à leur propre définition de l’identité islamique ont été couronnés de succès. Ces lois affectent directement les femmes : elles régissent les questions de mariage, divorce, héritage, garde des enfants, polygynie etc. Elles déterminent donc ce que doit être le comportement de “la femme musulmane” et astreignent celle-ci au rôle de gardienne de l’identité menacée.

C’est un honneur que d’être la gardienne ; dans le discours fondamentaliste, les femmes sont honorées aussi longtemps qu’elles préservent la culture et la religion comme on leur dit de le faire ; productrices et reproductrices de bons musulmans, elles se doivent donc d’être des modèles pour leurs fils, guerriers de l’Islam.

Les recherches récentes sur les femmes en Allemagne nazie[9] fournissent d’intéressants éléments de comparaison avec les femmes qui vivent sous le fondamentalisme musulman, y compris celles qui s’engagent dans des groupes fondamentalistes. Dans les deux cas l’idéal de la Mère Gardienne de la Famille, est associé à l’idée de produire et reproduire un groupe racial ou religieux qui représente l’excellence, dans un contexte de crise économique et de visées expansionnistes sur d’autres nations. C’est parce que le rôle de gardienne est tellement essentiel dans le cadre de l’identité menacée qu’il est également considéré comme le maillon le plus fragile, le plus vulnérable, et qu’il doit être protégé des influences extérieures.

La gardienne, traître potentielle, doit être étroitement surveillée. Il faut donc des lois qui assignent clairement à la sphère privée la tâche de protéger l’identité menacée, qui astreignent les femmes à leur rôle de gardiennes, qui les détournent de toute possibilité de montrer le profil sombre de leur nature de Janus, et qui les empêchent de trahir et de détruire la communauté -nationale, religieuse, communautaire…

Femmes sous lois musulmanes

Environ 450 millions de femmes vivent dans des communautés ou des pays musulmans à travers les cinq continents.

La majorité d’entre elles vivent sous “lois musulmanes”, c’est-à-dire sous des lois de statut personnel musulman (Codes de la Famille) : bien que ces lois -toutes qualifiées d’”islamiques”, donc transcription unique et intouchable de la parole de Dieu- aient des aspects communs, elles présentent aussi, d’un pays à l’autre, des différences significatives.

Et ceci, pour deux raisons : l’intégration des traditions locales et l’utilisation politique de la religion.

L’Islam est une religion en constante expansion -probablement la seule de nos jours ; au passage, il assimile les modes de vie et les coutumes des différentes cultures dans lesquelles il s’implante ; les lois musulmanes, telles qu’elles existent actuellement dans le monde, découlent, pour l’essentiel, d’une imbrication étroite d’interprétations du Coran avec les traditions locales.

Il est impératif de prendre pleinement conscience du fait que, bien que celles-çi ne soient pas “islamiques”, c’est au nom de l’Islam que les femmes sont soumises à certaines traditions : l’appartenance à telle ou telle communauté musulmane implique l’acceptation de toutes et chacune des traditions religieuses et culturelles de cette société ; -par exemple, la tradition sémitique du voile et/ou de la réclusion des femmes au Moyen Orient et en Afrique du Nord, la mutilation sexuelle des femmes en Egypte, au Soudan et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, ou encore la tradition hindoue des castes et de la dot en Inde et au Sri Lanka, sont toutes spécifiques aux régions où elles sont en vigueur[10]. Néanmoins, les populations musulmanes et certainement les femmes sont amenées à croire que ces traditions socio culturelles locales font partie intégrante de l’identité musulmane et -en dernière analyse- sont islamiques.

Par ailleur chaque Etat musulman interprète l’Islam de façon à servir sa politique, y compris sur des questions idéologiques fondamentales.

Par exemple les Etats musulmans n’ont pas de politique commune -donc inspirée par l’Islam- en matière de contraception et d’avortement : en effet, l’un et l’autre sont légales en Tunisie, en Inde et au Bangla Desh, les femmes y sont fortement incitées, de même qu’à accepter la stérilisation masculine et féminine ; par contre, si la contraception est autorisée au Pakistan, l’avortement ne l’est pas. Quant à l’Algérie, elle a interdit l’une et l’autre de ces pratiques pendant longtemps (de 1962 à 1974), ignorant délibérement la fatwa prononcée par le Haut Conseil Islamique d’Alger en 1963, un an après l’indépendance, qui autorisait la contraception ; celle çi ne l’a finalement été autorisée que lorsque notre taux de croissance démographique, atteignant allègrement 3,5%, devint une menace pour la richesse et les privilèges des bureaucrates ex-socialistes, entre temps constitués en une bourgeoisie classique détentrice des moyens de production [11].

Tous ces pays affirment à l’envie que leur politique démographique a été déterminée par l’Islam. Dans chaque pays, les peuples, et en tout état de cause les femmes, sont induits à croire que les règles imposées au niveau local ou national reflètent l’esprit de l’Islam et que la législation des états musulmans appliquent les commandements de Dieu. En outre, le discours officiel, implicitement ou explicitement, déclare ces lois islamiques.

Le simple fait de confronter entre elles les expériences des femmes venant de différents contextes musulmans est en soi une expérience enrichissante qui remet en cause le mythe d’un monde musulman unique et homogène et l’existence d’une loi musulmane qui serait authentiquement islamique[12].

Tout au contraire, cette comparaison montre, à l’évidence, que les lois musulmanes sont ancrées dans l’histoire et la culture, hic et nunc, et qu’elles sont utilisées à des fins politiques.

Les fondamentalistes et l’Etat

En juillet 1984, le premier Comité d’action de Femmes sous lois musulmanes se définissait comme regroupant “des femmes dont les vies sont déterminées, conditionnées et régies par des lois, écrites et non-écrites, tirées d’interprétations du Coran intimement liées à des traditions locales”. Le Comité d’action affirmait ultérieurement qu’”en règle générale, les hommes et l’Etat utilisent ces lois contre les femmes, et qu’il en a été ainsi sous divers régimes politiques”[13].

Au cours des deux dernières décennies et plus particulièrement au cours de la dernière, les Codes de la Famille (lois de statut personnel) musulmans ont été au centre des identités musulmanes : de nouvelles lois ont été promulguées, renforcées ou modifiées de façon très défavorable aux femmes.

Ceci démontre, d’une part, le pouvoir des fondamentalistes et, d’autre part, la collusion des Etats avec les mouvements fondamentalistes [14].

Que les fondamentalistes soient au pouvoir, qu’ils constituent le principal parti d’opposition, ou qu’ils soient naissants, -et quelles que soient par ailleurs les prises de positions de nos gouvernants[15] par rapport à ces mouvements politiques, l’Etat accepte généralement de faire de la sphère privée une chasse gardée islamiste, en adoptant, pour la famille, des lois dictées par les fondamentalistes[16].

Est-ce parce que la “question de la femme” est si sensible, comme nos gouvernants le prétendent, que leur autorité et leur position pourraient être remises en cause sur cette question? Ou est-ce plutôt parce que la subordination des femmes est jetée en pâture à la foule, comme l’on jette aux pauvres des miettes, tandis que les affaires politiques sérieuses restent entre leurs mains? Sommes-nous, la “monnaie d’échange” dont ils se servent pour rester au pouvoir?

Se pourrait-il également que le contrôle exercé sur les femmes ne soit qu’une étape dans le processus de brutalisation de la société, qui permet aux gouvernements de contrôler les peuples? Même quand, sur d’autres points, les Etats opposent une résistance à la montée des fondamentalismes, sur les questions relatives à la famille et la subordination des femmes, ils endossent généralement, à quelques rares exceptions près, les positions identitaires des fondamentalistes, et dictent ou modifient les lois pour répondre à leurs exigences. Au cours de la dernière décennie, on a vu une collusion croissante entre les Etats et les fondamentalistes sur ces questions. Ceci est vrai même dans les pays où les fondamentalistes sont par ailleurs combattus, bannis, emprisonnés, pour leur opposition à l’Etat.

Par exemple, en 1984, 22 ans après l’indépendance, le premier Code de la Famille a été promulgué en Algérie. Ce Code prive les Algériennes du droit de se marier (elles doivent être données en mariage par un wali, c’est-à-dire un tuteur matrimonial) ; de divorcer (sauf dans des cas très spécifiques, seul le mari peut initier le divorce) ; d’être les tutrices de leurs enfants (elles peuvent en avoir la garde temporaire jusqu’à l’âge de 6 ans pour un garçon, 10 ans pour une fille ; ils seront alors rendus à leur tuteur)[17] ; les femmes reçoivent une part inégale de l’héritage ; la polygynie est autorisée et les hommes ont également le droit de répudier leurs femmes, etc.

La même année, en 1984, les Egyptiennes ont perdu le droit de conserver le domicile conjugal avec leurs enfants après un divorce, droit qu’elles avaient conquis après une décennie de luttes.

En 1985, le Gouvernement Indien a promulgué un “décret relatif à la protection du droit au divorce des femmes musulmanes - Muslim Women Protection of the Right to Divorce Bill” qui prive les Indiennes de la communauté musulmane du droit à une pension alimentaire après le divorce. Cette “protection du droit” fait manifestement référence à leur droit à être musulmanes -qui les dépouille de moyen de subsistance- plutôt qu’à leurs droits de femmes et citoyennes indiennes, qui inclue le droit à la pension alimentaire.

En 1986, le Sri Lanka a nommé une Commission chargée de la réforme des lois de statut personnel, réformes initialement défavorables aux femmes que celles-çi durent combattre.

En 1987 et 1989, le gouvernement laïque et socialiste de l’Ile Maurice, poussé par le principal parti d’opposition musulman, a accepté de considérer leur projet de réintroduire la Sharia pour la communauté musulmane. Il priverait les femmes nées dans la communauté musulmane de droits dont jouissent toutes les autres mauriciennes. Par exemple : droit de divorcer, droit égal à l’héritage etc…

En 1990, le gouvernement algérien a passé un décret* stipulant que tout homme pouvait voter par délégation pour trois femmes de sa famille.

Le 15 mars 1990, le Conseil révolutionnaire laïque irakien -Revolutionary Command Council- passait un décret* stipulant qu’il était désormais licite que tout homme fasse office de juge et de bourreau et mette à mort pour cause d’adultère une liste bien définie de femmes de sa famille.

D’autres pays africains ont vécu des avancées fondamentalistes du même ordre.

La Sharia est maintenant promulguée dans plusieurs pays (Soudan, Pakistan) ; cette loi prenant le pas sur les lois de statut personnel, la liberté des femmes, si l’on considère les interprétations actuelles de la Sharia, en sera encore restreinte.

Il n’est pas jusqu’aux pays d’immigration, par exemple la GrandeBretagne, la France mais aussi les Caraïbes, où des musulmans ne réclament l’introduction de lois de statut personnel spécifiques. En ce qui concerne la France, ce changement entrainerait une réforme constitutionnelle majeure qui transformerait l’Etat laïque en un Etat multi-religieux.

Il est intéressant de noter que le premier droit revendiqué pour symboliser l’identité musulmane est le droit à la polygynie, comme on pouvait le lire dans le “Courrier des lecteurs” du Monde, lors de la controverse de 1988.

Des groupes de féministes des communautés musulmanes du Sri Lanka, de Malaisie et d’Inde témoignent du fait que l’accés légal à la polygynie est une cause majeure de conversion à l’Islam dans leurs pays.

Ceci ne semble s’appliquer ni aux pays africains où l’Islam connaît une expansion rapide depuis les 20 dernières années, mais où la tradition polygame est antérieure à l’Islam, ni aux convertis d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord où les lois des Etats imposent la monogamie.

Construction et imposition d’une identité musulmane transnationale

Si l’on examine ces réformes juridiques à la seule lumière de la politique intérieure des pays concernés, on peut être tenté de comprendre ce qui amène les gouvernements à transiger avec les groupes fondamentalistes en plein essor. Ce serait omettre la dimension internationale de ce phénomène.

Car non seulement les différentes tentatives pour promouvoir des versions plus “islamiques” des lois musulmanes sont concommittantes, mais encore leurs interconnections deviennent de plus en plus évidentes : ainsi, après l’affaire Sha Bano en Inde, le gouvernement du Sri Lanka a nommé un érudit indien comme conseiller dans la Commission de réforme des lois musulmanes ; plus récemment, à l’Ile Maurice, le principal parti d’opposition, le Parti Musulman, a proposé que la loi de statut personnel musulman en Inde serve de modèle à celle de l’Ile Maurice et a fait venir un conseiller indien.

Dans d’autres cas, apparaissent des conseillers saoudiens, pakistanais ou iraniens. Il est important de prendre pleinement conscience de l’ampleur des efforts des fondamentalistes pour mettre en vigueur leur vision de la société islamique à travers l’adoption de lois musulmanes sur le statut personnel.

C’est le même esprit internationaliste qui préside à l’entraînement militaire des jeunes et à la formation de groupes fondamentalistes, avec les privilèges qui s’y rattachent[18].

Ces efforts impliquent une vaste circulation de fonds ; une recherche sur les origines et les circuits de ces fonds pourrait permettre d’identifier les connections entre le capital musulman privé, l’implication des Etats dans l’éclosion du mouvement fondamentaliste au niveau mondial, et les groupes fondamentalistes opérant au plan local, national et régional [19].

L’intériorisation par les femmes des politiques identitaires

Les réactions des femmes à cet état de choses montrent l’impact qu’ont les idéologies fondamentalistes non seulement sur les gouvernements et leurs décisions juridiques affectant les femmes, mais aussi sur le mouvement des femmes lui-même.

Les organisations de femmes sont variées : de celles qui participent au mouvement fondamentaliste, à celles qui œuvrent pour des réformes dans le cadre de l’Islam, et à celles qui combattent pour la séparation du religieux et du politique et pour des lois laïques. En dépit de cette grande diversité de stratégies et de tendances, toutes ont interiorisé certains des concepts développés et utilisés par les fondamentalistes.

Elles ont notamment interiorisé la notion d’un ennemi exterieur monolithique, ainsi que la crainte de trahir leur identité -définie comme identité de groupe plutôt que comme identité de femme au sein du groupe.

Dans une large mesure, elles acceptent aussi que la tradition soit définie, non comme une histoire vivante qui imprègne le présent et l’avenir, mais comme une entité morte qu’il faut ranimer et préserver sous une forme ancienne -imaginaire-. Et enfin, elles ne mettent pas en question le rôle central qui leur a été assigné dans les politiques identitaires.

Tout comme ceux qui ont longtemps vécu dans l’absence de démocratie ont du mal à réinventer les pratiques démocratiques (même s’ils se sont battus pour en arriver là), les femmes ont aujourd’hui du mal à imaginer librement et à forger les outils de la raison pour se démarquer des constructions idéologiques du discours fondamentaliste identitaire sur les femmes.

Il ne faut pas sous-estimer l’impact de ce discours sur leur esprit. On en voit clairement les conséquences quand on assiste à leurs efforts pour mettre en cause, non seulement les pratiques fondamentalistes discriminatoires envers les femmes, mais aussi les prémisses qui les sous-tendent.

Le fait que les femmes intériorisent la philosophie, les concepts et les hypothèses erronées des fondamentalistes a de nombreuses répercussions sur leurs stratégies.

Intérioriser l’idée que l’Islam est en danger -donc que la communauté est en danger- implique que dans leur pratique, les femmes se plient à la théorie des priorités. Il devient donc facile de les manipuler politiquement : puisque l’unité du groupe est indispensable pour faire face à la menace, - toutes les guerres, les tensions inter communautaires ou tout événement politique approprié seront utilisés pour forcer les femmes à se fondre et se confondre dans l’unité nationale et à remettre à plus tard leurs revendications.

Nous pourrions en citer bien des exemples, en particulier l’affaire Sheenaz Cheikh que nous connaissons toutes[20]. Quant au cas de l’Algérie, il a fait date dans la mesure où, après l’indépendance, les femmes ont disparu de la scène politique et ont été forcées de renoncer à leurs demandes jusqu’à ces dernières années. Pendant des décennies, elles ont été totalement bernées[21]. Même récemment, en Palestine, où les femmes tentent de mettre sur pied un mouvement autonome, la lutte de libération est naturellement prioritaire, et les luttes des femmes ne viendront encore qu’en second.

Dans les contextes musulmans, les femmes qui tentent de défendre leurs droits sont généralement accusées d’être occidentalisées. Comme la gauche avant elles, on les accuse d’importer une idéologie étrangère quand elles demandent plus de justice sociale. Mais alors que la gauche réagissait en s’appuyant sur les valeurs universelles, les femmes, pour leur part, acceptent les prémisses fondamentalistes selon lesquelles, en ce qui concerne la sphère privée, l’universalisme sert de couverture à l’impérialisme occidental. Sur la question des femmes, il n’est donc pas question de défendre les valeurs universelles de justice sociale. C’est pourquoi, au lieu d’en venir directement au fait, les femmes essaient d’abord de démontrer qu’elles sont véritablement et authentiquement enracinées dans leur propre culture, qu’elles ne sont pas aliénées par des idéologies non-indigènes, qu’elles ne font pas cause commune avec les ennemis de l’extérieur.

Tentant en vain de se légitimer et de légitimer leurs luttes selon les critères fixés pour elles par les fondamentalistes, les femmes consacrent beaucoup de leur énergie et de leur temps précieux à se démarquer, en tant que “féministes du Tiers Monde”, des “féministes occidentales” -comme si l’une et l’autre de ces catégories n’étaient que des agrégats homogènes d’individus indifférenciés et interchangeables, sans différences idéologiques, sans intérêts de classes et sans conflits. Dans une certaine mesure, on pourrait même dire que, de ce fait, les femmes acceptent la notion de la supériorité des musulmans sur les autres groupes, une xénophobie que les théologiens libéraux dénoncent comme contraire à l’esprit de tolérance de l’Islam, mais qui, aujourd’hui, fait partie intégrante des pratiques des gouvernements musulmans[22] et des fondamentalistes.

Il faut parfois beaucoup de temps pour que des individus osent transgresser le “complexe de trahison”, et se permettent d’identifier leurs alliés, aussi bien au sein de leur communauté qu’à l’extérieur. C’est seulement après avoir fait l’expérience encore et encore que le moment adéquat pour défendre les droits des femmes n’est jamais atteint, mais toujours remis à plus tard, que les femmes osent enfin faire une percée hors de la forteresse de l’identité communautaire, nationale et religieuse. (Les raisons invoquées sont malheureusement parfois très convaincantes, comme c’est le cas, par exemple, de la Palestine sous la botte d’Israël, ou, pour d’autres raisons, du Pakistan sous Benazir[23] ou encore lors de la Guerre du Golfe).

Réactions et stratégies des femmes

Le réseau WLUML propose une sorte d’étape intermédiaire qui permet aux femmes dans des contextes musulmans l’opportunité de s’exprimer librement au sein d’un espace protégé, sans interférence extérieure. Le réseau a entrepris un travail de recherche comparative trans-culturelle entre les différentes formes de lois et de modes de vie, dits musulmans, qui affectent les femmes, et donné un aperçu de leur imbrication avec les cultures locales -ce qui permet donc aux femmes de faire des distinctions essentielles, dans leur propre environnement, entre ce qui est spécifiquement religieux, ce qui découle de la tradition, et ce qui relève de l’utilisation politique, de la religion et des traditions[24].

Des groupes se consacrent à la recherche de leurs antécédents féministes dans les communautés et les pays musulmans, non seulement dans le but de retrouver leur propre histoire en tant que femmes, mais aussi dans le vain espoir de mettre un terme aux accusations d’occidentalisation de la droite, et d’établir leur légitimité ; en exhumant des traditions pour montrer que, replacées dans leur contexte historique, celles-ci n’étaient pas nécessairement défavorables aux femmes[25], on se place encore dans une perspective, où les traditions sont définies comme relevant du passé et s’opposent à la “modernité”, alors que la modernité n’est que l’état actuel, l’évolution normale de la tradition et de la culture qui découlent du passé pour s’adapter au contexte présent.

Il est toutefois important de souligner que les traditions qui étaient favorables aux femmes sont actuellement éradiquées[26]. Cependant, nos législateurs introduisent de nouvelles “traditions” directement empruntées à la colonisation sans jamais être accusés pour cela de trahison et de collusion avec l’Occident, pas même par les groupes de femmes.

Dans ce contexte général, on peut identifier trois stratégies principales dans le mouvement des femmes des communautés et pays musulmans:

1) L’adhésion des femmes aux groupes fondamentalistes, stratégie qui peut être considérée comme une forme d’entrisme. D’une part, on évite ainsi de remettre en cause l’identité musulmane et on se libère de la crainte de trahir ; d’autre part, parce qu’ils ont à la fois la volonté et les fonds pour le faire, les groupes fondamentalistes offrent différents avantages et gratifications à leurs membres, tels que des bourses d’études, des soins médicaux gratuits, des prêts sans intérêts, etc… Les adhérentes bénéficient également de la reconnaissance sociale et parentale, de droits et d’encouragements à l’étude (bien qu’elles ne puissent pas choisir librement leur discipline, certains domaines du savoir étant interdits aux femmes), et des possibilités de choisir un mari au sein du groupe au lieu de faire un mariage arrangé, etc…[27] Les fondamentalistes sont les premiers à prendre en compte et à utiliser les femmes et leurs besoins, à essayer de les toucher et à les reconnaître comme une force politique qu’ils peuvent manœuvrer et essayer de gagner à leur cause. Un nombre croissant de femmes adhèrent aux groupes fondamentalistes à travers le monde. Nous ne pouvons pas nous contenter de minimiser ce phénomène social et politique majeur en stigmatisant leur aliénation idéologique. Nous ne pouvons pas non plus nous contenter de dire qu’on leur propose des avantages matériels qu’aucun autre groupe ne leur a jamais offerts. Nous pensons qu’une raison déterminante de leur choix est l’absence d’alternative -au niveau religieux, donc identitaire- jusqu’à récemment [28].

Cette alternative, présentée ci-dessous, pourrait répondre aux exigences philosophiques de celles qui ne peuvent pas travailler hors du cadre religieux, actuellement confisqué par les fondamentalistes.

2) La revendication pour les droits des femmes dans le cadre de l’Islam, au niveau religieux et culturel.

Bien qu’elles ne soient pas encore très visibles, les théologiennes et les historiennes féministes existent au sein du monde musulman. Elles représentent un courant idéologique très important et offrent une réelle alternative à la stratégie précédente.

Les théologiennes en quête d’un Islam “véritable” essaient actuellement de promouvoir une théologie de la libération dans l’Islam en faisant revivre la tradition de réinterprétation du Coran.

Dans l’histoire récente, des théologiens ont payé de leur vie leurs travaux de réinterprétation[29]. Les théologiennes estiment que même les exégètes progressistes du Coran ne se sont pas vraiment placés du point de vue des femmes. Retournant au texte arabe original, elles proposent, dans l’esprit de ce qu’elles pensent être le véritable Islam, leur propre interprétation des versets sur lesquels les fondamentalistes fondent précisement l’oppression des femmes [30]. En outre, elles mettent l’accent sur le contexte historique du texte qui peut mener à des interprétations plus éclairées.

D’autre part, les historiennes tentent de retracer et de faire revivre l’histoire des femmes, pour montrer le rôle historique de certaines femmes dans la transformation des coutumes et des traditions ; elles montrent également que ce rôle n’était pas, alors, perçu comme une menace pour l’identité du groupe ni une coupure d’avec leurs racines culturelles ou religieuses.

Ces théologiennes et ces historiennes ont longtemps œuvré dans l’isolement. Elles ont à présent l’occasion de se rencontrer et d’unir leurs forces, et aussi de toucher leur véritable auditoire, à savoir les militantes des droits des femmes qui recherchent avidement ces connaissances.

Bien que leur approche soit considérée comme une trahison par les fondamentalistes, le fait de rester dans un cadre de pensée religieux permet aux femmes de défier ces accusations et de rester convaincues que leur stratégie les rapproche de la population.

Si toutefois ces théologiennes et ces historiennes gagnaient une grande audience, elles aussi paieraient de leurs vies, tout comme leurs homologues masculins, leur travail religieux et philosophique et le changement social qu’il pourrait amener.

3. Le combat des femmes pour la laïcité et pour des lois adaptées à la conception actuelle des droits humains.

Ce sont elles qui subissent les attaques les plus violentes et qui se retrouvent sans protection parce qu’elles sortent du cadre religieux et culturel.

Elles affirment ne pas avoir repudié leurs identités religieuse, culturelle et nationale, et malgré cela, elles sont exclues.

Non seulement elles sont accusées et rejetées, mais en outre, en tant qu’individue chacune est traitée comme si sa trahison mettait en danger toute sa société et l’ensemble du monde musulman[31].

Elles soutiennent le principe que la religion est une affaire privée qui dépend du choix des individus, et demandent la séparation de la religion et de l’Etat[32]. Elles s’appuient sur des valeurs qui ne sont la propriété ni des Musulmans, ni de l’Occident, et se tournent vers l’internationalisme pour fonder leur légitimité, et développer des stratégies d’échanges d’information, de soutien, et de solidarité au delà des frontières nationales, religieuses et culturelles.

Dans leur optique, l’internationalisme ne transcende ni n’efface l’appartenance à une structure culturo-religieuse dans laquelle elles désirent s’enraciner ; il n’est pas non plus en contradiction avec les formes de nationalisme issues de la conscience de l’impérialisme et du souvenir de l’époque coloniale.

Bien qu’elles ne soient qu’une minorité, elles représentent la seule alternative à la politique identitaire définie par les fondamentalistes, le seul espoir d’accepter, en chaque individu, la coexistence d’identités multiples et non-conflictuelles.

Source: Communication préparée pour la table-ronde du WIDER sur les Politiques identitaires, 8-10 octobre 1990, Helsinki, Finlande.

World Institute for Development Economics Research (WIDER)
Katajanokanlaituri 6B,
00160 Helsinki, Finlande.




[1] On assiste à différentes tentatives pour qualifier globalement le fondamentalisme, en termes politiques, religieux ou culturels, par exemple, de totalitarisme, de revivalisme, de traditionalisme. etc…
Nous pensons que ces généralisations sont à la fois inadéquates et dangereuses.
Voir : Roy, Oliver (1985) “Fundamentalism, traditionalism and Islam”, in Telos no.65, p. 122-127.Voir aussi : Hanafi, Hassan (1987) “The origins of violence in contemporary Islam” Development no.1 special issue on Culture and Ethnicity, p. 56-61 ; et également Bassan Tibi, “Neo-Islamic Fundamentalism”, idem, p. 62-66.

[2] De l’Algérie socialiste à la riche Arabie capitaliste, du Moyen Orient où l’Islam est né à l’Etat pakistanais fondé en 1947 “pour les Musulmans” ou aux pays d’Afrique sub-saharienne récemment convertis, des pays arabes qui comptent près de 100% de musulmans aux minorités indiennes ou du Sri Lanka, etc…

[3] Que ce soit la Guerre du Golfe ou les émeutes Hindous-Musulmans en Inde etc…

[4] Voir par exemple: Hélie-Lucas Marie-Aimée (1989) “Stratégies of women and Women’s movements in the Muslim world vis a vis fundamentalisms : from entryism to internationalism”, in “Women in the Middle East : Perceptions, Realities and Struggles for Liberation”, ed. Haleh Afshar. London: MacMillan, 1993, 250 pp.

Yazbeck Haddad, Yvonne (1984) “The critic of the Islamic Impact” Byron, Haines and Ellison Findlay, N.Y., Syracuse University Press.

Issawi, Charles, cité par Anwar H Syed (1987) “Race and Class” no.3 vol XXVIII, “Revitalising the Muslim Community” :

cf. Issawi : “L’Islam ne privilégie pas de modes d’organisation de la production, mais ses injonctions relatives à la propriété ont des implications sur l’organisation économique. Tout d’abord, il garantit le droit à la propriété des individus, des groupes et de la communauté. Beaucoup de pays africains ont en fait des économies mixtes. Leurs gouvernements contrôlent la banque, les assurances, le transport, les communications, l’exploitation minière et la production industrielle à grande échelle. Ceci est en partie dû à la nationalisation d’entreprises étrangères ou locales. En outre, ces gouvernements régissent le commerce et l’industrie dans le secteur privé. En tenant compte du fait que l’Islam désapprouve les revenus que l’on a pas gagnés, l’exploitation et l’excès dans tous les domaines, il serait également approprié de fixer des plafonds de profit dans les secteurs public et privé”. Syed conclut : “On s’accorde à reconnaître que, depuis 661, aucun gouvernement musulman ne peut être qualifié d’islamique”.

[5] C’est spécialement évident quand il s’agit de l’”Occident” ou de l’”impérialisme”, mais cette analyse simpliste s’applique à tout autre ennemi extérieur.

Sans nier l’impérialisme en soi, il faudrait prendre conscience du fait qu’en présentant les sociétés occidentales comme entièrement homogènes, sans classes et sans castes, sans forces progressistes qui tentent de s’opposer aux politiques de leurs gouvernements, on nous prive de la possibilité d’établir des alliances fructueuses et de renforcer la connaissance, la prise de conscience et les activités les unes des autres. Ceci est extrêmement préjudiciable aux deux parties car nos perspectives s’en trouvent réduites. Dans nos pays, les marxistes il y a trente ans, et les féministes plus récemment, ont renoncé aux alliances positives de crainte d’être accusés de faire cause commune avec l’Occident et d’”importer des idéologies étrangères”. De même, le fait que les média occidentales ait de plus en plus tendance à présenter l’Islam aujourd’hui comme un démon menaçant, (à la place des rouges) va mettre en branle le même mécanisme.

[6] L’Algérie est un très bon exemple de la manière dont les revendications des femmes ont été déclarées non prioritaires durant la lutte de libération et par la suite ; malgré leurs tentatives pour éviter un tel piège, il n’est pas sûr que les Palestiniennes soient en mesure de faire avancer leurs revendications alors que leur peuple subit une telle pression.

cf : Hélie-Lucas, Marie-Aimée (1988) “The role of Women during the Algerian Liberation Struggle and after” in “Women and the Military System” p. 171-190, ed. Eva Isakon, Harvester-Weatsheaf, Londres.

[7] On peut voir dans le voile des femmes un signe de leur identité enfermée et de l’apartheid de toute la société.

[8] Au cours des trente dernières années, l’Islam s’est propagé très rapidement à travers l’Afrique. Le mouvement de “retour à nos traditions” n’a pas mené à un retour à l’animisme, mais au choix de l’Islam -la religion des marchands d’esclaves- contre la Chrétienté -la religion des colonisateurs.

[9] cf Claudia Koonz, (1986), “Mothers in the Fatherland / Women in the Family and Nazi Politics”, St Martin’s Press, New York.

cf Cahiers du Féminisme, novembre 1990 sur les femmes et le nazisme.

[10] cf Dossiers Women Living Under Muslim Laws no. 1 à 6 (1986-1989).

[11] cf M.A. Hélie-Lucas, “La politique de formation en Algérie, comme indicateur d’une situation de classe”, Temps Modernes, no. spécial “Du Maghreb”, Paris, 1974.

cf M.A. Hélie Lucas, “Women in the Algerian Liberation struggle and after” Conférence présentée à l’Institut Transnational à Amsterdam, 1984.

[12] cf Documents Women Living Under Muslim Laws Programme d’échange(1988) et Plan d’Action d’Aramon (1986).

[13] En 1988, le réseau Femmes sous lois musulmanes a organisé un Programme d’échanges qui a permis des séjours-échanges entre des femmes de 18 pays différents ; elles ont été accueillies par des groupes de femmes qui les ont introduites à la diversité de cultures et de pratiques que toutes pensaient être inspirées de la religion. Elles ont ainsi pu analyser, dans leur propre situation, ce qui relève de la religion, ce qui relève de la culture et ce qui relève de l’utilisation politique des deux, ou, comme le disait Salma Sobhan :” cela nous aide à analyser comment tous ces fils ont servi à tisser l’habit particulier que les femmes doivent porter de gré ou de force”.

[14] Le débat sur la question des femmes et la nature de l’Etat est très important chez les féministes des pays musulmans ; Deniz Kandiyoti (Turquie), Haleh Afshar (Iran), Kumari Jawardena (Sri Lanka), Amrita Chhachhi (Inde), Naila Kabeer (Bengla Desh), Ayesha Jalal (Pakistan), Afsaneh Najmabadi (Iran), Margot Badran (Egypte), etc… ont écrit sur la question.

[15] Y compris en Occident : en France comme en Grande-Bretagne, le débat sur le “respect des autres cultures” fait rage depuis quelques années. La gauche traditionnelle, enfermée dans sa culpabilité coloniale blanche, craint tellement d’être taxée de racisme qu’elle a perdu tout sens critique et est prête à couvrir des crimes contre les femmes au nom du respect de la culture, alors que les féministes tentent de s’associer aux revendications des femmes sur le plan local. Un exemple d’alliance très fructueuse de ce type est l’excellente association basée à Londres, “Femmes contre le fondamentalisme” qui se bat contre le fondamentalisme chrétien en Irlande, le fondamentalisme musulman et la racisme en Grande-Bretagne.

La Grande Bretagne a accepté la création d’écoles séparées pour les jeunes musulmanes. Ces écoles ont une programme totalement différent de celui des écoles britanniques pour les jeunes Anglais et des écoles musulmanes pour les jeunes garçons musulmans.

En France, les femmes (françaises et émigrées) qui poursuivent en justice les parents qui pratiquent l’excision sur leurs petites filles sont très violemment attaquées aussi bien par les fondamentalistes de toutes obédiences que par la gauche libérale qui soutient le “droit à la différence”.

[16] le 15 mars 1990, le Conseil révolutionnaire irakien (Iraki Revolutionary Command Council) a déclaré légal qu’un Irakien tue sa mère, ses épouses, ses filles, ses nièces et ses cousines paternelles si celles-ci étaient accusées de zina (fornication et adultère) ; le décret spécifiait qu’il ne pouvait pas “être traduit en justice” pour avoir agi en juge et bourreau des femmes soupçonnées, qui n’avaient donc aucune possibilité de tenter de prouver leur innocence.

Pendant des décennies (jusqu’à la Guerre du Golfe), le gouvernement irakien a été le principal exemple d’un Etat arabe laïque dont les lois et les politiques n’étaient pas fondées sur les interprétations coraniques ; le fait que, pour rédiger ce décret, le gouvernement irakien se soit inspiré d’autres Etats musulmans (et qu’il soit allé plus loin, à la grande horreur des croyants qui ont élevé des protestations) est passé presque inaperçu, sauf des femmes militantes à l’intérieur et en dehors du monde musulman.

[17] … à condition que l’ancien mari soit satisfait de la façon dont elle les élève, autrement, il peut les reprendre, car il est seul à en avoir la tutelle ; les mères ne peuvent se remarier sans perdre leurs enfants ; elles doivent également résider assez près du domicile de leur ex-mari afin que ce dernier puisse exercer son droit de contrôle sur l’éducation des enfants aussi souvent qu’il le désire. En d’autres termes, les mères servent de main-d’œuvre à bon marché pour élever les petits enfants tandis que les pères gardent tous les droits.

[18] La recherche menée par des femmes au cours de la mise en oeuvre de Programme d’échanges Femmes sous lois musulmanes a attiré notre attention sur ce problème. Une des chercheuses qui est entrée en contact avec le groupe fondamentaliste Arkam en Malaisie a pu étudier leur charte : ils sont implantés dans plusieurs pays du monde musulman et dans des pays d’immigration, tels que l’Australie. Ils vivent en autarcie, possèdent des usines et font face à leurs propres besoins. Leur communauté est plus qu’aisée, ils ont des pensionnaires des deux sexes, évidemment séparés, qui étudient dans la communauté.

Les femmes qui adhérent aux groupes fondamentalistes soutiennent généralement qu’elles y gagnent : liberté de mouvement, bourses d’étude, soins médicaux gratuits pour elles et pour leurs familles, prêts sans intérêts, etc…

[19] Il faut à tout prix des investigations sur la provenance et l’utilisation des fonds dont disposent les fondamentalistes. Nous pensons que les sources de financement les plus évidentes ne sont pas les seules et nous avons récemment découvert qu’un financement important vient des U.S.A. ; nous savons aussi que les fonds en provenance d’un pays A vont dans un pays B afin de financer la formation militaire des jeunes d’un pays C. Il est donc très difficile d’en suivre la filière. En ce qui concerne les ventes d’armes, nous souhaitons des investigations qui prennent en compte aussi bien les marchands d’armes que les acheteurs.

[20] cf Women Living Under Muslim Laws Dossier 1 et 2 (1986).

[21] cf Hélie-Lucas, Marie-Aimée (1984) “Bound and Gagged by the Family Code” reproduit dans Women Living Under Muslim Laws Dossier 5/6 (1989).

[22] Si l’on se réfère non pas à l’Islam tel qu’il devrait être, mais aux musulmans tels qu’ils sont, sous l’influence de l’idéologie fondamentaliste.

[23] Sous Benazir Bhutto, les femmes pakistanaises ont reproduit l’expérience des femmes algériennes sous le “socialisme spécifique” : de peur de donner aux fondamentalistes des raisons pour attaquer le gouvernement légal, elles n’ont fait aucune revendication qui aurait pu aggraver la situation, et ont perdu ainsi un temps précieux.

[24] cf les Documents du Programme d’échanges Femmes sous lois musulmanes (1988).

[25] La plupart des théologiens et des interprètes progressistes du Coran introduisent un facteur historique dans leur analyse de l’amélioration apportée par le Prophète Mohamed dans la vie des femmes ; ainsi, ils citent son opposition au meurtre des bébés filles. D’autres font des recherches sur le droit des femmes à mettre un terme à leur mariage et à posséder des biens etc, en se plaçant aussi bien dans la perspective des droits religieux que des droits coutumiers.

[26] Ainsi, dans la tradition arabe et du Moyen-Orient, les femmes gardaient le nom de leurs père toute leur vie et s’appelaient X, fille d’Y (ou encore X, mère de Z). Les bureaucrates nous imposent à présent la tradition occidentale du nom du mari.

Etant donné le nombre de divorces et de répudiations, les femmes devront porter 4 à 5 noms différents au cours de leur vie. Leur sens de l’identité en sera certainement ébranlé. Les bureaucrates ne semblent pas troublés par l’introduction d’une tradition si étrangère à la nôtre.

[27] Les femmes qui adhèrent aux mouvements fondamentalistes soutiennent qu’elles en tirent tous ces avantages ; ceci parait se passer de commentaires. Cependant, il faut admettre que ni la gauche ni les gouvernements n’ont même prétendu pourvoir aux besoins des populations comme les fondamentalistes l’ont fait. Ainsi, en Algérie, vers la fin des années 70, alors qu’il n’y avait ni produits alimentaires sur le marché, ni vêtements à acheter dans les boutiques (à n’importe quel prix), ce sont les Frères Musulmans qui distribuaient la semoule (qui sert de base pour le couscous, plat très populaire) ainsi que “la robe islamique”, à la mosquée, le vendredi. C’est ainsi que le modèle du hijab iranien, inconnu en Algérie, a été introduit dans notre pays. Les Frères Musulmans en Algérie et les groupes fondamentalistes dans beaucoup d’autres pays sont les seuls à avoir aussi bien la volonté que l’argent pour se permettre d’être populistes. Cet argent vient manifestement de différents Etats, ce qui leur permet de générer des revenus et de financer leurs projets : la puissante association Arkam, à qui une militante a rendu visite en Malaisie, a des filiales dans de nombreux pays d’Asie et d’Afrique ainsi que dans des pays non musulmans (tels que l’Australie) ; ils possèdent des usines, produisent pour leurs propres communautés qui vivent en autarcie, disposent de bourses d’étude, d’écoles, d’éducation religieuse etc…

[28] En 1986, le réseau Femmes sous lois musulmanes décida de collecter et de diffuser l’information sur les interprétations progressistes de l’Islam ; ce projet a évolué ensuite vers l’identification d’exégètes féministes du Coran, et la diffusion de leurs travaux. En 1988, un groupe de travail international sur l’interprétation féministe du Coran a été formé et a tenu sa première réunion à Karachi, en Juillet 1990 ; depuis lors, le groupe a tenu d’autres réunions et diffuse ses travaux dans le réseau Femmes sous lois musulmanes.

[29] Les interpètres progressistes du Coran ont souvent payé de leur vie leur volonté de poursuivre l’Ijtihad.

Tahar Haddad a été persécuté en Tunisie ; ces dernières années Ashgar Ali Engineer a échappé aux bombes en Inde et le Soudanais Nour Mahmoud Mohamed Tahir a été tué en 1984 ; ses livres furent brûlés publiquement, son corps enterré dans un endroit tenu secret pour éviter qu’il ne devienne un lieu de pèlerinage ; toute personne en possession d’une copie de ses ouvrages était poursuivie.

[30] cf. différentes publications du réseau Femmes sous lois musulmanes : “Information Kit on marriage contracts and the Delegated Right of Divorce Talaq et Tafwez”, 1989.

“Proceedings of the Meeting on Interpretations of the Koran by Women”, 1991.

“Les femmes dans le Coran - kit d’information préparé pour la réunion du groupe de travail sur les interprétations coraniques par les femmes”, Femmes sous lois musulmanes, Karachi, Juillet 1990.

“Women in the Qur’an - information kit prepared for Women Living Under Muslim Laws, International Meeting on Qur’anic Interpretation by Women, July 1990, Karachi.

[31] L’affaire Rushdie illustre bien l’affirmation des fondamentalistes selon laquelle tout individu peut constituer une menace pour l’ensemble de l’Islam.

[32] Au premier rang du combat pour la laïcité et la séparation de la religion et de l’Etat, il y a les Algériennes, dont les prises de position sont publiées dans le Dossier no. 9/10, Women Living Under Muslim Laws.