Mondiale: "Irshad Manji, le cauchemar des intégristes"

Source: 
Le Monde
Elle se doutait bien, Irshad Manji, que la publication d’un livre pamphlétaire sous forme de lettre ouverte à " (ses) chers musulmans" allait bouleverser sa vie.
Elle pressentait que son langage direct - "J’éprouve un malaise absolu en pensant à toutes les fatwas proclamées par le brain-trust de notre religion, pas vous ?" - et ses appels à "mettre fin aux tentations totalitaires qui rodent dans l’islam dominant" allaient susciter les foudres des conservateurs.
Elle savait aussi qu’on l’accuserait d’incompétence, d’hérésie, de trahison, et que les agressions les plus violentes viendraient de la communauté musulmane, de ceux-là mêmes qu’elle entendait libérer.

En 2003, avant d’écrire son livre, les idées acérées et l’esprit en ébullition, elle s’était adressée à Salman Rushdie: encouragerait-il une jeune femme à exposer délibérément sa vie au chaos? L’écrivain n’avait pas hésité: "Un livre est plus important qu’une vie." Ce fut l’impulsion décisive. The Trouble with Islam Today, publié en français sous le titre Musulmane mais libre (Grasset, 2004), était aussitôt sur les rails. Décapant. Ecrit d’un seul jet. Avec flamme et érudition.

Cela faisait trop longtemps qu’Irshad Manji, Canadienne d’origine indienne, ressentait comme un outrage intolérable le terrorisme et les violations des droits de la personne perpétrées au nom du Coran.

Trop longtemps qu’elle constatait, avec rage, la tyrannie exercée par les régimes islamistes à l’égard des femmes. Elle devait s’en mêler.

Secouer la torpeur de la communauté musulmane, l’obliger à remettre en question certains dogmes et prôner une interprétation critique des textes sacrés.

"Avec notre bruyant apitoiement sur nous-mêmes et nos silences ostentatoires, nous autres, musulmans, conspirons contre nous-mêmes, écrit-elle. Nous sommes en crise et nous entraînons le monde entier avec nous. S’il y a jamais eu moment pour une réforme de l’islam, c’est aujourd’hui !" L’effet fut foudroyant. Les fatwas et menaces de mort affluèrent, un imam de Vancouver qualifia Irshad de criminelle bien plus dangereuse qu’Oussama Ben Laden. Mais le public suivit.

Outre le succès énorme remporté par le livre en Amérique du Nord, puis en Europe, en Israël, au Brésil, en Australie, son propos suscita sur Internet une immense onde de choc. Et des centaines de jeunes correspondants éparpillés dans des pays arabes supplièrent l’auteure de le traduire dans leur langue. "Vous connaissez un seul éditeur qui aurait les tripes de publier ce livre en arabe ? ironisa Irshad. Eh bien, faites-le traduire vous-même et publiez la traduction sur Internet !" L’idée lui parut lumineuse.

En l’espace de quelques semaines, le phénomène fut planétaire. Du courrier arrivait de partout. 150 000 téléchargements en arabe la première année, 300 000 en deux ans. Encouragée, Irshad commanda des traductions de l’ouvrage en persan et en ourdou. En six mois, chacun des textes fut téléchargé plus de 100 000 fois. "C’est dire l’appétit de débats et de réformes chez les jeunes musulmans, insiste-t-elle.

Ils brûlent de percer la chape de plomb sous laquelle on les maintient. "Continuez!", disent-ils."

Elle continue: Ecrit. Voyage. Interpelle. Multiplie les conférences et les tribunes dans la presse internationale, dénonce les attaques dont sont victimes les défenseurs d’un islam ouvert et libéral, anime un site Internet particulièrement interactif: (www.irshadmanji.com), ne refusant aucun sujet de débat: mondialisation, conflit israélo-palestinien, crimes d’honneur, égalité hommes-femmes. Les téléspectateurs américains découvrent, médusés, le visage

18 janvier 2008