Dossier 20: Liaison mortelle: Les Pakistanaises d’Angleterre qui se marient par amour

Publication Author: 
Warren Hoge
Date: 
décembre 1997
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Word Document83.69 Ko
number of pages: 
179
Bradford, Angleterre – Elle a dû déménager 19 fois ces cinq dernières années. Elle ne sort de chez elle, en banlieue, qu’après s’être assurée qu’aucune voiture étrange n’est garée dans la rue et avoir repéré toutes les voies de fuite aux alentours.

Une fois rentrée chez elle, elle pousse de lourds meubles sous la poignée de la porte d’entrée et place un couteau à portée de main.

Née en Grande-Bretagne d’immigrés pakistanais, elle est menacée de mort par ses propres père et frère. Ils ont juré de la trouver et de la tuer parce qu’elle a quitté la maison au lieu de renoncer à ses études à 16 ans et d’accepter un mariage arrangé avec un homme qu’ils avaient choisi dans un village pakistanais.

Elle a 25 ans maintenant et se fait appeler Zena. L’Anglais qu’elle a épousé a 35 ans et porte le pseudonyme de Jack.

Avec le même accent prononcé du Yorkshire, ils racontent leur histoire d’amour, de fuite, cinq ans de fuite et de peur constante pour leur vie.

Des cas pareils se généralisent de manière inquiétante dans cette partie du nord de l’Angleterre, qui a attiré un nombre important d’immigrés des régions rurales montagneuses du Pakistan, extrêmement respectueux des coutumes sociales anciennes. Leur histoire va totalement à l’encontre de l’image largement répandue d’une Grande-Bretagne où la présence de non-blancs et de vêtements et coutumes ethniques serait de plus en plus banale et incontestée.

Les femmes ont entre 15 et 20 ans, britanniques de naissance et d’éducation, elles veulent la liberté dont disposent leurs amies et camarades de classe de poursuivre leurs études, travailler et épouser les personnes de leur choix.

Mais ces simples souhaits sont en conflit direct avec les idées que se font leurs pères du rôle de la femme – idées si bien ancrées que des familles ont commandité des chasseurs de primes pour les recherches, les enlèvements et les voyages forcés sans retour vers le Pakistan.

Dans des cas extrêmes, des familles ont puni leurs filles, en les battant, en leur jetant de l’acide au visage ou en les brûlant à mort.

“Jusqu’il y a quelques années, quand les médecins légistes ont commencé à avoir des soupçons, nous avions de nombreux “suicides” de filles asiatiques qui avaient quitté leur maison et dont ont disait qu’elles s’étaient immolées”, dit Philip Balmforth, officier de police de la Police du West Yorkshire pour la municipalité de Bradford. “Les familles racontaient toutes la même histoire : elle était triste, elle était si déprimée, nous aurions dû l’emmener voir un docteur.”

M. Balmforth a montré à un visiteur un extrait d’un documentaire de 1992 mettant en scène une rencontre entre Tahar Mahmood, chasseur de primes près de Huddersfield, et le mari et le père d’une jeune femme qu’il avait été payé pour retrouver.

“Ces jeunes femmes sont tellement scandaleuses”, disait M. Mahmood dans le film. Le mari, partenaire issu du mariage arrangé du Pakistan, présente la mission : “nous allons la retrouver, il n’y a pas de problème. Nous la défigurerons, lui jetterons de l’acide, nous lui verserons de l’essence et mettrons le feu.”

Parmi les nombreuses femmes qui ont demandé l’aide de M. Balmforth, il y a Tasleem Begum, âgée de 20 ans et travaillant dans un supermarché de Bradford, qui a refusé le partenaire pakistanais que sa famille lui avait choisi. Elle a été tuée par son beau-frère, Shabir Hussain, qui fit monter sa voiture sur le trottoir d’un quartier résidentiel et l’écrasa.

Il s’enfuit au Pakistan le jour même en prenant un vol à partir de Manchester, mais revint en Angleterre un mois après, où il fut arrêté, et il y a un an, il fut accusé de meurtre et condamné à la prison à perpétuité.

C’est la seule affaire qui s’est terminée par une condamnation, et d’après M. Balmforth, inspecteur de police à la retraite, la police est ordinairement dans l’incapacité d’engager des poursuites.

Les femmes qui sont recherchées ne savent pas qui les poursuit jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Les familles ne reconnaîtront jamais avoir employé des chasseurs de primes. Les femmes qui sont emmenées de force au Pakistan, même si elles sont nées en Angleterre, ne dépendent plus de la juridiction britannique une fois qu’elles sont de retour dans le pays d’origine de leurs parents.

M. Balmforth dit avoir eu à traiter 742 cas de femmes asiatiques de la région qui avaient quitté leur maison et demandé une protection contre leur famille et que ce chiffre augmentait chaque année. “J’ai des jeunes filles qui sont cachées à travers tout le pays, car les meurtres sont presque toujours exécutés,” dit-il.

Empilés sur son bureau se trouvaient des sacs et des valises appartenant à certaines des jeunes femmes qu’il avait placées dans des auberges tenues par des femmes asiatiques compatissantes dans tout le Nord de l’Angleterre et en Ecosse.

Selon M. Balmforth, la marche à suivre était de trouver un logement sûr à ces femmes. Les familles qui le contactent lui reprochent cet arrangement, mais avec le temps, dit-il, nombre d’entre elles réalisent qu’il est la seule voie menant à leur fille et lui demandent de lui porter des affaires et des messages.

Remerciements : cet article a été publié dans le International Herald Tribune, édition de Hong Kong, du lundi 20 octobre 1997, pp. 1, 8. Il a été publié la première fois dans le New York Times et est publié ici avec son autorisation.