Mondiale: Leïla Marouane: sans chaînes ni maître

Source: 
El Watan
La plus rebelle des écrivaines algériennes use de mots simples pour se raconter.
Leïla Marouane, Leyla Mechentel pour l’état civil, a écrit plusieurs livres, se rapportant pour l’essentiel sur le rapport mère-fille, l’exil et l’Algérie. Elle vient de publier La vie sexuelle d’un islamiste à Paris, chez Albin Michel.
Que fait Leïla Marouane pendant l’été, où partez-vous en vacances?

Ça dépend des années, du travail que j’ai et des délais que je me fixe. Cet été, la sortie de mon prochain livre étant pour la rentrée, je m’offre deux semaines en France profonde. Sinon, le restant de l’été, je deviens la mère et la femme au foyer, à l’image de nos mères: lavage de tapis et de couvertures, nettoyage des vitres... Un ménage de printemps qui, par la même, nettoie ma tête... Mais aussi la lecture, un plaisir dont je me prive lorsque je suis en écriture, aussi la télé jusqu’à satiété, les séries américaines et les rares émissions politiques rediffusées l’été sur certaines chaînes. Et bien sûr cogitation du prochain roman, parfois des notes prises çà et là... En ce moment, je réfléchis à un récit sur l’exil qui m’a été commandé par les éditions du Rocher. Parallèlement, je soigne mes douleurs dorsales et j’élimine les kilos en trop, conséquences de deux ans arrimée au bureau: hammam, kiné, régime... Une remise en forme pour attaquer un nouveau livre.

Quelle est votre méthode pour écrire un livre, comment naît l’idée, vous êtes plutôt clavier ou stylo?

D’abord au stylo. J’écris sur des cahiers d’écolier très bon marché, j’aime la texture du papier recyclé. Au terme du premier jet, qui souvent ne dépasse pas les cent pages, je me mets à l’ordinateur. A mesure que je reprends le texte, naissent des idées et grossit le texte. J’imprime et je me relis. Ensuite, je corrige à même le papier, à l’encre rouge ou bleue, page après page, ratures, rajouts... Puis j’entre mes corrections sur la machine. J’imprime de nouveau, je me relis, je recorrige, ainsi de suite. J’essaie d’écrire tous les jours, embastillée, mettant de côté toute vie sociale que je reprends une fois le manuscrit remis à l’éditeur. Par ailleurs, je voyage beaucoup à l’étranger: Italie, Allemagne... pour la promotion de mes livres. Ce qui parfois me freine dans mon élan. La naissance et la genèse d’une fiction diffèrent d’un livre à l’autre. D’une humeur à l’autre. D’une situation à l’autre. Celui qui paraît en septembre, par exemple, m’a été imposé je crois du fait que j’avais mis au monde un fils. Certainement la peur de reproduire sur mon enfant les vieux schémas.

Il a fallu que vous soyez publiée à Paris pour qu’enfin on voit en vous une «grande» écrivaine. Paris est-il un passage obligé pour être reconnu?

Je suis venue à Paris voici maintenant 17 ans. A l’époque, j’écrivais pour la presse et je signais de mon vrai nom (Leyla Mechentel), comme en Algérie. J’ai commencé à écrire de la fiction dès mon jeune âge, mais je n’ai jamais pensé à la publication. Cela est venu à la mort de ma mère, en 1991. Certaines personnes, à la mort précoce d’un parent pensent qu’il devrait devenir un «eux-mêmes». Moi, j’ai pensé à la publication de mes manuscrits. C’est comme ça que j’ai entamé un projet que j’ai soumis à un éditeur et qui est devenu La fille de La Casbah, c’était en 1996. Cela dit, pour mieux répondre à votre question, je pense que si j’étais restée en Algérie, vu le thème de mes écrits et le «délit d’opinion» toujours en vigueur, l’idée de publier ne m’aurait même pas effleuré l’esprit. Lâcheté ou instinct de survie? Je ne sais....

Qui est donc Leïla Marouane?

J’aime à me définir comme «une femme sans chaînes et sans maître». D’aucuns diront «une rebelle», voire «une impudique». Qu’importe, puisque je l’assume. Cela est dû, essentiellement, à l’expérience de ma mère, une femme qui a pris le maquis à l’âge de 16 ans, j’en parle dans La jeune fille et la mère, qui a toujours cru à l’indépendance de l’Algérie, mère de 10 enfants, fière de repeupler son pays, mais qui a fini seule sur un lit d’hôpital, à l’âge de 49 ans, le personnel de l’hôpital n’avait pas estimé utile d’alerter ses proches au moment de son agonie. L’aînée, moi en l’occurrence, était déjà planquée à Paris. Aïe, ça fait toujours mal. Depuis cet événement, j’ai décidé de ne plus garder ma langue dans ma poche et de l’ouvrir le plus large et le plus grand possible, jusqu’à la glotte. Et puis la littérature me passionne, régler ses comptes avec poésie relève de l’élégance pure. Non?

Dans quelles conditions s’est effectuée votre installation ici en France?

En catastrophe. Avec un billet de 10 dollars en poche, que m’avait passé le copain qui m’accompagnait à l’aéroport. C’était en mai 1990. Les cinq années qui ont suivi cette date, je les ai vécues en apnée. C’était très dur. Mais je ne m’en rendais pas vraiment compte. L’autodérision et cette façon de ne pas trop prendre les choses au sérieux, propre aux Algériens, m’ont aidée à tenir.

Aujourd’hui, vous êtes une écrivaine reconnue. Quel est votre rapport avec votre pays d’accueil et la langue française?

Je suis devenue Française en 1994. Si je me sens «Parisienne» depuis bien avant mon installation à Paris, j’ai du mal à me sentir «Française». D’ailleurs, pour user d’un lieu commun, je me sens plutôt citoyenne du monde, même si depuis que je suis maman, j’ai des envies presque irrépressibles de bled. Retrouver Alger, mes proches, leurs enfants que je ne connais pas, la tombe de ma mère et de Faddia, une de mes meilleures amies disparue en 1993, les brochettes de Staouéli... Quant à la langue française, elle est mienne depuis ma tendre enfance. C’est un lieu qui me convient. Faute de mieux ou pas. Je rappelle que je fais partie de la génération victime d’une arabisation malmenée...

Et avec l’Algérie? Etes-vous toujours en colère contre le code de la famille?

Toujours en colère et toujours jalouse des Marocaines dont le monarque a osé abroger la Moudawana, le code de la famille marocain. J’attends que le nôtre soit « correctement » revu et abrogé pour aller embrasser tous ceux et toutes celles qui me manquent. C’est patho, mais sincère. Pour l’instant, je me contente, quand j’ai envie de faire mes courses en arabe ou d’entendre le chant du muezzin, de séjourner en Tunisie, pays où je suis née, quand ma mère, «la Jeanne d’Arc des djebels», se cachait des militaires français....

J’imagine que vous devez cultiver un rapport assez complexe avec le lectorat algérien. Avez-vous des retours, des réactions de la part de vos lecteurs?

J’ai des retours malgré l’absence de mes livres en librairie, des e-mails de jeunes étudiantes qui travaillent sur mes livres. Aussi des lettres de lecteurs. Il y a deux ans, j’ai été invitée par des psychiatres algériens et français pour participer à un colloque auquel, pour les raisons sus-citées, je n’ai hélas pas répondu. Mais point d’invitation «officielle».

Pouvez-vous commenter cette photo que vous avez choisie vous-même?

C’est une photo prise pour la sortie de La jeune fille et la mère (2005). Je venais de mettre au monde mon fils, je suis encore shootée aux hormones. Je devais être en train de penser au livre qui paraîtra en septembre, La vie sexuelle d’un islamiste à Paris. Livre compliqué que je n’aurais certainement pas écrit, si j’avais eu une fille. A méditer.

Par: Rémi Yacine

13 août 2007