Algérie: Femmes et sociétés arabes: Tarboucha, pour succéder à Ubu

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Le Soir d'Algérie
"Oui, Monsieur le Président, nos femmes se font agresser dans la rue sans susciter la moindre réaction de défense..."
C’est aujourd’hui le sort peu enviable de toutes les personnes du sexe faible et du sexe fort affaibli par l’âge. La violence physique conclut désormais la violence verbale, partie de notre patrimoine génétique, quand elle ne la précède pas. Oui, Monsieur le Président, vous avez raison de vous indigner contre l’état de nos rues soumises à la loi des prédateurs.
J’aurais aimé cependant que votre indignation, voire une colère vengeresse, s’étende et frappe les théoriciens de la violence faite aux femmes.

Que les maires qui réclament des certificats de virginité aux futures mariées soient stigmatisés, voire démis pour "ijtihad" ségrégationniste.

J’aurais aimé que vous remettiez à leur place ces "ulémas" sans science qui s’agitent frénétiquement parce que, pour une fois, notre ministre de la Religion a dit son souci de protéger les intérêts moraux et matériels de nos femmes. Il a conseillé (ordonné eût été mieux) aux imams d’exiger un acte de mariage civil avant de réciter la "Fatiha". Du coup, nos "ulémas", aussi chatouilleux que stériles, lèvent l’étendard de la révolte. Des pans entiers de la société sombrent dans la bigoterie et la trémulation sans que ces messieurs ne cillent, donnant à croire qu’ils pourraient être les artisans du dépérissement d’un Islam, certes ombrageux mais respectueux des libertés individuelles. Mais dès qu’il s’agit de quelques bribes de liberté octroyées aux femmes, c’est le soulèvement général des mâles ou des faisants fonction.

J’aurais aimé qu’il y ait beaucoup plus de femmes dans la salle pour vous entendre, Monsieur le Président, mais cela ne semble dépendre que de vous.

J’aurais aimé vous dire tant de choses que vous savez déjà mais le souvenir du disque rayé depuis 1962 m’en dissuade.

J’aurais aimé, certes, vous dire qu’il reste encore des choses à aimer dans ce cher pays mais la vision de nos jungles urbaines et le portrait que vous en avez esquissé m’en découragent.

Ce sont, au demeurant, ces renoncements et ces démissions en cascade qui ont provoqué les "émeutes du sexe" au Caire, le jour de l’Aïd el- Fitr". Lors de ces graves incidents, plusieurs jeunes femmes avaient été violées en pleine rue sous le regard passif des passants. La seule réaction de la mouvance intégriste avait été de déplorer que les violeurs n’aient pas fait de distinction entre femmes voilées et non voilées.

Le journal des Frères musulmans avait même exhorté les futurs violeurs à s’en prendre désormais aux femmes qui provoquent par leurs tenues vestimentaires non conformes. Comme un fait exprès, un lecteur m’a fait parvenir une vidéo de la chaîne Iqra qui en dit long sur l’avenir de la femme en ce si bas-monde.

Le document met en scène un "alem" (théologien singulier) qui enseigne à des téléspectateurs acquis les différences entre un homme et une femme. Il s’agit du cheikh saoudien Jassem Al-Mutawaa. Comme il n’a aucun doute sur le niveau intellectuel de ses ouailles, le cheikh nous apprend d’entrée que "Dieu a créé l’homme et la femme chacun selon sa propre nature". Après leur avoir laissé un laps de temps suffisant pour se pénétrer de cette idée force, cheikh Jassem attaque sa démonstration, palette graphique à l’appui.

Il dessine, comme le font les enfants arabes, un cercle entourant deux autres petits cercles et une forme ovale, représentant une tête humaine. "Disons que ceci est l’homme", affirme-t-il. Juste à côté mais dans une autre couleur, Jassem Al- Mutawaa dessine un autre cercle de la même composition. "Ceci est la femme, dit-il à ceux qui n’auraient pas encore compris.

Puis vient la démonstration: quelques traits hachurés pour représenter le cerveau sur le front de l’homme. Un phylactère près de la bouche, au-dessin moins fignolé, de la femme pour asséner la "mère de toutes les vérités": l’homme réfléchit avant de parler. La femme parle avant de réfléchir. "Chez l’homme, proclame-t-il, la pensée précède toujours les mots. Chez l’homme, la réflexion vient en premier et la parole en second." Et comme il mesure l’étendue de notre esprit critique, il prend soin de préciser: "Bien sûr, je ne parle pas de tous les hommes et de toutes les femmes, mais de la plupart."

Poursuite de la démonstration: "La femme commence par parler puis en réfléchissant, elle s’aperçoit que ce n’est pas le sujet qu’elle voulait aborder. Alors, elle commence à faire marche arrière intelligemment et entame un autre sujet. D’un autre côté, l’homme reste silencieux mais son esprit est en marche. Il travaille, il travaille et retarde peut-être un peu mais le cerveau d’un homme fonctionne pendant longtemps même sur des choses simples."

Arrêtons là la démonstration avant que l’audimat de la chaîne ne grimpe encore. Iqra est, paraît-il, la chaîne la plus regardée par les Algériens, ce qui devrait achever de me convaincre que le silence vaudra bientôt son pesant d’or dans ce pays. Il y a des signes annonciateurs comme cette indifférence, cette léthargie des consciences qui arpentent nos macadams. Je reviens donc à l’imperturbable, l’inamovible, l’indécollable ministre [1] de la Culture de l’Egypte, Farouk Hosni. Il apparaît, en effet, au fil des jours que la sortie médiatique de Hosni n’était qu’une tempête dans un bénitier.

Il se confirme aussi que le ministre en charge de la culture égyptienne a bien lâché un carré d’as pour deux sept, comme diraient les mordus de poker. A moins qu’il n’ait simplement fait un tour de passe-passe comme l’aurait fait l’ami "Tarboucha", voleur la nuit et premier sur le tapis de prière à l’aube, celui dont nous parlait la semaine dernière notre confrère Ahmed Taha Nakr.

On se rappelle que celui-ci avait dénoncé dans Al-Misri Al-Youm l’hypocrisie de Farouk Hosni, guerroyant contre le hidjab vestimentaire et imposant un niqab à la culture. Il affirmait que pour se faire pardonner ses "incartades" verbales, Farouk Hosni avait mis sur pied une commission religieuse pour censurer les œuvres littéraires artistiques. Sur le même ton, Khaled Mountassar revient dans le magazine Elaph sur cette concession majeure faite aux islamistes.

Pour lui, si le ministre n’a pas renié ses propos et n’a pas présenté des excuses au Parlement, il a fait pire. "Avec ses déclarations sur le hidjab, Farouk Hosni a entrouvert la porte au débat de fond sur la nature de l’Etat en Egypte. Malheureusement, il a imposé un linceul sur la culture dans le seul but de gagner le pardon de ses détracteurs et d’échapper aux représailles."

S’interrogeant sur la composition future de cette commission, le chroniqueur égyptien se demande si des gens comme Djamel Al-Bana, Said El-Achemaoui ou Seyed Qimni, des opposants aux thèses islamistes, en seront membres. Excluant, semble-t-il, cette éventualité, Khaled Mountassar met en garde contre le danger qu’il y a à laisser les religieux décider de la validité ou non des œuvres culturelles. Au nom de quel Islam, décidera-t-on de la valeur d’une œuvre? L’Islam de Hassan Tourabi, l’Islam de Omar Abderrahmane ou encore celui de Mohamed Mahatir, de Khomeini ou d’Ibn Al-Baz?, questionne notre confrère.

On pourrait peut-être suggérer l’Islam de "Tarboucha" puisqu’il semble progresser à pas de géant sur nos terres incultes si ouvertes à la déraison. Le règne de "Tarboucha" pour succéder à Ubu, pourquoi pas?

Par: Ahmed Halli

11/12/2006

[1] Une petite question au passage: combien d’heures aurait tenu un ministre algérien après avoir fait des déclarations similaires à celles de Farouk Hosni sur le hidjab? Vous préférez calculer en minutes? Je vous l’accorde, le temps de passer un coup de fil sur la fameuse ligne directe.