France: Mémoires d’une féministe iconoclaste, par Yvonne Knibiehler (livre)

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Journal l'Humanité
Le défi du féminisme et de la maternité.
Universitaire et mère de trois enfants, Yvonne Knibiehler fut une combattante atypique de l’identité féminine en plein baby-boom. Qui gardera les enfants? Mémoires d’une féministe iconoclaste, par Yvonne Knibiehler. (Éditions Calmann-Lévy, 2007, 318 pages, 18 euros).
Ce livre n’est pas l’étalage d’un moi, il est le récit très agréable à lire d’une vie «exemplaire» au sens ancien du terme, celle d’une femme née entre les deux guerres (1922) et qui a relevé tous les défis posés aux femmes de sa génération. Une vie sans histoires pourtant, consacrée à l’étude et à l’écriture de l’histoire, celle des femmes en particulier. Mais là, c’est Yvonne Knibiehler qui pose un défi: ne pas avoir à choisir entre le travail et la maternité.

Née dans un milieu petit-bourgeois traditionnel où les filles étaient élevées pour rester au foyer, elle décide de faire des études supérieures. En 1945, elle obtient l’agrégation d’histoire. «Tu ne trouveras pas de mari», l’avait-on avertie. Ce ne sera pas. Il lui faut ensuite faire face à l’exigence que pose la société des années cinquante, celle «d’avoir un monde à réinventer», celle de l’engagement politique. Après réflexion, la jeune enseignante renonce à ce type d’engagement. Cela nous vaut un beau passage sur «l’exceptionnelle fécondité du marxisme, du matérialisme historique, pour la recherche en histoire» et sur la générosité et les illusions de ses collègues communistes d’alors.

Depuis 1949, sa vie est celle de beaucoup de femmes à l’époque du baby-boom. C’est-à-dire qu’elle enseigne en élevant ses trois enfants. Elle connaît «la culpabilité accablante et la fatigue des mères qui travaillent», même si son mariage est heureux et qu’elle n’a pas de problème financier. Il est intéressant de noter qu’à ses yeux, le nouveau départ du féminisme après la guerre date de 1956, année de la fondation du mouvement de la Maternité heureuse qui deviendra le Planning familial, et non pas de 1970 et du MLF.

1970 est l’année où elle soutient sa thèse, après être entrée comme assistante en 1964 à l’université d’Aix-en-Provence. Le défi de la rédaction d’un tel travail universitaire était alors encore extrêmement rare pour une femme. À quarante-huit ans, sa sensibilité, l’époque et le lieu vont déterminer son engagement dans le féminisme; engagement intellectuel très productif dans deux directions : l’histoire des travailleuses du social (assistantes sociales, infirmières, sages-femmes) et l’histoire des mères, une oeuvre novatrice.

Pour l’auteure, en effet, la maternité reste une pièce maîtresse de l’identité féminine et c’est aussi une fonction sociale qui doit être traitée comme telle. Affirmée dès les années 1970, cette position lui a valu une certaine marginalité. Les «bonnes mères» se méfiaient d’elle parce qu’elle était féministe et les féministes s’en défiaient parce qu’elle défendait pour les femmes le droit d’être mère en même temps, et sans hésitation aucune, que celui de ne pas l’être. La dernière partie de ses Mémoires expose de façon synthétique les diverses questions qui se posent aux femmes d’aujourd’hui dans une perspective féministe. Cette synthèse est le fruit de toute une vie de recherche et d’audaces.

Par: Jocelyne George, historienne

3 avril 2007