Pakistan: Au Pakistan, l'islamisme campe sur les décombres du séisme

Source: 
Libération
Pelles et pioches creusent les gravats d'une maison effondrée de Balakot. La puanteur est suffocante sous le soleil de midi.
Ils sont une trentaine d'élèves de madrasas (écoles islamiques) à se relayer pour déterrer les corps, tandis que les équipes étrangères, les locaux et les militaires s'activent dans la ville anéantie pour retrouver les cadavres, qui gisent encore par milliers dans les effondrements.
Dès le lendemain du séisme, ils étaient une cinquantaine d'étudiants, venus des madrasas de la région, à se rendre à Balakot, avec les habitants des localités voisines, pour sauver les gens des décombres et enterrer les corps, alors que la route était encore bloquée.

Ismaël, 18 ans, est venu, lui, d'une madrasa de Bannu, près des zones tribales. «Je suis la pour servir mon Dieu», explique le jeune homme, vêtu d'une tunique blanche et coiffé d'un calot. A ses côtés, Faysal, élève à Karachi, raconte qu'il était en vacances quand le séisme s'est produit. Il a voulu participer aux opérations de secours, car «Allah a puni les musulmans par ce tremblement de terre». Mohammed, élève à Rawalpindi, croit, lui, connaître la vraie cause de la catastrophe : «Au cours des élections locales (qui viennent de s'achever, ndlr), beaucoup d'électeurs ont juré sur le Coran qu'ils allaient voter pour tel candidat. Puis ils ont reçu des pots-de-vin et ont voté pour un autre. Ils ont profané le Livre saint, c'est pour cela que tout le pays est châtié.»

Dans les rues de Balakot, la distribution de l'aide, arrivée de tout le pays, se fait souvent dans la confusion la plus totale, d'innombrables vêtements et chaussures dépareillées jonchent le sol, tandis que des milliers de personnes vadrouillent au milieu des ruines. Certaines familles campent sur les toits des maisons effondrées. Au côté des ONG et des nombreux stands de volontaires, les organisations islamistes ont pignon sur rue. Elles ont monté des camps de distribution de nourriture et de médicaments.

Amer. Le plus important est celui de la Jamaat Islamiya (principal parti religieux du Pakistan), protégé par des tentures multicolores. Muchtaq Ahmed Khan, secrétaire général de ce parti dans la province de la frontière nord-ouest, assure disposer de plus de 2 000 volontaires dans les cinq districts affectés de la province. «Notre réseau s'étend dans tout le pays, cela a permis de récolter beaucoup de dons. Une vingtaine de camions sont arrivés, l'aide est repartie dans les villages alentour, ainsi qu'à Balakot. Nous distribuons aussi des tentes, mais il y a une rupture de stock en ce moment.»

Les multiples organisations religieuses ont aussi ouvert leurs centres de distribution à Mansehra, la principale ville de la région, épargnée par le séisme, où affluent les rescapés. Ville aussi connue pour ses camps d'entraînements au jihad par le passé.

Tabassum, 36 ans, étudiant dans une madrasa de Mansehra, est bien amer. «Mon village de Pinjur a été détruit, j'ai perdu toute ma famille. Je suis allé chercher de l'aide auprès d'un groupe religieux, mais comme je n'appartiens pas à leur école de pensée ils m'ont envoyé paître. Ces organisations restent divisées alors même qu'il y a ce désastre. Elles continuent à faire de la politique sur les cadavres.» Le mufti Kafiat Ullah, responsable d'une madrasa de 300 étudiants, secrétaire général de la Jammiat e-Ulema e-Islam dans la province (JUI, parti religieux deobandi, fondamentaliste), confirme : «Nous travaillons chacun de notre côté, il n'y a pas de coordination entre les différents partis religieux.»

Par Celia MERCIER
samedi 15 octobre 2005